Crise malienne : la Russie réussira-t-elle à effacer la France ?

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  • 10 février 2022 10:02

  • Politique

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L’incursion d’un nouvel acteur dans la géopolitique ouest africaine, en l’occurrence la Russie, a changé les données de la crise malienne. Il en découle de nouveaux enjeux stratégiques dans les relations internationales au Sahel. La Russie tient le bon bout, la France peine à convaincre au moment où la Transition est conduite par le M5 RFP, mouvement hétéroclite qui avait précipité la chute du Président Ibrahim Boubacar Keita.

Une nouvelle donne s’ajoute à l’équation malienne avec la volonté de la France de mettre fin à l’opération « Barkhane » et de réduire substantiellement le nombre de ses soldats présents sur le théâtre des opérations ; ce qui n’est pas du goût des autorités qui l’ont fait savoir par la voix de Monsieur Choguel Maiga, Premier Ministre qui, du haut de l’Assemblée générale des Nations Unies en Septembre 2020, lance les premières salves. Il accuse ainsi la France « d’avoir abandonné son pays en plein vol » l’obligeant « à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome avec d’autres partenaires ». 

En s’exprimant ainsi, le Premier Ministre informait, en filigrane, la communauté internationale de la décision de son pays d’asseoir les bases d’une coopération militaire avec la Russie pour reconstruire son appareil sécuritaire. Ses propos étaient suffisants pour faire sortir le Président français de ses gongs. Ce dernier qualifie, ainsi, le Premier Ministre malien « d’Enfant de deux coups d’Etat », « à la tête d’un gouvernement à la légitimité démocratique nulle » avant de fustiger l’alliance nouée avec des mercenaires de la société militaire privée russe WAGNER dont il juge la présence sur le terrain incompatible avec le partenariat établi avec le Mali.

La désapprobation de la communauté internationale de la présence de « mercenaires » russes au Mali met le ministre des Affaires étrangères Abdoulaye DIOP dans tous ses états. Il déclare dans un communiqué publié le 19 septembre 2021 que dans le cadre de l’exercice de sa "souveraineté" et "le souci de préserver son intégrité territoriale » que le Mali « ne permettra à aucun Etat de faire des choix à sa place et encore moins de décider quels partenaires il peut solliciter ou pas ». Le gouvernement dira plus tard être engagé dans une coopération d’Etat à Etat avec la fédération de Russie. Concomitamment à la concrétisation de cette coopération, la France déroule son plan de retrait du Mali en libérant trois bases militaires (Tombouctou, Kidal et GAO) transférées à l’armée malienne au moment où des formateurs russes débarquent dans le pays avec du matériel militaire pour la reconquête du nord occupé.

Partir ou rester ? Le dilemme sahélien

En fait, le rôle de la France dans la crise au Sahel n’est-elle pas de soutenir les Etats concernés pour lutter contre le terrorisme ? Pourquoi cette hystérie suivie d’une agitation sans précédent ? Pourquoi, la France qui ne partage plus la même vision que l’Etat censé être soutenu, s’accroche sur le sol malien ? Pourquoi le Tchad dont le gouvernement est issu d’un coup de force ne connait il pas la même réprobation ? Partir ou rester, voilà le dilemme auquel la France fait face au Mali.

Aussi, en s’exprimant sur le rejet des autorités de la Transition du déploiement des troupes danoises dans le cadre de la Force TAKOUBA, le chef de la diplomatie française soutient que son pays ne restera pas à tout prix au Mali au regard du fait que la situation est intenable et que la « Junte » au pouvoir était hors contrôle. Ce à quoi, les autorités maliennes ont riposté en ordonnant à l’Ambassadeur de la France de quitter leur pays dans 72h en justifiant leur décision par les propos outrageux tenus par Monsieur Yves Le Drian à leur endroit. Quel avenir pour les relations franco maliennes ? Dans tous les cas, pendant que le torchon brûle entre les deux pays, la Russie renforce et consolide sa position au Mali.

