L’incursion d’un nouvel acteur dans la géopolitique ouest africaine, en l’occurrence la Russie, a changé les données de la crise malienne. Il en découle de nouveaux enjeux stratégiques dans les relations internationales au Sahel. La Russie tient le bon bout, la France peine à convaincre au moment où la Transition est conduite par le M5 RFP, mouvement hétéroclite qui avait précipité la chute du Président Ibrahim Boubacar Keita.
Une nouvelle donne s’ajoute à l’équation malienne avec la
volonté de la France de mettre fin à l’opération « Barkhane » et de réduire
substantiellement le nombre de ses soldats présents sur le théâtre des
opérations ; ce qui n’est pas du goût des autorités qui l’ont fait savoir par
la voix de Monsieur Choguel Maiga, Premier Ministre qui, du haut de l’Assemblée
générale des Nations Unies en Septembre 2020, lance les premières salves. Il
accuse ainsi la France « d’avoir abandonné son pays en plein vol » l’obligeant
« à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière
autonome avec d’autres partenaires ».
En s’exprimant ainsi, le Premier Ministre informait, en
filigrane, la communauté internationale de la décision de son pays d’asseoir
les bases d’une coopération militaire avec la Russie pour reconstruire son
appareil sécuritaire. Ses propos étaient suffisants pour faire sortir le
Président français de ses gongs. Ce dernier qualifie, ainsi, le Premier
Ministre malien « d’Enfant de deux coups d’Etat », « à la tête d’un
gouvernement à la légitimité démocratique nulle » avant de fustiger l’alliance
nouée avec des mercenaires de la société militaire privée russe WAGNER dont il
juge la présence sur le terrain incompatible avec le partenariat établi avec le
Mali.
La désapprobation de la communauté internationale de la
présence de « mercenaires » russes au Mali met le ministre des Affaires
étrangères Abdoulaye DIOP dans tous ses états. Il déclare dans un communiqué
publié le 19 septembre 2021 que dans le cadre de l’exercice de sa
"souveraineté" et "le souci de préserver son intégrité
territoriale » que le Mali « ne permettra à aucun Etat de faire des choix à sa
place et encore moins de décider quels partenaires il peut solliciter ou pas ».
Le gouvernement dira plus tard être engagé dans une coopération d’Etat à Etat
avec la fédération de Russie. Concomitamment à la concrétisation de cette
coopération, la France déroule son plan de retrait du Mali en libérant trois
bases militaires (Tombouctou, Kidal et GAO) transférées à l’armée malienne au
moment où des formateurs russes débarquent dans le pays avec du matériel
militaire pour la reconquête du nord occupé.
Partir ou rester ? Le
dilemme sahélien
En fait, le rôle de la France dans la crise au Sahel
n’est-elle pas de soutenir les Etats concernés pour lutter contre le terrorisme
? Pourquoi cette hystérie suivie d’une agitation sans précédent ? Pourquoi, la
France qui ne partage plus la même vision que l’Etat censé être soutenu,
s’accroche sur le sol malien ? Pourquoi le Tchad dont le gouvernement est issu
d’un coup de force ne connait il pas la même réprobation ? Partir ou rester,
voilà le dilemme auquel la France fait face au Mali.
Aussi, en s’exprimant sur le rejet des autorités de la
Transition du déploiement des troupes danoises dans le cadre de la Force
TAKOUBA, le chef de la diplomatie française soutient que son pays ne restera
pas à tout prix au Mali au regard du fait que la situation est intenable et que
la « Junte » au pouvoir était hors contrôle. Ce à quoi, les autorités maliennes
ont riposté en ordonnant à l’Ambassadeur de la France de quitter leur pays dans
72h en justifiant leur décision par les propos outrageux tenus par Monsieur
Yves Le Drian à leur endroit. Quel avenir pour les relations franco maliennes ?
Dans tous les cas, pendant que le torchon brûle entre les deux pays, la Russie
renforce et consolide sa position au Mali.
