Le conflit au Sahel fait chaque année plus de morts et les civils, pris dans un engrenage de massacres et de représailles, sont les premières victimes, révèlent statistiques et observateurs.
2.057 civils ont été tués au Mali, Niger et Burkina Faso
depuis le début de l'année 2022, soit déjà plus que les 2.021 recensés pour
toute l'année 2021, a constaté l'AFP à partir d'une compilation effectuée par l'ONG
spécialisée Acled.
Depuis 2022, à chaque mois son lot d'attaques. Et des noms
de villages résonnent désormais comme autant de massacres qui s’accumulent : en
juin, Diallassagou au centre du Mali (132 civils tués) et Seytenga au Burkina
Faso (86 civils tués). En mai, Madjoari, dans l'est du Burkina Faso, (une
cinquantaine de morts selon les autorités). En mars, Moura dans le centre du
Mali (300 civils tués par l'armée selon l'ONG Human Rights Watch) ...
Au total, selon Acled, 11.276 civils ont été tués dans les
trois pays sahéliens depuis le début du conflit en 2012.
"Nos familles meurent par centaines, et on a
l'impression que cela n'intéresse pas les gens", témoigne à l'AFP un
ressortissant malien de la région de Ménaka, également théâtre d'affrontements
meurtriers ces derniers mois.
Assis à Bamako, le regard vide, il déplore que les morts ne
se comptent parfois plus que par fourchette ("des dizaines, des
centaines"). "Quand ça se passe dans le nord du Mali dans le désert,
il n'y a pas souvent de communiqué de l'Etat", se désole-t-il.
"Alors on les enterre et on avance", conclut-il,
fataliste.
Entre 2012 et 2017, les morts de civils se comptaient par
centaines. Cela s'est subitement accéléré ensuite. Selon Acled, la barre des
1.000 morts civils par an au Sahel a été dépassée en 2018, celle des 2.000 en
2019.
De manière générale, la multiplication des massacres a fait
"doubler ces deux dernières années le nombre de victimes" au Sahel,
observe Mahamadou Abdouramahni, coordinateur au Niger de l'African Security
Sector Network (ASSN).
"Indifférence"
Au Sahel, "les civils meurent dans l'anonymat et
l'indifférence", corrobore un défenseur des droits de l'homme malien, qui
ne souhaite pas donner son nom. "Alors qu'il y en a de plus en plus
!", s'indigne-t-il.
Et la zone géographique des violences s'étend. D'abord
cantonnées au nord du Mali au début du conflit, elles ont gagné le centre et
les pays voisins, Burkina Faso et Niger. Aujourd'hui, elles se propagent vers
le sud du Mali, note Bokar Sangaré, rédacteur en chef du site d'information
malien Benbere. Et vers certains pays côtiers du golfe de Guinée, comme le
Togo, victime début mai de la première attaque jihadiste meurtrière officielle.
Les principaux acteurs du conflit sont pointés du doigt :
les armées nationales, la nébuleuse jihadiste d'Al-Qaïda ou encore le mouvement
affilié au groupe Etat islamique.
Ce dernier, qui opère principalement dans les régions
frontalières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso "a toujours été
dans une stratégie de violences à l'encontre des populations pour asseoir sa
domination", souligne M. Sangaré.
De nombreux observateurs attribuent le récent massacre de
Seytenga à l'Etat islamique, même s'il n'était toujours pas revendiqué lundi.
"Ils ouvraient les portes des maisons pour rentrer et exécuter",
"ils tiraient sur ceux qui tentaient de fuir", racontaient à l'AFP
des rescapés quelques jours plus tard.
Le nombre de civils tués dans des attaques attribuées à des
groupes extrémistes a quasiment doublé depuis 2020 et celui attribué aux forces
de défense "est reparti dramatiquement à la hausse début 2022", a
noté récemment la Coalition citoyenne pour le Sahel, une coalition d'ONG
ouest-africaines.
Malgré des années d'intervention militaire, les acteurs
présents (Etats, ONU, forces armées étrangères) ont été incapables d'enrayer
les violences contre les civils et les perspectives ne s'améliorent pas, disent
en chœur toutes les personnes interrogées.
Elles citent plusieurs raisons de s'inquiéter: une stratégie
toujours en place du "tout-militaire" unanimement adoptée en réponse
à l'expansion jihadiste (encore prouvée fin juin par la mise en place de
"zones d'intérêt militaire" où "toute présence humaine est interdite"
au Burkina Faso), l'incapacité des Etats à contrôler les immensités rurales où
prolifèrent les jihadistes, des amalgames toujours présents entre certaines
communautés nomades et le jihad, le retrait définitif des forces armées
française de Barkhane du sol malien à venir...
Ce retrait, programmé pour la fin de l'été, "aura des
conséquences sur la protection des civils", s'inquiétait début juin le
secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres.
AFP