La France est présente dans le Sahel pour aider à lutter contre le terrorisme mais aussi et surtout pour veiller sur ses intérêts liés, dit-on, au contrôle des énormes ressources naturelles soupçonnées dans cette région. Il est curieux qu’au terme de 7 ans passés dans la région avec une force de 5.000 hommes, le pays de Macron ne parvient pas à réussir à inverser le cours des évènements par la pacification et la réunification territoriale du pays. Certes, la France a remporté des victoires sur les groupes extrémistes armés mais des victoires plutôt tactiques que stratégiques de sorte à ce que le statu quo soit toujours maintenu. Cet état de fait conforte certains analystes dans l’idée selon laquelle la partition du Mali en deux pays est un projet secrètement mijoté. Si on ne peut lui reprocher de défendre ses intérêts en tant qu’Etat, il n’en demeure pas moins que la France doit prendre conscience qu’elle a affaire à des pays souverains à qui elle doit le respect et la considération. Elle doit leur reconnaitre la possibilité de décider de leur propre devenir.

Le moins que l’on puisse dire est que l’attitude de la France vis-à-vis de la crise malienne est teintée de paternalisme et de condescendance qui expliquent le développement du sentiment anti -français auprès de la jeunesse et de la société civile. Aussi, que les autorités de la transition sortent indemnes de cet exercice de libre arbitre serait considéré comme un crime de lèse-majesté, un affront et un mauvais exemple à donner aux autres pays. A ce propos, il n’est pas difficile de comprendre que la France soit à la pointe du combat à l’échelle internationale en actionnant les leviers diplomatiques et économiques visant à mettre en échec les velléités d’affranchissement de son joug dont fait montre le pouvoir militaire au Mali. La résolution qu’elle a proposée au Conseil de Sécurité et rejetée par la Chine et la Russie participe de cette stratégie. Au demeurant, même si le soutien des russes rassure, les militaires au pouvoir doivent bien surveiller leur arrière car l’ancienne puissance coloniale ne renoncerait pas aussi facilement à corriger l’audace et l’outrecuidance dont ils ont fait preuve à son égard.

La CEDEAO, une organisation au service de qui ?

Il est vrai qu’une transition de 5 ans correspondant à un mandat d’un président démocratiquement élu, pendant lequel l’ordre constitutionnel est mis en suspense, peut être jugée assez longue. Toutefois, il ne sert aussi à rien de reprendre la formule qui n’a pas donné dans le passé de résultats probants. La simple organisation d’élections ne peut être considérée comme une panacée dans un pays divisé et embourbé dans de multiples contradictions. Il s’agit moins d’élire des personnes que de remettre le pays durablement sur la voie de la paix, la démocratie et du développement économique et social. Dès lors, recouvrir l’intégrité territoriale du pays, créer un continuum sécuritaire du Sud au Nord et refonder l’Etat doivent constituer les axes stratégiques d’intervention qui doivent mobiliser tous les acteurs nationaux et internationaux pour éviter de retourner à la case de départ. Il va sans dire que la réalisation du plan d’opérations qui sous-tend la matérialisation de tels axes ne saurait être envisagée dans le court terme mais dans le moyen et long terme avec des ressources financières importantes.

La pression exercée sur le Mali est telle qu’il est difficile d’écarter l’hypothèse selon laquelle la France aurait inspiré les lourdes sanctions que la CEDEAO a prises contre ce pays après que la durée de la transition ait été fixée à une période de 5 ans par les assises de Bamako. Lesdites sanctions sont manifestement excessives et contreproductives en ce sens qu’elles ne s’inscrivent pas dans une perspective de facilitation et de rapprochement des positions mais elles sont de nature à accentuer la crise économique tendant à précariser davantage les conditions de vie des populations vulnérables déjà durement éprouvées par la crise. D’ailleurs, n’est-t-il pas couru le risque d’assister au retrait du Mali de la CEDEAO et l’UEMOA pour desserrer l’étau ?

