En Guinée, la violence d’Etat est ancrée dans les mémoires depuis des lustres avec leurs lots de blessés et de morts. Pour preuve, en juin 2006, face à la vie chère, le syndicat regroupé au sein de la CNTG-USTG déclenche une grève générale et reçoit l’appui des syndicalistes de l’éducation. Le mouvement coûte la vie à une dizaine d’élèves.
Ce coup de colère a commencé quelques jours seulement avant
le lancement du baccalauréat. La tenue de cet examen si important était donc
compromise en raison de l’absence des enseignants dans les écoles. Au lieu de
négocier, le gouvernent opte pour la fermeté et décide d’organiser vaille que
vailles le Bac.
Au soir du dimanche 11 juin, le Ministre de l’enseignement
pré-universitaire Mamadou Bhoye Barry et celui de l’administration du
territoire Moussa Solano se relayent à la télévision nationale. Solano dans un
ton ferme assure que « le gouvernement a pris toutes les mesures pour sécuriser
les citoyens et les candidats qui pourront vaquer tranquillement à leurs
occupations. Quiconque tente de troubler l’ordre public, sera puni par la loi.
»
Malgré tout, le lundi 12 juin, aucun enseignant n’est
visible dans les centres. Il est donc impossible de surveiller les candidats.
Ces derniers se rendent compte qu’ils ont été trompés. Ils communiquent
rapidement entre eux grâce au nouvel opérateur de téléphonie Areeba et décident
de riposter.
Du lycée de Lambanyi en passant par ceux de Kipé, de
Donka…de l’intérieur du pays, la nouvelle se répand vite. A Kipé, trois centres
sont concentrés. Jusqu’à 9h moins, les enseignants sont abonnés absents. C’est
alors qu’un groupe de candidats postés à l’extérieur de la cour du lycée
commence à jeter des pierres sur le toit du bâtiment.
Les protestataires s’emparent du drapeau et inscrivent sur
un tableau noir en bois « le changement, aujourd’hui ou jamais ! ». Ils
prennent d’assaut la principale route qui relie Kipé à Kaloum. Ils entonnent
l’hymne national et foncent vers le centre-ville où se trouve le siège de
l’administration.
Au fur et à mesure que la foule avance, les rangs
grossissent. Au rond-point de Hamdallaye, des gendarmes font usage de gaz
lacrymogène pour disperser les marcheurs qui ne reculent point.
La foule s’ébranle en direction de la Bellevue où elle est
momentanément stoppée par des policiers. La marche continue jusqu’au niveau du
carrefour qui mène à l’hôtel Camayenne non loin de la mosquée Fayçal. Un peu
devant, un imposant cordon sécuritaire s’était formé au carrefour Super Bobo.
Dans les environs, se trouve la Compagnie Mobile d’Intervention et de Sécurité
(CMIS). Des tirs retentissent et un passant conseille vivement aux lycéens de
rebrousser chemin. Il a témoigné avoir vu toutes sortes d’unités mobilisées au
pont du 8 novembre à la rentrée de Kaloum. Pour lui, ces agents sont déterminés
à ôter la vie à toute personne qui oserait les défier.
Face à la persistance des tirs et aux conseils du monsieur,
la foule s’est disloquée et il a été recommandé d’éviter les grands axes
routiers pour ne pas tomber dans les filets des forces répressives du régime.
Sur le chemin du retour, nous avons été informés d’un cas de
mort au carrefour échangeur de Dixinn. Finalement, nous avons pris les voies
secondaires pour rallier Hafia, puis Dar-Es-Salam et Bambéto du côté de
l’immeuble Oury Birédi avant de rejoindre la forêt de Kakimbo et Kaporo-Rails.
Le soir, en écoutant les radios internationales : BBC Afrique,
Africa No 1, RFI et la VOA, nous avons appris que le sang avait de nouveau
coulé sur une bonne partie du territoire. Le gouvernement a donné un bilan
officiel de 11 morts alors que l’ONG Human Rights Watch a noté dans un rapport
publié le 6 juillet 2006 qu’un groupe d’organisations de la société civile a
fait état de 21 personnes tuées par des tirs des forces de sécurité guinéennes.
Les villes de Conakry, Labé et Nzérékoré sont fortement touchées par cette
répression qui a conduit également à des attaques contre des édifices publics.
Ce jour du 12 juin, nous aurions pu mourir comme beaucoup
d’autres jeunes innocents. En effet, je suis sorti de la maison avec mon ami
Mouctar Bourwal Bah pour couvrir le lancement des épreuves du bac au compte de
notre journal scolaire La Plume Plus.
L’opposition, les Nations-Unies et les organisations de
défense des droits humains condamnent le comportement du pouvoir de Conté. « Le recours à une force meurtrière contre
des manifestants est devenu un problème fréquent en Guinée, » a déclaré Peter
Takirambudde à l’époque, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch.
« Le gouvernement guinéen doit montrer qu’il prend au sérieux la sécurité de
tous les guinéens en enquêtant rapidement sur ces abus. »
Dix-sept ans après ces faits, les auteurs présumés de ces
meurtres courent toujours. Aucun responsable de la police, de la gendarmerie et
de l’armée n’a été jugé. Les deux ministres qui ont donné des assurances aux
parents des enfants mènent paisiblement leur vie.
En Guinée, il est impératif que l’Etat se réconcilie avec la
population, mais pour y arriver, il faut mettre un terme à l’impunité en
faisant la lumière sur les multiples violations des droits humains enregistrées
dans le pays.
Une pensée pieuse aux victimes et à leurs familles !
Mamadou Samba Sow,
journaliste.
Tel :
664.68.73.94/622.02.05.65