Ce lundi 11 octobre, la justice militaire ouvre à Ouagadougou, au Burkina Faso, le procès de l’assassinat de Thomas Sankara. Le leader de la révolution burkinabè, qui a pris le pouvoir par un coup d’État en 1983, a été tué avec 12 de ses collaborateurs, le 15 octobre 1987. Trente-quatre ans après les faits, ce procès peut enfin avoir lieu et les enjeux sont importants.
D’abord, ce procès devra faire la lumière sur les événements
du 15 octobre 1987 et déterminer notamment la chaîne de responsabilités. « Nous
voulons savoir qui a pris la décision, qui a commis l’acte, qui l’a soutenu et
pourquoi », résume Céline Bamouni, la fille de Paulin Bamouni, directeur de la
presse présidentielle de Thomas Sankara, tué à ses côtés.
Pour Aïda Kiemdé, fille de Frédéric Kiemdé, le conseiller
juridique de Thomas Sankara, également mort à ses côtés, ce procès est un
soulagement. « C’est le fruit d’un long combat judiciaire. Le règne de monsieur
Compaoré ayant duré plusieurs années, nous n’avons pas eu notre mot à dire.
Donc, cela a forcément suscité du désespoir. Certaines familles, notamment la
mienne, ont dû quitter le Burkina, ce qui m’a valu de ne pas vraiment connaître
mon pays, malheureusement, à cause de cet assassinat. Donc aujourd’hui, c’est
vraiment une lueur d’espoir ce procès. Et on espère que justice sera rendue et
qu’on aura la vérité après plusieurs années d’attente. »
Deux grands absents
Dans le dossier de l’instruction, plus d’une soixantaine de
témoins ont été entendus. Ils pourront être appelés à la barre. Les accusés
devront aussi s’expliquer, ils sont quatorze. Douze seront présents. En
revanche, Blaise Compaoré, l’ancien président du Burkina, et Hyacinthe Kafando,
soupçonné d’avoir mené le commando fatal à Sankara, seront jugés par contumace.
Le premier, réfugié en Côte d’Ivoire, a refusé de se présenter devant la
justice. Quant au deuxième, il a disparu depuis 2015.
C’est une déception pour Aïda Kiemdé : « C’est un procès que
tout le monde attend. Pas seulement nous les familles, le peuple burkinabè,
l’Afrique entière attend cette vérité. Ils ont une chance inouïe de pouvoir
venir pour une fois assumer et faire face à leurs responsabilités. On espère
malgré tout qu’on aura la vérité. »
Tribunal d'exception
Autre problème : c’est un tribunal militaire qui juge cette
affaire, car, au moment des faits, les acteurs principaux étaient militaires.
Pour Paul Zaïda, coordonnateur national du Cadre d’expression démocratique, une
organisation de la société civile, la vérité ne peut émaner d’une juridiction
d’exception.
« Un tribunal d’exception obéit à des ordres et à la
hiérarchie. Nous savons qu’il y a le commandement, mais il y a aussi le
président du Faso, qui est le chef suprême des armées. C’est vrai qu’il ne va
pas être présent pendant le procès, mais je pense qu’il aura des orientations à
donner. Donc, ça me paraît très difficile qu’il y ait la vérité par rapport à
ce dossier Thomas Sankara. »
Ce procès n’évoquera pas non plus la question du complot
international. Malgré des faisceaux d’indices évoquant une implication possible
de la Côte d’Ivoire ou de la France, le juge d’instruction n’a pas pu réunir
suffisamment d’éléments probants. La France notamment, n’a pas fourni toutes
les archives déclassifiées qui avaient été promises.
Un procès «
nécessaire »
Bien que ce procès soit imparfait, il reste néanmoins
nécessaire pour le Burkina, selon Ablassé Ouédraogo, ancien ministre des
Affaires étrangères et président du parti Le Faso autrement : « Moi, je vois
que ce procès a trois mérites : le premier, c’est de permettre d’avoir tout au
moins une partie de la vérité. Le deuxième sera de permettre aux gouvernants
actuels d’avancer sur la question de la réconciliation nationale. Et ce qui est
très important, c’est de tourner définitivement cette page triste du Burkina
Faso. Le dossier Thomas Sankara a contribué à rendre délétère l’ambiance
socio-politique pendant plus d’une trentaine d’années. C’était devenu
insupportable. »
Un grand dialogue pour la réconciliation au Burkina doit
s’ouvrir le 17 janvier prochain.
Avec RFI