Un
rapport d’observations définitives datant de mars 2019 et portant sur le
contrôle de la gestion de la Loterie nationale de Guinée en est arrivé aux
constats selon lesquels le Conseil d’Administration de l’entreprise
fonctionnait dans l’illégalité. Le tout sur fond d’une gestion scabreuse, où
les montants des redevances collectées se perdraient dans les méandres d’une
bureaucratie opaque. Enquête… !
A l’origine de l’enquête
Le contrôle de la gestion de la Loterie nationale de Guinée (La Lonagui)
par les services de la Cour des Comptes a porté sur le respect de son cadre
règlementaire et la conformité des opérations de gestion, avec la législation
applicable en la matière d’une part, et d’autre part, sur l’examen de la
gestion financière de l’entreprise. L’examen de la gestion a, quant à elle,
porté sur la gouvernance, la règlementation des jeux, la gestion du personnel,
la commande publique, la situation budgétaire et financière, la trésorerie et
l’analyse du résultat.
Tout d’abord notons que la Lonagui qui compte 40 salariés régis par le Code
du Travail, est une entreprise publique nationale d’organisation, de gestion et
d’exploitation de toutes les formes de loterie, de jeux, de pronostics et
assimilés. Elle a été créée par le décret n°20 du 26 mars 2000. Son actionnaire
unique est la République de Guinée et son capital social est de GNF 5 milliards
subdivisés en 100 000 actions de GNF 50 000, intégralement libérées et attribuées
à l’actionnaire unique. Elle est placée sous la tutelle technique de la
présidence de la République et sous la tutelle financière du ministère en
charge de l’Économie et des Finances. Le décret n°153 du 26 mai 2016 fixe ses
statuts. Et elle est enregistrée au registre du commerce et du crédit mobilier
le 30 janvier 2017.
La quintessence du rapport qui épingle
la Lonagui, durant les exercices de 2013 à 2016
Le rapport d’observations définitives de mars 2019 sur le contrôle de la
gestion de la loterie nationale de Guinée pour les exercices de 2013 à 2016,
produit par la chambre des entreprises publiques, des institutions bancaires,
de crédits et assurances et des autres organismes soumis au contrôle de la Cour
des Comptes, a dans son délibéré du 27
février 2019 confirmé les constats selon lesquels le Président du Conseil
d’Administration de la Lonagui (suivant les termes du n_162 du 30 juin 2016, il
s’agit d’un conseil d’administration de 8 membres), fonctionnait en toute
incompatibilité avec la Loi n°075 portant gouvernance financière des sociétés
et établissements publics. Relevant dans la même foulée des insuffisances dans
l’exercice du pouvoir de contrôle des autorités de tutelles. Et pire, la Cour
mentionne qu’en 2016, l’entreprise n’a ni produit son rapport de gestion
annuelle, ni indiqué le montant perçu au titre des redevances (malgré les
masses nettes collectées et partagées). Elle constate que le CA de la Lonagui
est nommé seulement en juin 2016 tandis que la société est créée en 2000, en
contradiction notoire avec les règles admises, le PCA de la Lonagui assume en
même temps les fonctions de représentant de la tutelle. Le PCA étant en service
à la Présidence de la République qui n’est autre que l’organe de tutelle
technique, voilà une situation qui compromet la régularité des actes du PCA à
qui les statuts confèrent d’importantes missions.
En dépit des trois axes stratégiques que lui confère son objet social à
savoir l’exploitation par elle-même des secteurs de jeux, l’association sous
forme de joint-venture avec des opérateurs pour l’organisation de jeux ; et
l’organisation sous forme de concession contre paiement de licences et de
redevances, force est de constater qu’à ce jour, la Lonagui n’implémente que
les autorisations d’exploitation de jeu sous forme de concession.
Les redevances d’exploitation de concessions sont fixées sur une base
contractuelle. Le prix minimum d’une licence est de GNF 100 millions par an, tandis
que celui d’un permis est de GNF 15 millions par mois. La société a enregistré
plus de recettes en termes de licences et permis délivrés en 2015. De 2013 à
2015, la tendance est la hausse. Cependant, lesdites recettes ont connu une
diminution en 2016. En effet, chaque partie prenante à la chaîne de paris,
notamment, les parieurs, le concessionnaire, la Lonagui et l’État, reçoit une
quote-part dans la masse brute de fonds collectés. Les redevances constituent à
elles seules 95% des revenus de la société. Elles sont versées mensuellement.