La France est présente dans le Sahel pour aider à lutter
contre le terrorisme mais aussi et surtout pour veiller sur ses intérêts liés, dit-on,
au contrôle des énormes ressources naturelles soupçonnées dans cette région. Il
est curieux qu’au terme de 7 ans passés dans la région avec une force de 5.000
hommes, le pays de Macron ne parvient pas à réussir à inverser le cours des
évènements par la pacification et la réunification territoriale du pays.
Certes, la France a remporté des victoires sur les groupes extrémistes armés
mais des victoires plutôt tactiques que stratégiques de sorte à ce que le statu
quo soit toujours maintenu. Cet état de fait conforte certains analystes dans
l’idée selon laquelle la partition du Mali en deux pays est un projet
secrètement mijoté. Si on ne peut lui reprocher de défendre ses intérêts en
tant qu’Etat, il n’en demeure pas moins que la France doit prendre conscience
qu’elle a affaire à des pays souverains à qui elle doit le respect et la
considération. Elle doit leur reconnaitre la possibilité de décider de leur
propre devenir.
Le moins que l’on puisse dire est que l’attitude de la
France vis-à-vis de la crise malienne est teintée de paternalisme et de
condescendance qui expliquent le développement du sentiment anti -français
auprès de la jeunesse et de la société civile. Aussi, que les autorités de la
transition sortent indemnes de cet exercice de libre arbitre serait considéré
comme un crime de lèse-majesté, un affront et un mauvais exemple à donner aux
autres pays. A ce propos, il n’est pas difficile de comprendre que la France
soit à la pointe du combat à l’échelle internationale en actionnant les leviers
diplomatiques et économiques visant à mettre en échec les velléités
d’affranchissement de son joug dont fait montre le pouvoir militaire au Mali.
La résolution qu’elle a proposée au Conseil de Sécurité et rejetée par la Chine
et la Russie participe de cette stratégie. Au demeurant, même si le soutien des
russes rassure, les militaires au pouvoir doivent bien surveiller leur arrière
car l’ancienne puissance coloniale ne renoncerait pas aussi facilement à
corriger l’audace et l’outrecuidance dont ils ont fait preuve à son égard.
La CEDEAO, une
organisation au service de qui ?
Il est vrai qu’une transition de 5 ans correspondant à un
mandat d’un président démocratiquement élu, pendant lequel l’ordre
constitutionnel est mis en suspense, peut être jugée assez longue. Toutefois,
il ne sert aussi à rien de reprendre la formule qui n’a pas donné dans le passé
de résultats probants. La simple organisation d’élections ne peut être
considérée comme une panacée dans un pays divisé et embourbé dans de multiples
contradictions. Il s’agit moins d’élire des personnes que de remettre le pays
durablement sur la voie de la paix, la démocratie et du développement
économique et social. Dès lors, recouvrir l’intégrité territoriale du pays, créer
un continuum sécuritaire du Sud au Nord et refonder l’Etat doivent constituer
les axes stratégiques d’intervention qui doivent mobiliser tous les acteurs
nationaux et internationaux pour éviter de retourner à la case de départ. Il va
sans dire que la réalisation du plan d’opérations qui sous-tend la
matérialisation de tels axes ne saurait être envisagée dans le court terme mais
dans le moyen et long terme avec des ressources financières importantes.
La pression exercée sur le Mali est telle qu’il est difficile
d’écarter l’hypothèse selon laquelle la France aurait inspiré les lourdes
sanctions que la CEDEAO a prises contre ce pays après que la durée de la
transition ait été fixée à une période de 5 ans par les assises de Bamako.
Lesdites sanctions sont manifestement excessives et contreproductives en ce
sens qu’elles ne s’inscrivent pas dans une perspective de facilitation et de
rapprochement des positions mais elles sont de nature à accentuer la crise
économique tendant à précariser davantage les conditions de vie des populations
vulnérables déjà durement éprouvées par la crise. D’ailleurs, n’est-t-il pas
couru le risque d’assister au retrait du Mali de la CEDEAO et l’UEMOA pour
desserrer l’étau ?
