Deux générations de Camerounais ont vu le jour sous la présidence de Paul Biya qui célèbrera dimanche 40 ans de règne sans partage que certains au Cameroun voudraient voir s’achever tout en redoutant l’instabilité qui s’en suivrait. À 89 ans et avec une santé fragile, le « sphinx » est — monarchies exceptées — le deuxième chef d’Etat au monde à la plus grande longévité encore au pouvoir, derrière son voisin de Guinée équatoriale, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo (plus de 43 ans).
A ses débuts, il promettait de placer son mandat sous le
signe du « Renouveau ». Mais dans ce vaste pays d’Afrique centrale, une frange
des moins de 40 ans l’espèrent toujours, après sept réélections.
« Quand j’étais petit, ça me paraissait normal de voir Paul
Biya président, c’était comme un roi pour moi. En grandissant j’ai découvert le
principe des élections », s’amuse Paul Bopda, 18 ans, étudiant en biologie à
l’Université Yaoundé I, la plus ancienne du Cameroun, qui accueille 72.000
étudiants.
Pour de nombreux jeunes Camerounais, l’alternance
démocratique demeure au mieux une idée abstraite et au pire une impasse : « Je
ne crois pas au changement politique mais, à son âge, il devrait laisser la
place aux jeunes », lance sa camarade Angela, 18 ans, qui préfère ne pas dire
son nom.
« On n’arrive plus à bien manger », se lamente-t-elle en
invoquant l’inflation sur les prix des biens essentiels.
-Huit millions de
pauvres-
Malgré ses ressources considérables, la première puissance
économique d’Afrique centrale compte plus de 8 millions de pauvres sur quelque
25 millions d’habitants.
Elle demeure engluée dans la tranche inférieure des pays à
revenus intermédiaires de la Banque mondiale, depuis de nombreuses années et
ce, en dépit des promesses répétées du pouvoir d’améliorer ce classement.
Dans les allées du marché central de Yaoundé « les affaires
tournent au ralenti », témoigne Christelle, 30 ans, vendeuse dans une boutique
d’électronique, qui dit gagner 50.000 francs CFA par mois (76 euros). « Il faut
de l’alternance, on ne peut pas avoir connu un seul président à 30 ans »,
ajoute la jeune femme, qui refuse elle aussi de donner son patronyme.
Pour d’autres commerçants, le chef de l’Etat ne peut être
accusé de tous les maux. « C’est un papa mais il ne peut pas être partout »,
estime Daniel Hector Ebaa en désignant une toiture jonchée de détritus : «
Regardez cette poubelle, ce n’est pas la faute de Biya, c’est la société qui
doit se prendre en main », assure ce père de famille de 43 ans.
La longévité au pouvoir peut aussi s’avérer gage de
stabilité, « surtout quand on compare notre situation à celle des pays
limitrophes », le Nigeria, le Tchad, la Centrafrique… note une démographe de 37
ans, au ministère de la Planification, invoquant son « devoir de réserve » pour
garder l’anonymat.
Pour les fonctionnaires, « on ne peut pas dire que tout est
noir, il y a des choses à améliorer », souligne-t-elle, en réclamant une
revalorisation des salaires et un « assainissement de la gouvernance ». Elle
dit gagner 210.000 francs CFA par mois (320 euros).
« Pire encore » ?
Le Cameroun fait également face à deux conflits sanglants,
contre les jihadistes dans l’extrême-nord et contre les indépendantistes armés
dans l’ouest peuplé par la minorité anglophone. Là, l’armée et les séparatistes
sont accusés de commettre des crimes contre les civils par les ONG et l’ONU.
Ce conflit a fait plus de 6.000 morts et déplacé plus d’un
million de personnes en moins de six ans, selon International Crisis Group.
« Paul Biya avait l’opportunité de résoudre la crise
anglophone sans la moindre perte en vie humaines, mais il n’a adopté que des
mesures de façade, avec mauvaise foi », estime Kevin Teboh Tekang, 33 ans,
enseignant dans un collège de Buéa, en zone anglophone.
« La plupart des jeunes anglophones sont encore au Cameroun
non pas par patriotisme, mais à cause de la pauvreté car ils n’ont pas les
moyens de quitter le pays », regrette-t-il.
La démographe au ministère de la Planification redoute une «
succession » et un plongeon dans une « instabilité qui pourrait nous faire
perdre une génération, alors que les jeunes sont le fer de lance de la Nation
».
Sur le campus de l’université de Yaoundé, Durand Djomou,
étudiant en biologie de 19 ans, ne parvient même pas à imaginer l’avenir sans
Paul Biya. « Ce qui est sûr, c’est qu’avec une autre personne, on ne sait pas
ce qui pourrait se passer et ça pourrait être encore pire », lâche-t-il.
Agence France Presse