Après une courte idylle avec le chef de la junte, les responsables du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) ont pris le chemin de l’exil. Mais depuis Paris, Bruxelles ou Washington, ils continuent à militer pour une transition brève et inclusive.
Labé, Mali, Yembéring et pour finir, Kédougou au Sénégal. La
route était autrefois empruntée par ceux qui cherchaient à fuir la répression
sous la présidence de Sékou Touré. Rattrapés, de nombreux fugitifs y ont perdu
la vie. C’est pourtant cet itinéraire qu’a choisi Abdoulaye Oumou Sow, dans la
nuit du 3 décembre 2022, pour fuir la Guinée de Mamadi Doumbouya.
Assis à l’arrière d’une moto, le visage dissimulé par une
cagoule et portant un petit sac contenant « juste le nécessaire », le chargé de
communication du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) s’est
résolu à quitter le pays après avoir passé cinq mois dans la clandestinité à
Conakry, fuyant les services de sécurité. Il laisse derrière lui sa femme et
leurs deux filles, dont la cadette est alors âgée de quatre mois.
Flèches caustiques
Aujourd’hui, Abdoulaye Oumou Sow vit en France, tout comme
le coordinateur du FNDC, Oumar Sylla alias Foniké Mengué. Libéré de prison en
mai dernier grâce à la médiation de religieux guinéens, Foniké Mengué a pris un
vol au départ de l’aéroport de Conakry. Après deux tentatives infructueuses, la
troisième fut la bonne. Contacté par Jeune Afrique, il se défend toutefois
d’avoir rendu les armes et met en avant son état de santé, que ses fréquents
séjours derrière les barreaux ont contribué à détériorer. « Je suis là pour me
soigner mais je ne vais pas m’exiler, insiste-t-il. Le FNDC est plus légitime
aux yeux des Guinéens que le CNRD [Comité national du rassemblement pour le
développement, la junte au pouvoir]. J’attends juste que les médecins me
libèrent, pour rentrer en Guinée. »
Bruxelles. C’est
là que s’est installé Sékou Koundouno, le responsable stratégie et
planification du FNDC. Après avoir combattu le troisième mandat d’Alpha Condé,
le FNDC avait applaudi sa chute, le 5 septembre 2021. Mais très tôt, Sékou
Koundouno a senti le vent tourner et c’est donc depuis la Belgique qu’il décoche
ses flèches caustiques contre Mamadi Doumbouya.
Du Quai d’Orsay au
Département d’État
Très suivi sur les réseaux sociaux (plus de 40 000 abonnés
sur Facebook et autant sur X, anciennement Twitter), il ne laisse rien passer,
épinglant aussi bien le discours prononcé par Doumbouya à l’ONU que « les
éloges » que lui adresse la secrétaire générale de l’OIF, sans oublier cet
avion privé qui a transporté – à grand frais – le président de la transition
aux États-Unis… Sékou Koundouno n’a jamais eu la langue dans sa poche. Sous la
présidence d’Alpha Condé déjà, il s’opposait fréquemment – par tribunes
interposées – à Tibou Kamara, alors ministre conseiller à la présidence et
porte-parole du gouvernement.
Que peuvent-il encore ces responsables du FNDC face à un
régime qui est parvenu à s’installer à la tête de la Guinée ? Ils affirment
avoir été reçus au Quai d’Orsay et à l’Assemblée nationale. Ils ont rencontré
des membres de la coalition Tournons la page [TLP, mouvement international
citoyen pour « l’alternance démocratique en Afrique »] et accordé des
interviews à la presse. En juillet, Foniké Menguè et Billo Bah, un autre cadre
du FNDC, se sont rendus aux États-Unis pour tenter de rallier à leur cause le
National Democratic Institute (NDI), Human Rights Watch et même le Département
d’État et l’ONU.
« La France est
silencieuse »
« Partout, on a attiré l’attention sur ce qui se passe en
Guinée, explique le coordinateur du FNDC. On leur a dit que l’on est demandeur
d’un vrai dialogue pour réorienter la transition. » Le FNDC espère surtout
parvenir à contrer le narratif porté par le chef de la diplomatie guinéenne,
Morissanda Kouyaté. « La France est silencieuse sur les violations des droits
humains. Paris soutient la junte », regrette encore Foniké Mengué.
En un an, les manifestations contre le CNRD ont fait une
dizaine de morts par balles selon un décompte officiel – 32, selon le FNDC. «
On leur a dit qu’il y a un risque réel de confiscation du pouvoir, ajoute notre
interlocuteur », affirmant qu’aucun glissement du calendrier de la transition
ne sera toléré (le pouvoir doit être rendu aux civils à la fin de 2024). Et de
conclure : « J’espère que le discours de Mamadi Doumbouya à la tribune de l’ONU
finira de convaincre ceux qui avaient encore des doutes qu’il envisage de
s’accrocher au pouvoir. »
Un mouvement divisé
En attendant, le FNDC travaille à sa réorganisation pour
compenser le départ de ceux qui ont rejoint la transition après la chute
d’Alpha Condé, estimant que l’objectif avait été atteint. D’autres, comme
l’ancien coordinateur national Abdourahmane Sanoh, ont choisi de se retirer de
la sphère publique après des années d’une lutte laborieuse.
Et puis il y a ceux qui ont choisi de poursuivre le combat,
passant outre la dissolution prononcée du mouvement par les autorités en août
2022. Affaiblie par les départs et par des querelles de leadership, l’antenne
française du FNDC a connu une scission. Mais début septembre, Abdoulaye Oumou
Sow a installé une nouvelle équipe, composée d’un coordinateur et d’un bureau
de plusieurs membres. Celles de Belgique et de Suisse ont, elles, survécu.
Le chargé de communication s’attelle aussi à la mise en
place d’antennes des Forces vives en France, une plateforme comprenant des
partis politiques et des organisations de la société civile, dont le FNDC. « La
distance géographique ne veut rien dire, elle n’entame en rien notre lutte »,
assure Abdoulaye Oumou Sow. Selon lui, la coordination du FNDC tient ses
réunions « comme d’habitude », en ligne. C’était déjà le cas depuis
l’arrestation musclée de plusieurs membres en plein conclave et la répression
qui s’en était suivie, en juillet 2022. Autrement dit, avant que ses leaders ne
partent à l’étranger.
Loin de la Guinée, le FNDC met en tout cas un point
d’honneur à surveiller les avoirs (patrimoine immobilier, comptes bancaires) à
l’étranger des binationaux qui jouent un rôle dans la transition. Bien décidé à
dénoncer tout risque d’enrichissement illicite et à enclencher des actions
judiciaires, le cas échéant.
Jeune Afrique