Faut-il abandonner le Transguinéen au profit du corridor guinéo-libérien ? Le choix cornélien de l’État guinéen

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  • 16 juillet 2021 09:52

  • Economie

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Renoncer au Transguinéen, chemin de fer devant relier le sud-est du pays à la Basse Guinée, pour l’évacuation des mines de fer du Simandou et du Nimba, au profit d’un projet de corridor ferroviaire intégré guinéo-libérien, tel est le choix cornélien auquel notre gouvernement est confronté en ce moment. La Guinée qui pourtant, semblait partante pour la mise en œuvre de ce corridor, que le Liberia appelle de tous ses vœux, a commencé à se raviser. Au grand dam de la société Thelo DB, chargée de piloter ce fameux projet, qui n’attend qu’un blanc-seing des deux Etats pour larguer les amarres.

Pourquoi ces velléités de revirement de la part de Conakry, dont le ministre des Affaires étrangères et des Guinéens de l’étranger, Dr Ibrahima Kalil Kaba, est en première ligne dans les négociations avec le voisin libérien ? C’est bien ce que nous essayerons de cerner dans cette enquête qui nous mène tout droit sur les cimes du Nimba-Simandou.

 

Cette enquête de FIM FM Guinée porte sur la récente visite effectuée par le chef de la diplomatie guinéenne, le Dr Ibrahima Khalil Kaba à Monrovia, où il était question de discuter avec nos voisins du Libéria de la mise en œuvre du projet de corridor ferroviaire intégré guinéo-libérien. Quel était l’enjeu de cette rencontre ?

 

Après la 2ème session par visioconférence, le 7 mai 2021, du comité de suivi de l’accord bilatéral de mise en œuvre du protocole intergouvernemental de facilitation de l’exportation de produits miniers guinéens via les infrastructures du Liberia, le Gouvernement de Monrovia et ses partenaires internationaux ont invité, du 9 au 11 juin, le Ministre guinéen des Affaires Étrangères et des Guinéens de l’Étranger, Ibrahima Khalil Kaba, à prendre part à une conférence dont certains segments avaient été dédiés au projet de corridor ferroviaire intégré guinéo-libérien (1).

 

Une invitation que les Ministres sectoriels guinéens concernés qui avaient été identifiés par les ministères des Mines des 2 pays depuis le 20 avril 2021, avaient acceptée, par l’entremise du ministre Ibrahima Khalil Kaba suivant les termes de la lettre réponse du 19 mai 2021. Cette rencontre que M. Kaba qualifiait déjà d'opportunité à saisir pour progresser davantage dans l’opérationnalisation de cet accord bilatéral.

 

Selon des informations glanées çà et là, il ressort que c’est la société Thelo DB, chargée de piloter ce projet de chemin de fer, qui voulait obtenir le feu vert des deux pays pour larguer les amarres. Un tel cas de figure serait-il synonyme pour la Guinée, de mettre une croix sur le Transguinéen ?

 

Selon des informations obtenues de façon informelle auprès de quelques experts impliqués dans l’organisation de cette rencontre, le résultat attendu de cette conférence de Monrovia est pour Thelo DB est d'obtenir des deux Gouvernements un mandat pour la création d’une société de projet chargée de la mise en œuvre du projet d’un autre nouveau corridor ferroviaire guinéo-libérien et une déclaration conjointe officielle annonçant le lancement de dudit projet. Une telle nouvelle amènerait la Guinée à abandonner son projet de chemin de Transguinéen et à une éventuelle évacuation du minerai de fer de Simandou sous concession de plusieurs sociétés par le Libérai.

 

Cette réunion de Monrovia, a été précédée de la dernière session du comité de suivi, présidée par les ministres des AE des deux pays. Les conclusions de cette session ne sont-elles pas en faveur de la réalisation de ce corridor guinéo-libérien, à moins que l’on se trompe ?

 

Tout à fait. Lors de la dernière session du comité de suivi présidée par les ministres des Affaires étrangères de deux pays, des points importants avaient été discutés. Des points relatives  (1) au calendrier des négociations commerciales entre Arcelor Mittal (AML),  la Société des Mines de Fer de Guinée (SMFG)[2], les Gouvernements du Liberia et de la Guinée pour l’utilisation des infrastructures existantes, (2) la mise en place du Secrétariat technique et la formation des groupes de travail bilatéraux prioritaires pour une opérationnalisation efficace de l’accord de mise en œuvre, (3) l’autorisation d’accès des projets miniers guinéens et de leurs consultants aux infrastructures existantes au Libéria pour leurs besoins d’études, et (4) le cadre et l’orientation des discussions relatives aux études et à la réalisation d’un nouveau corridor d’infrastructures au Libéria.

