Le Qatar de nouveau sous le feu des critiques sur le sort réservé aux travailleurs étrangers employés sur les chantiers des stades de la Coupe du monde. Dans un rapport publié jeudi, l’ONG britannique Equidem dénonce un système de « discrimination et l’exploitation », qui, selon elle, persiste malgré les réformes du droit du travail, menées par le Qatar. L’ONG s’appuie sur les témoignages d’une soixantaine de migrants, principalement népalais, indiens et kényans.
Dennis à 38 ans. En 2020, il décide de partir travailler au
Qatar dans l’espoir d’y trouver un meilleur salaire qu’au Kenya. Une agence de
recrutement lui promet un contrat d’officier de sécurité dans un hôtel réputé
de Doha. Mais dès l’arrivée au Qatar, c’est la désillusion : « On est venu me
chercher à l’aéroport pour me conduire à l’endroit où je devais travailler. Et
je me suis retrouvé dans une entreprise de construction à porter des briques,
comme un aide-maçon. Ce n’est pas du tout ce à quoi je m’attendais. Mais je
n’avais pas le choix, il fallait travailler. »
Et d’autant moins le choix qu’au Kenya, Dennis s’est endetté
pour payer son agence de recrutement 1 300 dollars pour un contrat dont aucune
clause ne sera respectée : ni la fonction, ni le salaire qui sera finalement de
30% de moins qu’annoncé pour un rythme de travail effréné.
« Nous étions censés travailler 8 heures par jour, mais en
fait, c’était plutôt 13 ou 14 heures avec 10 minutes de pause, le temps
d’avaler à manger et à boire. Et tu retournes travailler. Aujourd’hui, j'ai
encore des douleurs. Vous savez, rester si longtemps, sans s’asseoir, à porter
des choses lourdes. Certains jours, je devais assister deux maçons au lieu d’un
et le superviseur nous disait : 'vous devez travailler dur parce que le stade
doit être terminé en 2022 pour la Coupe du monde. Et si on demandait le
paiement des heures supplémentaires, ils nous menaçaient de nous licencier' ».
Des travailleurs
traités comme des esclaves
Après avoir quitté le Qatar, Dennis est encore très marqué,
physiquement et moralement, c’est avec la voix brisée qu’il raconte les
humiliations subies sur le chantier. « Parfois, ils nous appelaient les singes.
C’était blessant vraiment. Ils nous disaient : "Toi le singe noir,
travaille plus vite. Fais ceci, fais cela". C’était terrible. C’était un
drame pour nous. »
Dans son rapport, l’ONG Equidem dénonce « des pratiques qui
s’apparentent à du travail forcé » Est-ce que Dennis et ses collègues étaient
libre de ses mouvements en dehors du travail ? Il n’y avait pas d’interdiction
formelle, mais ce que décrit Dennis décrit ainsi que d’autres travailleurs dans
ce rapport, c’est un climat de peur et de surveillance jusque que dans la cité
dortoir, isolée de tout, où Dennis était conduit par son employeur à la sortie
du chantier. « Après le travail, tu n’es pas libre de te déplacer comme tu le
veux. Ils n’aiment pas ça. On ne sentait pas libre. Mais plutôt confinés ».
Quelques réformes non
appliquées
Le Qatar a pourtant mené des réformes pour améliorer la
législation sur le travail. Equidem en parle dans son rapport. Le Qatar a
notamment imposé un salaire minium et aboli en grande partie le système de
parrainage qui empêchait les employés de quitter le pays ou de changer de
travail sans autorisation de l’employeur, mais l’application de ces lois reste
aléatoire selon l’ONG et les recours insuffisants.
Geoffrey Owino, ex-travailleur migrant au Qatar, a été
plusieurs fois arrêté pour avoir tenté de faire respecter ces textes. Il
travaille pour l’ONG Equidem au Kenya aujourd’hui. « Certains employeurs sont
intouchables. Ils font le contraire de ce qui est écrit dans la loi et il ne
leur arrive rien. Je vais vous donner un exemple de ce qui arrive. Vous allez
déposer une plainte au ministère du Travail parce que vos droits ont été
violés, mais votre employeur se précipite au ministère de l'Intérieur,
c'est-à-dire à la police et vous signale comme fugitif. Et bien, vous serez
expulsés avant même d’avoir été entendu. Le gouvernement lui-même est tiraillé.
Et c'est au détriment des travailleurs ».
Dans un communiqué, le comité organisateur du Mondial réfute
ces accusations et dénonce un rapport « truffé d’inexactitudes et de fausses
déclarations ». Plus nuancée, la FIFA indique dans un communiqué distinct «
être en contact avec (ses) homologues qataris pour évaluer l'information
contenue dans le rapport ».
Radio France Internationale
(RFI)