Les nouveaux maîtres du Niger, ont donné 48 heures à l’ambassadeur de
France à Niamey pour quitter le pays. Cette brusque montée d’adrénaline dans
des relations déjà très tendues entre les deux Etats depuis le putsch qui a mis
fin au pouvoir du président Mohamed Bazoum, aux dires des autorités du régime
militaire, est liée au fait que Sylvain Itté a refusé, entre autres, de
répondre à un entretien organisé par le ministère nigérien des Affaires
étrangères. Paris a aussitôt réagi en déniant toute légitimité aux putschistes
à déclarer son représentant persona non grata au Niger. Cela dit, en
attendant de connaître le vainqueur de cette crise dans la crise, l’on peut se
demander ce que gagnent les deux parties dans ce bras de fer. Pour Paris, cet
épisode est l’occasion de rappeler sa fermeté de départ depuis le coup d’Etat :
la France ne reconnait pas le nouveau régime. Et derrière cette posture se joue
la question des intérêts français. En effet, au-delà de la présence des troupes
françaises de l’opération Barkhane rapatriées du Mali, il y a l’épineuse
question de la sécurité énergétique française liée à l’exploitation de
l’uranium nigérien dans un contexte international marqué par la crise
ukrainienne avec son corollaire, la fermeture du robinet du gaz et du pétrole
russe. L’enjeu, c’est aussi la problématique de la présence française au Sahel,
dans le nouveau contexte de regain d’intérêt pour l’Afrique, de nouveaux
concurrents comme la Russie, la Chine, l’Iran et la Turquie. La France joue sa
survie et on comprend qu’elle ne veuille pas se laisser conduire à l’abattoir
comme un mouton de sacrifice.
Les egos des acteurs ont pris le dessus sur le fond du dossier
Côté nigérien, ce nouveau pic
permet de galvaniser la rue en alimentant le sentiment anti-français qui est
aujourd’hui la recette politique la plus rentable en Afrique de l’Ouest, après
les accusations portées contre l’Hexagone de soutenir les groupes armés
terroristes et de piller les ressources du continent. Et le moins que l’on
puisse dire, est que cela fait mouche dans la mesure où se sont toutes les
écuries de l’anti-impérialisme en Afrique, qui sont sensibles au refus de la
France de quitter le Niger. Cette présence française forcée n’est ni plus ni
moins qu’une occupation de type colonial. Mieux, c’est aussi une manière pour
les putschistes de mettre la pression sur la France avec en sus, le risque que
celle-ci fasse recours à la force face à des manifestants incontrôlés qui
s’attaqueraient aux intérêts français.
Mais dans ce petit calcul fait par les deux parties, l’on peut se
demander si au change, elles gagnent. La France a-t-elle véritablement les
moyens, dans le contexte actuel, de maintenir son ambassadeur au Niger et à
quel prix ? Quelle est l’efficacité d’un
diplomate retranché dans son enclave diplomatique ? La sécurité même de
l’ambassadeur et des Français de façon générale au Niger, peut-elle être assurée
dans un tel contexte ? La France ne braque-t-elle pas davantage les putschistes
contre elle au moment où les initiatives pour une sortie négociée de crise, se
multiplient ? Du côté des putschistes, l’on peut aussi se demander si, en
raidissant leur position contre la France, ils ne la poussent pas à mettre
davantage la pression sur la CEDEAO pour qu’elle mette à exécution ses menaces
d’intervention militaire. Mais quels que
soient les intérêts et risques liés à ce bras de fer, cela profite à certains pays
qui ont aussi des intérêts stratégiques au Niger. Il s’agit notamment des
Américains et des Algériens qui ont nettement opté d’user des voies pacifiques
pour obtenir une sortie négociée de la crise. Et l’on est tenté de leur donner
raison. Et pour cause. Les guerres coloniales finissent toujours de la même
manière : la défaite tôt ou tard de l’envahisseur. Les USA et l’Algérie ont le
témoignage de leur histoire pour le confirmer. Mais les différentes parties
peuvent-elles encore entendre raison ? L’on peut en douter ; tant les egos des
acteurs ont pris le dessus sur le fond du dossier. Et pourtant, l’on peut
dépassionner les débats pour saisir la nouvelle opportunité que vient d’offrir
la levée du voile sur les premiers résultats rapportés par les missi dominici
de la CEDEAO : les militaires se disent prêts à toutes les concessions sauf le
retour de Bazoum au pouvoir. C’est le moment de faire preuve de réalisme en
saisissant la balle au bond.