 

Qu’en est-il des négociations commerciales entre les parties prenantes à cette exploitation minière ?

 

Sur le point relatif aux négociations commerciales entre la SMFG et AML, les deux coprésidents du groupe de travail à savoir le guinéen Nava Touré et le libérien Molewuleh B. Gray prévoient d’obtenir des résolutions qui permettent à SMFG d’accéder aux infrastructures ou aux services d’infrastructures au Libéria, au plus tard le 31 décembre 2021. Sur le point relatif aux études et à la réalisation conjointe par le Libéria et la Guinée d’un nouveau corridor d’infrastructures au Libéria, les membres du comité de suivi ont exprimé leur soutien au principe d’une plus grande intégration économique entre les deux pays.

 

Vu que SMFG est déjà en phase d’exploitation, l’accord prévoit-il l’utilisation des infrastructures existantes sur le territoire libérien pour acheminer son minerai vers les bords de l’océan atlantique ?

 

Cette session a pris la résolution n°4 intitulée Cadre et orientation des discussions relatives aux études et à la réalisation d’un nouveau corridor d’infrastructures au Libéria. Sur ce, le Comité de suivi a pris note de ce que les infrastructures en territoire libérien visées par l’accord de mise en œuvre aux fins d’évacuation des produits miniers guinéens peuvent être de nature très variée : elles peuvent être des infrastructures existantes ou nouvelles à construire, elles peuvent être publiques ou privées, elles peuvent être la propriété d’une entité libérienne ou guinéenne ou codétenue par le Libéria et la Guinée, étant entendu que, pour des raisons pratiques, la priorité immédiate reste attachée à l’utilisation des infrastructures existantes.

 

Quels sont les arguments que fait valoir le comité de suivi pour soutenir la faisabilité de ce projet de corridor ?

Pour couvrir les besoins et saisir les opportunités à moyen et long terme, dans le but de renforcer l’intégration et le développement économique des 2 pays, le Comité de suivi apporte son plein soutien au projet d’un nouveau corridor d’infrastructure codétenue et co-développé par le Libérai et la Guinée, en conformité avec les objectifs et les zones-cibles définis dans le protocole intergouvernemental du 25 octobre 2013. En ce sens d’ailleurs, le 6 mai 2021, le Ministère des Affaires étrangères du Liberia a fait diffuser une version de l’acte ratifiant l’accord de mise en œuvre entre la Guinée et le Liberia.

 

Mais le dernier développement de la situation donne l’impression que la Guinée commence à se raviser. Puisque s’il doit y avoir ce corridor, il faudra qu’elle renonce à son Transguinéen ?

 

Tout à fait. Avant le 3 juin 2021, le Ministre Kaba avait adressé une demande de clarification à son homologue en ce sens, je cite : « je voudrais vous informer que nous avons potentiellement quelques inquiétudes concernant la prochaine conférence du nouveau corridor d'infrastructure. Ceci pour dire qu’avant de quitter Conakry pour Monrovia, la délégation du Gouvernement Guinéen avait reçu de la part du Liberia un tableau contenant un questionnaire qui l’avait amené à conclure que l'organisation de ladite conférence autour d’un éventuel abandon du Transguinéen qui est dédié à l’évacuation du minerai de Simandou pose problème.

 

Que voulait le Liberia à travers ce questionnaire ?

 

Le gouvernement libérien demande à la Guinée que : (i) des positionnements clairs soient pris à l'avance par la Guinée sur un certain nombre de questions et (ii) des consensus soient trouvés entre les deux gouvernements sur lesdits positionnements.

 

Les plus significatives et immédiates de ces questions, sommairement exposées dans ce tableau, avec proposition de l'instance appropriée de discussion, sont relatives à :

1.         l'objet même du projet ;

2.         la qualité de l'étude de viabilité du projet ;

3.         le timing de la création de la société de projet ;

4.         la clarification du rôle Thelo DB ;

5.         les besoins en appuis technique et juridique aux deux États.

 

D’où cette réserve émise par un membre de la délégation guinéenne, sous anonymat bien sûr, sur l’enjeu de la rencontre de Monrovia ?

 

Selon un membre de la délégation guinéenne, au vu de ce questionnaire, il apparaît clairement que le cadre et la structuration de la conférence du 9 au 11 juin à Monrovia ne semble pas appropriée pour assurer, de façon rigoureuse et bien ordonnancée, une efficacité des interactions des parties prenantes, permettant la mise en orbite d'un projet aussi ambitieux et complexe que celui d'un chemin de fer transfrontalier.