 

Sans aucun diktat, l’organisation aurait dû œuvrer pour amener les différents acteurs à se mettre d’accord sur l’horizon de la transition, peu importe la durée pourvu qu’elle soit consensuelle, mais aussi et surtout sur les réformes institutionnelles à entamer durant la période considérée pour ramener le pays à l’ordre constitutionnel. Malheureusement, tout porte à croire que la Conférence des Chefs d’Etat a suivi la France dans sa détermination à punir le Mali ; ce faisant, elle est vraiment passée à côté. Cette attitude amène à s’interroger si la CEDEAO ne constitue-t-elle pas un facteur déclencheur de conflits violents en Afrique de l’Ouest. Comment comprendre son inaction et son inertie face aux tripatouillages et coups d’Etat constitutionnels opérés par des Présidents qui n’ont certainement pas manqué d’être relevés par son système d’alerte précoce comme facteurs de risques.

La mal gouvernance, la corruption et le népotisme qui caractérisent bien des Etats membres ne seraient-ils pas à l’origine de la recrudescence des Coups d’Etat auxquels elle n’a pas encore trouvé la solution malgré sa chartre de bonne gouvernance. Le dernier en date est celui intervenu au Burkina Faso où des militaires ont déposé le Président Kaboré qui vient à peine d’être réélu.

En effet, la CEDEAO est perçue par les citoyens communautaires comme un syndicat au service des chefs d’Etat et non des peuples, caractérisée par une bureaucratie grassement entretenue par les maigres ressources des Etats membres. Le moment est venu pour revisiter les orientations, l’organisation et le fonctionnement de la CEDEAO pour en faire un véritable instrument de bonne gouvernance, de promotion de la démocratie, de l’intégration économique pour le développement de la sous-région ouest africaine.

Mali, un gigantesque territoire difficile à contrôler

Composante du système de conflit Sahélo-Saharien, la crise malienne est circonscrite dans la zone dite des trois frontières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso qui s’étendent sur de vastes espaces désertiques où vivent des communautés appartenant à des réalités socio-culturelles diverses.

Le Mali a une superficie de 1.200. Km2. Cette vaste étendue du pays fait qu’elle échappe au contrôle de l’Etat qui n’y exerce pratiquement pas sa souveraineté à cause de sa faible présence. Les communautés y vivent dans la précarité et la pauvreté expliquant le repli sur elles-mêmes, privées qu’elles sont de l’assistance et du soutien de l’Etat Central. Aussi, les conditions étaient-elles remplies pour la sanctuarisation de la zone par des groupes extrémistes rebelles (Touaregs) et islamistes qui mènent une lutte armée politique contre le régime en place sous la bannière de l’identité culturelle et de la religion.

En 2012, ces groupes ont attaqué et ont tenu tête aux Forces Armées Maliennes en leur infligeant de lourdes pertes faisant entrer le pays dans une profonde crise dont le point culminant a été le Coup d’Etat du 22 Mars 2012renversant le général Toumani Touré et consacrant l’arrivée d’une junte militaire dirigée par le Capitaine SANOGO. Celle-ci s’emparait du pouvoir, suspendait la constitution, dissolvait les institutions de la république et créait un Comité National pour le Redressement de la Démocratie et la Restauration de l’Etat.