…qui se taille la part du lion dans
la clé de répartition de la masse d’argent collectée ?
En ce qui concernant les contrats de concession portant l’exploitation du
Pari mutuel urbain (PMU) conclus en aout 2009 et valable pour une période de 10
ans, l’assiette de la redevance est constituée de la masse nette collectée,
c’est-à-dire la masse brute collectée dont les consommables (tickets et
programmes imprimés) ont été déduits. La clé de répartition des revenus bruts
varie d’un contrat à l’autre. Généralement, les taux suivants s’appliquent. 15%
à l’État (1% pour le financement des activités socioculturelles, 9% au trésor
par chèque barré et 5% pour le fonctionnement de la Lonagui), 50% pour les
parieurs gagnants et 35% pour les organisateurs de jeux.
Cependant en ce qui concerne ce contrat de PMU, la répartition de la masse
collectée nette se fait comme suit : Parieurs 53%, Lonagui/PMU France image et
assistant 4%, Activités socioculturelles 1%, Trésor public guinéen 10% et la
société Winiya 32%. L’équipe de la Cour des Comptes observe que ce sont les
masses collectées nettes qui sont partagées. En outre, l’actionnaire de Winiya
(PMU France) possède une part dans cette masse au détriment de la Lonagui.
La Cour des Comptes a ensuite observé que les contrats de concession sont
signés en l’absence du règlement général sur les jeux et que les règlements
spécifiques aux segments de jeux n’existent pas. La situation des montants
gagnés par les parieurs mais non réclamés (les purgés) et les paris sans gains
(les tirelires), n’est pas règlementées.
Il y a ensuite le cas de ce fameux administrateur général qui faisait
office de directeur général jusqu’à la nomination d’un directeur général. Et
qui s’était attribué un contrat de travail (CDI) avec tous les avantages y
afférents. Qui est-il, le peuple a besoin de savoir ?
Tenez-vous bien, l’Administrateur Général de la Lonagui, lui-même s’est
établi, le 26 février 2015 (jusqu’au 10 octobre 2016 date à laquelle un
directeur général a été nommé par décret, la Lonagui était dirigée par un
administrateur général), un contrat de travail à durée indéterminée dans lequel
il a à la fois la qualité d’employé et d’employeur. L’effet du contrat (05 juin
2012 : article 05 du contrat) est antérieur à sa signature. Il s’est ainsi
accordé unilatéralement une rémunération alors que celle-ci doit être fixée par
l’assemblée ordinaire suivant les conditions énumérées par l’acte uniforme
OHADA sur les sociétés commerciales et le groupement d’intérêt économique en
ses articles 499 et suivants.
La Cour des Comptes réaffirme que le contrat de travail du Directeur
Général, ancien administrateur Général a été signé par le même administrateur
général en qualité d’employeur et d’employé. Ce contrat n’a même pas été
approuvé par le CA comme l’exigent les statuts, ni approuvé la tutelle comme
l’exigent les dispositions de l’OHADA
Aucun respect des règles en matière de
passation et d’exécution des marchés publics
La Cour des Comptes n’a pas obtenu les montants des primes de 2013 et 2014,
puisque les états financiers n’ont pas distingué les primes des salaires pour
ces deux exercices. Le manuel de procédures de la Lonagui ne respectait pas non
plus les dispositions relatives à la passation et à l’exécution des marchés
publics. Conséquences, les achats de 2013 et 2015 ont contribué aux pertes
enregistrées pendant ces deux exercices. La Lonagui n’a non seulement pas
respecté les règles de passation et d’exécution des quatre marchés publics
examinés par la Cour des Comptes, mais en plus, elle n’a pas établi de budget
pour toutes les périodes sous revue.
Pourtant, pour cette même période sous revue, pour laquelle il n’existe pas
un acte créant et structurant le service chargé de la comptabilité au sein de
cette société de loterie, les comptes de la Lonagui ont été certifiés sans
réserve en dépit des irrégularités relevées par le commissaire aux comptes
lui-même. Il serait utile d’insister sur le fait que jusqu’en 2012, la société
n’avait ni de bilan d’ouverture ni de compte de résultat ni d’état annexé, donc
ne tenait pas également une comptabilité d’engagement. A suivre !
Enquête Mirador