 

Etant donné que la réaction va dans le sens de l’esprit de la lettre-réponse du ministre Lilou, que contient-elle ?

Cette lettre-réponse du 19 mai du MAEGE préconise en effet la tenue préalable d'une session formelle du Comité de Suivi de l'Accord de Mise en Œuvre signé avec le Libéria afin de clarifier et d'aligner au niveau approprié les intentions des deux parties, ce qui permettrait de mieux orienter et encadrer tout éventuel projet conjoint d'infrastructure.

                                                                                        

A l’allure où vont les choses, à quoi pourrait servir le Transguinéen, si le projet de corridor a lieu ?

 

La question vaut tout son pesant.  Une note interne à la délégation guinéenne, consultée par un confrère libérien, rappelle que l'essentiel des activités du projet du nouveau corridor de chemin de fer Guinéo-Libérien, telles que prévues par l'étude conceptuelle, consistera au transport ferroviaire du minerai de fer produit par la Société Minière de Boké (Simandou-Nord), Rio Tinto/Simfer (Simandou-Sud) et Société des Mines de Fer de Guinée (Nimba). Or, les tonnages de Simandou sont indispensables à la justification financière de l'investissement dans le Transguinéen.

 

Ou bien les deux chemins de fer peuvent être porteurs de croissance en termes de plus-value ?

 

Il y a que le Simandou (à la différence de Nimba) est hors de la zone définie dans le Protocole Guinée-Libéria du 25 octobre 2013 comme l’indique la localisation des projets miniers guinéens éligibles au passage par le Libéria. Enfin, la construction et l'exploitation du Transguinéen font partie intégrante des Cadres d'Investissement (obligations juridiques) déjà conclus entre la Guinée et SIMFER et entre la Guinée et Société Minière de Boké.

 

Cette épineuse question du transguinéen selon toujours cette source libérienne, pour la délégation Guinéenne, il n'y a aucune raison pour que ce sujet soit discuté avec Thelo DB et Afrexim Bank. Il est indiqué que la discussion se tienne entre les gouvernements de la Guinée et du Libéria, dans le cadre du Comité de Suivi.

 

La balle est donc dans le camp guinéen. N’est-il pas temps de se décider, afin d’enlever le Liberia dans le doute ?

 

Pour cette autre source impliquée dans les travaux de réflexions sur ce corridor, la Guinée doit donc prendre éventuellement sa décision de surseoir ou de renoncer à la réalisation du Transguinéen. Dans le cas contraire, le projet de Corridor guinéo-libérien est mort-né, sauf si on lui trouve un autre objet susceptible de le justifier financièrement ou économiquement.

Sur la qualité de l'étude de viabilité du projet faite déjà par Thelo DB, des collaborateurs du Ministre des Affaires Étrangères de la Guinée notent que Thelo DB prétend avoir produit une étude de faisabilité du projet.

 

Comment se fait-il que le rapport présenté dans ce sens soit en porte-à-faux avec les recommandations du gouvernement guinéen, qui a insisté sur la mise en œuvre des études nécessaires à la réalisation de ce corridor de chemin de fer, démarche à laquelle ne s’est pas pliée Thelo DB ?

 

Le rapport présenté semble être plutôt du niveau de pré-préfaisabilité au regard des meilleures pratiques en matière d'études d'ingénierie et d'impact environnemental et social. C'est une étude de bureau, basée exclusivement sur des données collectées sur internet. Aucun travail de terrain, même pas préliminaire n'a été effectué ni au Libéria, ni en Guinée et aucun des projets miniers concernés n'a été contacté, contrairement à la directive donnée dans la lettre de janvier 2020 de l'Administration et Contrôle des Grands Projets, notifiant à Thelo DB l'accord de Alpha Condé Président de la République de Guinée, pour la mise en œuvre des études nécessaires à la réalisation de ce corridor de chemin de fer.

 

Thelo DB a d’ailleurs reconnu cet impair, qu’elle promet de corriger très prochainement. Vous y croyez-vous vraiment ?

 

En fait, Thelo DB reconnaît dans plusieurs passages de son étude les lacunes qu'elle compte combler par la suite dans l'étude de faisabilité bancable (EFB), ce qui nécessitera un suivi plus attentif.

 

Pour la délégation guinéenne, cette question n'est sûrement pas urgente, mais elle doit être gardée en tête car elle touche directement la question du calendrier optimal de mise en place de la société de projet ainsi que celle du besoin d'assistance technique (traitée plus bas) pour le suivi correct de ce projet.

