Vétéran des guerres d’Indochine et d’Algérie, l’ancien combattant n’est plus obligé de passer au moins six mois par an en France, loin des siens, pour avoir droit à sa pension.
« Nous rentrons chez nous pour vivre avec nos
petits-enfants » après « les affres de la guerre et de la
vie » : vétéran des guerres d’Indochine et d’Algérie au service de la
France, Yoro Diao retourne définitivement au Sénégal vendredi 28 avril
avec d’autres tirailleurs, après une bataille avec l’administration française
pour la reconnaissance de leurs « sacrifices ».
A 95 ans, il n’est plus obligé de passer au moins six
mois par an en France, loin des siens, pour avoir droit à sa pension.
« C’est une victoire ! », lance-t-il à l’AFP depuis son studio
dans un foyer à Bondy, en région parisienne. L’effervescence et le
chamboulement du grand départ pour rentrer à Kaolack (centre du Sénégal) y sont
palpables. Il reçoit en impeccable costume, arborant à l’occasion ses
nombreuses médailles militaires. Un regard et un sourire bienveillants
adoucissent son visage émacié.
Trois valises s’entassent au sol, encombrant l’espace entre
son lit et un bureau débordant de dossiers administratifs. Une autre valise a
été coincée sous son lit, pleine de photos de famille et de « camarades »
anciens combattants, « des souvenirs » qu’il regarde ému, dont la
cérémonie où il a reçu la Légion d’honneur en 2017. « C’est le
président Hollande qui devait me décorer, mais il n’avait pas le temps. Alors
il a délégué le préfet… », glisse-t-il avec malice. Des pense-bêtes sont
posés çà et là car sa mémoire lui joue des tours. Dans le stress, il a ainsi
mis dans son conteneur de déménagement son passeport rangé dans une veste…
Ultimes batailles
Le corps français des « Tirailleurs sénégalais »,
créé sous le Second Empire (1852-1870) et dissous dans les années 1960,
rassemblait des militaires des anciennes colonies d’Afrique. Le terme a fini
par désigner l’ensemble des soldats d’Afrique qui se battaient sous le drapeau
français. Ils ont participé aux deux guerres mondiales et aux guerres de
décolonisation.
Selon l’Association pour la mémoire et l’histoire des
tirailleurs sénégalais, trente-sept hommes – tous d’origine sénégalaise et
ayant servi principalement en Indochine et en Algérie – vivent en France. Parmi
eux, un premier groupe – M. Diao et huit autres, âgés de 85 à 96 ans
– s’envolera vendredi pour le Sénégal.
Ce retour a été rendu possible grâce à une mesure
dérogatoire décidée par le gouvernement français, qui leur permet de vivre en
permanence dans leur pays d’origine, sans perdre leur allocation minimum
vieillesse de 950 euros par mois. Une aide exceptionnelle de l’Etat
finance leur déménagement, leur vol retour et leur réinstallation.
Ces mesures sont les ultimes batailles menées par Aïssata
Seck, 43 ans, petite-fille d’un tirailleur et présidente de l’association.
Cela fait dix ans qu’elle lutte pour ces « anciens ».
« Choquée » par leurs conditions de vie et leurs difficultés souvent
« humiliantes » dans leurs démarches administratives.
« Donné sa
jeunesse à la France »
« Il y a eu négligence » de l’Etat à leur égard,
martèle la conseillère régionale d’Ile-de-France et conseillère municipale à
Bondy, rappelant que la France n’a levé qu’en 2006 les mesures de gel qui
bloquaient les pensions des anciens combattants coloniaux, contrairement à
celles des anciens combattants français qui étaient revalorisées.
Elle lance en 2016 une pétition et l’ancien président
François Hollande accorde aux tirailleurs la nationalité française
en 2017. Puis le gouvernement d’Emmanuel Macron annonce début 2023 cette
mesure dérogatoire pour leur allocation. « J’ai rien lâché » pour
rappeler leurs « sacrifices », lance Mme Seck.
Engagé volontaire dans l’armée française par tradition familiale,
Yoro Diao dit ainsi avoir « donné sa jeunesse à la France » et avoir
été « touché au moral » par la perte au combat de compagnons d’armes.
En particulier celle de son grand ami Fernand Lotier, un soldat français tué à
ses pieds en Indochine. « Il a pris une balle en pleine poitrine. Il m’a
dit : “Yoro, je vais mourir !”. J’ai dit : “Non Lotier, quand
même !” Puis il m’a montré sa blessure… »
M. Diao raconte avec acuité l’enfer de cette guerre
d’Indochine où il a passé trois ans à partir de 1951, dans des « pluies
torrentielles », les « animaux charognards qui mangeaient la chair
humaine ». « C’était terrible… J’étais infirmier major, chef des
brancardiers. [Je transportais] les blessés sous le feu de l’ennemi. C’est “la
baraka”, j’ai pas été blessé mais j’ai perdu beaucoup de camarades »,
souffle-t-il. Puis il sera mobilisé pour la guerre d’Algérie, pendant deux
longues années.
« Mieux vaut
tard que jamais »
Cette obligation de passer six mois par an en France,
M. Diao l’a vécue avec incompréhension et a souffert
« d’isolement », n’ayant pas les moyens pour faire venir sa famille.
Avec pudeur, il confie être meurtri de ne pas avoir été aux côtés de son épouse
quand elle est décédée en 2017. « Je la perds comme ça, sans être présent…
Nous avons fait 40 ans de mariage, ça faisait mal ! »
En 2015, il se rend au Sénégal deux fois (au lieu d’une
fois réglementaire) pour s’occuper d’elle. Il est depuis 2016 sanctionné par
l’administration française qui lui prélève 66 euros par mois et lui
réclame encore plus de 13 000 euros. « Par rapport à ma carrière
militaire, c’est dur… », lâche M. Diao.
Selon lui, les dernières mesures gouvernementales arrivent
ainsi « tard ». Cela a « mis trop de temps pour coïncider avec
notre vie… ». Mais « mieux vaut tard que jamais », concède-t-il,
évoquant sa joie de revoir ses petits et arrière-petits-enfants. « Je vais
bien vivre, je vais manger, je vais me promener dans le village. » Aïssata
Seck est « très contente » pour les neuf tirailleurs, qui
« rentrent de manière sereine ». « C’est le retour de leur
dignité », lance-t-elle.
Le Monde avec AFP
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