Sans aucun diktat, l’organisation aurait dû œuvrer pour amener
les différents acteurs à se mettre d’accord sur l’horizon de la transition, peu
importe la durée pourvu qu’elle soit consensuelle, mais aussi et surtout sur
les réformes institutionnelles à entamer durant la période considérée pour
ramener le pays à l’ordre constitutionnel. Malheureusement, tout porte à croire
que la Conférence des Chefs d’Etat a suivi la France dans sa détermination à
punir le Mali ; ce faisant, elle est vraiment passée à côté. Cette attitude
amène à s’interroger si la CEDEAO ne constitue-t-elle pas un facteur
déclencheur de conflits violents en Afrique de l’Ouest. Comment comprendre son
inaction et son inertie face aux tripatouillages et coups d’Etat
constitutionnels opérés par des Présidents qui n’ont certainement pas manqué
d’être relevés par son système d’alerte précoce comme facteurs de risques.
La mal gouvernance, la corruption et le népotisme qui
caractérisent bien des Etats membres ne seraient-ils pas à l’origine de la
recrudescence des Coups d’Etat auxquels elle n’a pas encore trouvé la solution
malgré sa chartre de bonne gouvernance. Le dernier en date est celui intervenu
au Burkina Faso où des militaires ont déposé le Président Kaboré qui vient à
peine d’être réélu.
En effet, la CEDEAO est perçue par les citoyens
communautaires comme un syndicat au service des chefs d’Etat et non des
peuples, caractérisée par une bureaucratie grassement entretenue par les
maigres ressources des Etats membres. Le moment est venu pour revisiter les
orientations, l’organisation et le fonctionnement de la CEDEAO pour en faire un
véritable instrument de bonne gouvernance, de promotion de la démocratie, de
l’intégration économique pour le développement de la sous-région ouest
africaine.
Mali, un gigantesque
territoire difficile à contrôler
Composante du système de conflit Sahélo-Saharien, la crise
malienne est circonscrite dans la zone dite des trois frontières entre le Mali,
le Niger et le Burkina Faso qui s’étendent sur de vastes espaces désertiques où
vivent des communautés appartenant à des réalités socio-culturelles diverses.
Le Mali a une superficie de 1.200. Km2. Cette vaste étendue
du pays fait qu’elle échappe au contrôle de l’Etat qui n’y exerce pratiquement
pas sa souveraineté à cause de sa faible présence. Les communautés y vivent
dans la précarité et la pauvreté expliquant le repli sur elles-mêmes, privées
qu’elles sont de l’assistance et du soutien de l’Etat Central. Aussi, les
conditions étaient-elles remplies pour la sanctuarisation de la zone par des
groupes extrémistes rebelles (Touaregs) et islamistes qui mènent une lutte
armée politique contre le régime en place sous la bannière de l’identité
culturelle et de la religion.
En 2012, ces groupes ont attaqué et ont tenu tête aux Forces
Armées Maliennes en leur infligeant de lourdes pertes faisant entrer le pays
dans une profonde crise dont le point culminant a été le Coup d’Etat du 22 Mars
2012renversant le général Toumani Touré et consacrant l’arrivée d’une junte
militaire dirigée par le Capitaine SANOGO. Celle-ci s’emparait du pouvoir,
suspendait la constitution, dissolvait les institutions de la république et
créait un Comité National pour le Redressement de la Démocratie et la
Restauration de l’Etat.