 

Pour des sources guinéennes, ce rapport d’étude de faisabilité (que d’autres nommeront étude conceptuelle de base) ne peut être analysé et discuté au niveau de la conférence, ni même à celui du Comité de Suivi.

 

Mais il y a anguille sous roche dans le procédé de montage actuel de ce projet. C’est le moins qu’on puisse dire quand on sait que Thelo DB joue à la fois le rôle de Manager, d’Ingénieur-conseil etc ?

 

Toujours est-il que le Gouvernement Guinéen trouve confus, dans le montage dudit projet tel que proposé actuellement, que Thelo DB soit à la fois Manager pour tout le processus de développement du projet de corridor, Ingénieur-conseil pour les études, responsable du bouclage financier, superviseur de la construction, propriétaire et opérateur des infrastructures. Le schéma de Partenariat Public Privé préconisé est qualifié tantôt de MBO (Manage, Build and Operate), tantôt de BOT (Build, Own and Transfer).

 

L’État guinéen ne va quand même pas se laisser mener par le bout du nez dans ce piège ?

 

Les modalités pratiques d'exercice de ces diverses responsabilités devront être exposées de façon plus détaillée, afin de permettre aux deux Gouvernements de mettre en place les structures et procédures conformes aux meilleures pratiques internationales en PPP et de prévenir ainsi, tout abus de la part d'un promoteur-développeur-exploitant tout puissant.

La Guinée souhaite que le Secrétariat Technique, appuyé par une expertise adéquate soit l'instance la plus appropriée pour analyser cette question, discuter avec Thelo DB et formuler des recommandations au Comité de Suivi.

 

La Guinée devra donc s’atteler illico à la création d’une société de projet, de concert avec son voisin du Libéria. Cela impliquera tout de même d’énormes coûts, n’est-ce pas ?

 

Pour la Guinée, la création et le fonctionnement d'une société de projet pour ce nouveau corridor implique la prise en charge de coûts non négligeables (incorporation, locaux, équipements, salaires des gestionnaires et staff, émoluments des administrateurs, frais ordinaires de fonctionnement…) que les deux gouvernements supporteront in fine de manière directe ou indirecte.

 

Pour un membre du Gouvernement guinéen, il est généralement recommandé que l'établissement d'une telle société se fasse à une date la plus rapprochée possible de la clôture financière. Et que le Secrétariat Technique, appuyé par une expertise adéquate est l'instance la plus appropriée pour analyser cette question, discuter avec Thelo DB et formuler des recommandations au Comité de Suivi.

 

Pour conclure, les experts insistent sur un appui technique et juridique des deux Etats dans la structuration du financement de ce projet. Comment parviendront-ils à relever ce défi ?

 

Quant à l’assistance technique et juridique en faveur des deux États, le passage direct du niveau réel des études de préfaisabilité à faisabilité bancable sera un défi important, tout comme la structuration optimale du financement, le respect des normes de construction et des exigences environnementales et sociales. Un appui adéquat au renforcement des capacités de la Guinée et du Libéria à assurer la réalisation des exigences requises sera nécessaire.

 

Sur la base des recommandations du Secrétariat Technique entérinées par le Comité de Suivi, cette question sera discutée avec Thelo DB et les financiers du projet.

 

 

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[1]Lettre réponse du 19 mai 2021 du Ministre des Affaires Étrangères et des Guinéens de l’Étranger à Monsieur Dee-Maxwell SaahKemayah, Ministre des Affaire Étrangères de la République du Liberia

[2]Le Comité de suivi note que la République de Guinée, conformément à l’accord de mise en œuvre, a notifié au Ministre des Transports de la République du Libéria par lettre du 11 mars 2021, de la conclusion positive de l’examen de la demande d’éligibilité de la SMFG à l’exportation de sa production via les infrastructures existantes au Libéria.

Le Comité de suivi note également que suite à cette notification officielle et en conformité avec les dispositions de l’accord de mise en œuvre, la SMFG a adressé au Ministre des Transport du Libérai une demande d’accès aux infrastructures situées au Libéria et que le délai d’instruction de cette demande est fixé à 90 jours ouvrables aux conditions prévues par l’accord. Le Comité de suivi note avec satisfaction la convergence de 2 parties sur la nécessité d’accélérer le traitement de la demande d’accès de la SMFG et de faciliter et diligenter les négociations entre les parties prenantes, avec l’objectif de clôturer lesdites négociations au 31 décembre 2021 au plus tard.

 Enquête de FIM FM

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