Afghanistan : dans les villes conquises par les talibans, le retour de la charia

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  • 14 août 2021 12:15

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Selon l'agence de presse Reuters, les talibans, qui contrôlent actuellement la moitié des capitales provinciales d'Afghanistan, ont poursuivi leur offensive vendredi 13 août, en prenant possession de la ville de Pol-é 'Alam, province de Logar, à quelques dizaines de kilomètres de Kaboul. Que sait-on exactement, sur le plan humain, de la situation dans les villes et les villages dont se sont emparés les insurgés ces derniers jours ?

Hérat, Kandahar, Ghazni... Vingt ans après la chute du mollah Omar, la moitié des capitales provinciales afghanes sont actuellement, de nouveau, sous le joug des talibans. Les populations sont horrifiées ; António Guterres également. C'est ce qu'a déclaré vendredi le secrétaire général de l'ONU, à la vue des rapports sur les violations des droits, en particulier ceux des femmes, qui lui parviennent des zones conquises.

Là où l’armée s’est retirée, il n’y a plus de combats et les talibans imposent la loi islamique, la charia. Jointes par téléphone par notre correspondante à Kaboul, Sonia Ghezali, plusieurs femmes se trouvant dans des districts récemment pris expliquent qu'elles doivent porter une burqa quand elles sortent, mais aussi des gants et des chaussettes pour couvrir leur peau intégralement. Il faut aussi qu’elles soient accompagnées d'un membre masculin de leur famille.

Certaines expliquent que les talibans auraient ordonné aux médecins hommes dans les cliniques de ne pas recevoir les femmes, si elles consultaient pour des maux de tête ou des maladies jugées non sérieuses. La musique est interdite dans les espaces publics. Une femme raconte qu’un adolescent de son voisinage se serait fait battre parce qu’il écoutait de la musique trop fort au goût des insurgés, qui passaient dans sa rue.

« Administration totalement aux mains des talibans »

La rédaction en persan de RFI a pu joindre Shakib Siavoshi, journaliste à Hérat, troisième ville du pays, tombée jeudi. « Selon les informations communiquées par les élus du conseil provincial, dit-il, les hautes autorités de la province comme le gouverneur, le directeur de la sécurité, le commandant de la base militaire, Ismail Khan, chef de la résistance populaire, et quelques autres, se sont tous rendus et ont livré la ville aux talibans. Hérat est maintenant entièrement sous le contrôle de ces derniers. »

Ils y ont annoncé, relate notre confrère, « l’instauration de leurs lois ». Et pour être bien compris, « ils ont paradé dans la ville en exhibant deux hommes arrêtés pour vol dont les visages avaient été préalablement noircis au goudron, assure Shakib Siavoshi. L’université de Hérat reste ouverte. Les vols sont tous annulés. L'administration est totalement aux mains des talibans, il n’y a pas de signe de résistance de la part des forces de sécurité et les talibans commencent à appliquer leur propre droit. »

« La situation à Ghazni est déplorable, confie par téléphone un habitant de cette autre ville, historique, tombée jeudi. Les magasins sont fermés et il est très difficile de trouver des produits alimentaires. Les gens sont sous le choc depuis que la province est tombée sous la coupe des talibans. Le siège du gouverneur, l’hôtel de police, le palais de justice, tous les bâtiments administratifs sont tombés entre les mains des talibans. »

« Les gens ont très peur, 90 % des magasins sont fermés. Les talibans ont demandé d’ouvrir les commerces, mais les commerçants n’osent pas. La nuit dernière et ce matin, on entendait des tirs d'armes légères, les gens ont peur de sortir, ils craignent que les forces gouvernementales contre-attaquent ou que les talibans fassent une démonstration de force dans d’autres parties de la ville », ajoute notre interlocuteur.

C'est clairement un retour à la loi telle que les talibans la conçoivent. Certains racontent que des registres de présence sont tenus dans les mosquées pour vérifier que les hommes se présentent bien cinq fois par jour pour la prière quotidienne. Tous ces témoignages montrent que les anciens maîtres du pays n’ont pas changé d’état d'esprit depuis la période 1996-2001, en tout cas dans leur interprétation de la charia.

Avec la conquête de Pol-é 'Alam, les insurgés se rapprochent de Kaboul, où l'atmosphère est extrêmement lourde. Toutes les personnes qui se trouvent dans la capitale, notamment ces milliers de familles de déplacés internes, qui ont fui leur province où les combats font toujours rage pour trouver refuge ici, craignent maintenant que les talibans ne fassent du centre politique du pays la nouvelle ligne de front.

Tout le monde attend par ailleurs de voir comment le gouvernement va réagir : va-t-il céder, capituler, ou bien résister, comme semble vouloir le faire le président ? Les talibans ont déjà fait de nombreux prisonniers parmi les forces de sécurité du pays et parmi les représentants des autorités locales dans les provinces conquises. À Kaboul, tous disent espérer qu'Ashraf Ghani quittera le pouvoir pour éviter un bain de sang.

Ce samedi 14 août, face au contexte de peur généralisée qui s'est installé, le président a néanmoins pris la parole et a promis de remobiliser les forces armées de son pays. Dans son adresse à la nation, le chef de l'État n'a fait aucune allusion à une possible démission de sa part. Il a dit avoir engagé des consultations au sein du gouvernement, avec des responsables politiques et les partenaires internationaux de l'Afghanistan.

La terreur des collaborateurs de pays étrangers

L’aéroport est bondé, les vols sont pleins ; ceux qui ont un passeport étranger ou un visa quittent le pays. De nombreuses personnes tentent de trouver un moyen de fuir. Une grande partie de la population s'inquiète de voir comment les talibans traiteront par exemple les employés du gouvernement, les forces de sécurité, les journalistes, les militants de la société civile, les ex-interprètes et employés des forces étrangères.

Les États-Unis ont promis qu’ils ne les laisseraient pas tomber. Mais nombreux attendent depuis des semaines que l’ambassade américaine leur réponde. Des dizaines d'ex-auxiliaires et interprètes de l’armée française à qui Paris a refusé des visas, sont effrayés. Ils supplient les ministres des Affaires étrangères et de la Défense de leur venir en aide, rapporte notre correspondante à Kaboul, Sonia Ghezzali.

Avec RFI

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