Le gouvernement civil mis en place et dirigé par Cheikh
Modibo Keita sous la présidence Diocounda Traoré n’a pu dérouler sa feuille de
route portant sur le rétablissement de l’intégrité territoriale du pays et
l’organisation d’élections libres et transparentes. En fait, les islamistes se
faisaient de plus en plus menaçants après avoir pris possession des villes de
Kidal, GAO et Tombouctou mais aussi et surtout de la ville stratégique de KONA,
située seulement à 70km de Mopti, faisaient cap sur Bamako. Face à
l’impuissance de l’armée malienne, la France, invoquant les accords de défense
les liant au Mali, intervint à travers l’opération SERVAL le 11 Janvier 2013
pour stopper l’avancée inexorable des troupes islamistes vers la capitale. Cette
opération a été relayée plus tard par l’Opération BARKHANE, appuyée par la
force internationale, la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA) en
janvier 2013 avant que les Nations Unies ne déploient la Mission
multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali
(MINUSMA).
L’élection présidentielle tenue en Juillet-Aout 2013, sous
la supervision de la mission d’observation de la CEDEAO dirigée par Monsieur
John KUFUOR, ex président du Ghana, mit fin à cette épisode. Ibrahim Boubacar KEITA est ainsi élu
Président à la suite d’un scrutin jugé sincère et transparent. Dans sa
tentative de reconquérir le Nord en usant de la force, le nouveau gouvernement
essuyait un échec cuisant l’obligeant à signer, sous la médiation de l’Algérie,
un Accord de paix dit « Accord d’Alger » avec les rebelles le 15 Juin 2015.La
suite est connue. La gouvernance du Président IBK avait montré ses limites
quant à la réunification du pays et la promotion de la paix et de la sécurité.
Les attaques des groupes Djihadistes contre les militaires et la population
civile s’intensifiaient en dépit de la présence des forces Barkhane et MINUSMA.
C’est dans ce contexte de déliquescence de l’Etat que le Président IBK parvient
à se faire réélire une deuxième fois avec 67,17 % des voix en juillet 2018 dans
un scrutin marqué par l’absence de son principal challenger Soumaïla Cissé pris
en otage au Nord du pays.
Le second mandat d’IBK n’a pas baissé la tension dans le
pays. Bien au contraire, la contestation appelant à la désobéissance civile,
aiguillonnée par leM5-RFP et l’Imam DICKO, était persistante. Ainsi,
l’agitation politique permanente entretenue entraine la paralysie du pays et
subséquemment la chute du régime avec le Coup d’État du 18 Août 2020effectué
par de jeunes colonels. Le Conseil National de Salut du Peuple qu’ils ont mis
en place a été remplacé par le Conseil National de Transition avec un Président
(Bah NDAW), un Vice-Président (Colonel GOITA) et un gouvernement dirigé par un
Premier Ministre (Moctar Ouane) pour conduire une transition de 18 mois devant
déboucher sur des élections générales en Février 2022.
Sur fond de tempête socio-politique et de lutte d’influence
entre le Président de la transition et de Colonels putschistes, le remaniement
du 14 Mai 2021 précipite le départ de l’équipe de la transition dissoute par la
junte au motif qu’elle aurait enfreint la charte de la transition en écartant
ses éléments du Gouvernement sans l’avis du Vice-Président. Ainsi, à
l’intervalle de neuf mois, le Mali enregistre deux coups d’Etat, installant le
pays dans une zone de turbulences et une crise dont les conséquences auraient
probablement des impacts négatifs sur les pays voisins.
C’est pourquoi, pour aider à trouver une sortie de crise au
Mali mais aussi défendre ses intérêts économiques, le Sénégal devrait porter sa
casquette de facilitateur et de médiateur en usant de ses atouts liés au
partage de l’histoire et de la géographie avec le peuple malien. Cette démarche
serait opportune du fait que le Président Macky SALL va assumer la charge de la
présidence de l’Union Africaine dès le mois de Février 2022. Cette posture
donnera l’opportunité au Président du Sénégal de prendre des initiatives sur le
plan diplomatique afin de faire lever immédiatement les sanctions contre le
Mali et de créer les conditions d’un dialogue inclusif pour s’atteler à
l’avènement de la paix et de la sécurité ainsi qu’au retour à l’ordre
constitutionnel dans ce pays voisin du Sénégal.
Pape Aliou SECK
Economiste de développement_ Gestionnaire de projets Master
en défense paix et sécurité