En Afrique de l’Ouest, l’instrumentalisation des communautarismes à des fins politiques a déjà eu de lourdes conséquences par le passé.
Dans le discours controversé qu'il a prononcé du haut de la tribune des Nations unies le 24 septembre dernier, le Premier ministre malien par intérim, M. Abdoulaye Maïga, a qualifié d’étranger le président du Niger, M. Bazoum, faisant sans doute allusion aux origines arabes de celui-ci. Cette malheureuse sortie nous pousse à émettre deux remarques. De même qu’un ministre français – surtout celui des Affaires étrangères – n’a pas à décerner un certificat de légitimité à un gouvernement malien, un Premier ministre malien n’a pas à décréter qui est Nigérien et qui ne l’est pas (il a autre chose à faire, surtout par les temps qui courent !).
D’autre part, en ce moment crucial où, accablée de misère et
de crises de toutes sortes, l’Afrique cherche confusément l’union salvatrice,
ce propos xénophobe sonne comme une hérésie dans la bouche d’un homme d’État de
cette envergure, surtout dans cet espace soudano-sahélien, où depuis toujours
le brassage a été la règle.
Puissants empires et
royaumes
Les puissants empires et royaumes qui s’y sont succédé et le
génie assimilateur de l’islam y ont largement favorisé le mélange des langues,
des ethnies et des races. En tout état de cause, les Peuls, les Mandingues, les
Songhaïs et les Arabes ne sont étrangers nulle part dans cette portion du
continent : pas un recoin qu’ils n’aient foulé ; pas une ethnie à laquelle ils
n’aient mêlé leur sang !
C’est le moment ou jamais de tordre le cou à cette idée
reçue selon laquelle il existerait une Afrique noire et une Afrique blanche. Le
Sahara n’a jamais été une frontière, une barrière infranchissable. C’est un
placenta civilisationnel. Noirs et Sémitiques ont toujours vécu ensemble, que
ce soit au bord du Nil ou au cœur du Sahara. Ils ont peuplé l’Égypte ancienne
où leur brassage a donné ce que les contemporains des pharaons ont appelé la
race intermédiaire. Entendez, les Éthiopiens, les Somaliens, les Soudanais, les
Toubous, les Peuls, les Touaregs et même une bonne partie des Mandingues.
Le Premier ministre Maïga sait qu’il y a des Arabes dans son
pays, le Mali, surtout à Tombouctou, ville dont il est probablement originaire.
Il en existe en Mauritanie, au Niger, au Tchad, même au nord du Cameroun. Si on
y ajoute les diasporas libanaises, l’Arabe devient aussi commun que la plus
autochtone de nos ethnies. Quant au Maghreb, cette fausse Afrique blanche, que
l’on me montre donc un seul bled qui n’a pas ses Noirs ! Les Noirs et les
Arabo-berbères ne sont pas étrangers les uns aux autres en dépit des
vicissitudes de l’Histoire.
Appel à un sursaut
panafricain
Le panafricanisme doit commencer à la maison. Si nous
cultivons la tolérance ethnique, raciale et religieuse dans nos familles et
dans nos villages, l’unité africaine se fera d’elle-même. Regardons autour de
nous : le maire d’Amsterdam est un Marocain d’origine, celui de Londres, un
Pakistanais. Le nouveau Premier ministre britannique est un Indien. Il y a
quelques jours, le ministre des Finances du roi Charles III était un Ghanéen.
Et nous, nous en sommes encore à nous demander si le Dioula de Côte d’Ivoire
est Ivoirien, si le peul de Guinée est Guinéen, si l’Arabe du Niger est
Nigérien, si le Bamiléké du Cameroun est camerounais, si le Soninké de
Mauritanie est Mauritanien, si le Noir de Tunisie est tunisien…
Triste Afrique !
Source : Le Point