Le gouvernement civil mis en place et dirigé par Cheikh Modibo Keita sous la présidence Diocounda Traoré n’a pu dérouler sa feuille de route portant sur le rétablissement de l’intégrité territoriale du pays et l’organisation d’élections libres et transparentes. En fait, les islamistes se faisaient de plus en plus menaçants après avoir pris possession des villes de Kidal, GAO et Tombouctou mais aussi et surtout de la ville stratégique de KONA, située seulement à 70km de Mopti, faisaient cap sur Bamako. Face à l’impuissance de l’armée malienne, la France, invoquant les accords de défense les liant au Mali, intervint à travers l’opération SERVAL le 11 Janvier 2013 pour stopper l’avancée inexorable des troupes islamistes vers la capitale. Cette opération a été relayée plus tard par l’Opération BARKHANE, appuyée par la force internationale, la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA) en janvier 2013 avant que les Nations Unies ne déploient la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA).

L’élection présidentielle tenue en Juillet-Aout 2013, sous la supervision de la mission d’observation de la CEDEAO dirigée par Monsieur John KUFUOR, ex président du Ghana, mit fin à cette épisode.  Ibrahim Boubacar KEITA est ainsi élu Président à la suite d’un scrutin jugé sincère et transparent. Dans sa tentative de reconquérir le Nord en usant de la force, le nouveau gouvernement essuyait un échec cuisant l’obligeant à signer, sous la médiation de l’Algérie, un Accord de paix dit « Accord d’Alger » avec les rebelles le 15 Juin 2015.La suite est connue. La gouvernance du Président IBK avait montré ses limites quant à la réunification du pays et la promotion de la paix et de la sécurité. Les attaques des groupes Djihadistes contre les militaires et la population civile s’intensifiaient en dépit de la présence des forces Barkhane et MINUSMA. C’est dans ce contexte de déliquescence de l’Etat que le Président IBK parvient à se faire réélire une deuxième fois avec 67,17 % des voix en juillet 2018 dans un scrutin marqué par l’absence de son principal challenger Soumaïla Cissé pris en otage au Nord du pays.

Le second mandat d’IBK n’a pas baissé la tension dans le pays. Bien au contraire, la contestation appelant à la désobéissance civile, aiguillonnée par leM5-RFP et l’Imam DICKO, était persistante. Ainsi, l’agitation politique permanente entretenue entraine la paralysie du pays et subséquemment la chute du régime avec le Coup d’État du 18 Août 2020effectué par de jeunes colonels. Le Conseil National de Salut du Peuple qu’ils ont mis en place a été remplacé par le Conseil National de Transition avec un Président (Bah NDAW), un Vice-Président (Colonel GOITA) et un gouvernement dirigé par un Premier Ministre (Moctar Ouane) pour conduire une transition de 18 mois devant déboucher sur des élections générales en Février 2022.

Sur fond de tempête socio-politique et de lutte d’influence entre le Président de la transition et de Colonels putschistes, le remaniement du 14 Mai 2021 précipite le départ de l’équipe de la transition dissoute par la junte au motif qu’elle aurait enfreint la charte de la transition en écartant ses éléments du Gouvernement sans l’avis du Vice-Président. Ainsi, à l’intervalle de neuf mois, le Mali enregistre deux coups d’Etat, installant le pays dans une zone de turbulences et une crise dont les conséquences auraient probablement des impacts négatifs sur les pays voisins.

C’est pourquoi, pour aider à trouver une sortie de crise au Mali mais aussi défendre ses intérêts économiques, le Sénégal devrait porter sa casquette de facilitateur et de médiateur en usant de ses atouts liés au partage de l’histoire et de la géographie avec le peuple malien. Cette démarche serait opportune du fait que le Président Macky SALL va assumer la charge de la présidence de l’Union Africaine dès le mois de Février 2022. Cette posture donnera l’opportunité au Président du Sénégal de prendre des initiatives sur le plan diplomatique afin de faire lever immédiatement les sanctions contre le Mali et de créer les conditions d’un dialogue inclusif pour s’atteler à l’avènement de la paix et de la sécurité ainsi qu’au retour à l’ordre constitutionnel dans ce pays voisin du Sénégal.

Pape Aliou SECK Economiste de développement_ Gestionnaire de projets                                              Master en défense paix et sécurité                                                                                                                    

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