La fin prochaine de l'opération militaire Barkhane en tant qu’opération
extérieure va passer par la fermeture de bases de l'armée française et par la
priorité donnée à la lutte contre les jihadistes par les forces spéciales. Le
président français Emmanuel Macron l’a annoncé hier soir, jeudi 10 juin, à la
veille du sommet du G7 au Royaume-Uni. Pour en parler, notre invité est
Jean-Hervé Jézéquel, spécialiste Sahel à l’International Crisis Group. Il
répond aux questions d'Edmond Sadaka.
RFI : Emmanuel Macron repositionne l’intervention française au Sahel.
Est-ce que cela veut dire que la stratégie adoptée depuis des années par la
France n’a pas réussi ?
Jean-Hervé Jézéquel : Oui, je
pense que c’est d’une certaine manière la reconnaissance que la stratégie qui
avait été suivie, qui avait été définie essentiellement par l’acteur France,
n’a pas fonctionné. Et en portant, d’une certaine manière, le blâme sur
l’incapacité des États sahéliens à reprendre les territoires, à jouer leur
rôle, au fond c’est une manière un peu commode de « redonner la patate chaude »
et de diluer les responsabilités sur les choix qui sont avant tout des choix
français de ces sept dernières années.
Oui, c’est vrai que la France
avait imposé le rythme pendant ces sept dernières années, et d’un seul coup, le
président Macron change de positionnement par rapport à cela.
Oui, tout à fait. Je pense
qu’après sept années d’investissements assez importants dans cette région du
Sahel – sept années pendant lesquelles la France a eu l’impression qu’elle
détenait les clés de la solution – je crois qu’aujourd’hui on se rend compte
que cet investissement ne fonctionne pas, cet investissement est coûteux… La
France est aussi en première ligne avec des États sahéliens, pour porter le
fardeau d’une stratégie qui ne fonctionne pas… Et donc voilà, il était
important peut-être de saisir aujourd’hui l’occasion qui se présentait, de
troubles politiques à Bamako, pour dire : « Au fond, si cette stratégie ne
fonctionne pas, c’est parce que les États sahéliens ne savent pas jouer leur
rôle ».
Cette annonce d’Emmanuel Macron, de se désengager- en tout cas
partiellement - du Sahel, répond aussi à une attente des Français, puisque les
Français, de plus en plus, étaient hostiles à cette présence…
Je pense qu’effectivement, les
enjeux de politique intérieure dictent un petit peu le timing… Je pense que
c’était important du côté d’Emmanuel Macron de ne pas laisser une situation se
pourrir et peut-être que, encore une fois, il utilise un petit peu - ou il
profite un petit peu - du désordre politique à Bamako, pour avancer,
concrétiser une reconfiguration de l’intervention française au Sahel qui était
annoncée déjà depuis plusieurs mois, mais sur laquelle on attendait le bon
moment.
Il ne s’agissait pas d’annoncer
cette reconfiguration à un moment où cette reconfiguration pouvait paraître
comme une défaite ou comme un aveu d’échec. Et là, au fond, en disant : « On
reconfigure, on reste présent en soutien, mais on veut avant tout que les États
sahéliens soient sur le devant de la scène, parce qu’ils n’assument pas assez
leurs responsabilités », c’est une manière, encore une fois, de détourner
l’attention sur les responsabilités des uns et des autres.
Ce sera difficile pour le Mali - pour Bamako - de tenir, face aux
jihadistes, sans l’appui de la France, en tout cas avec un appui plus restreint
de la France ?
Je pense qu’à court terme, cette
décision de redimensionner l’intervention française n’aura peut-être pas un
énorme impact, parce que cela va prendre du temps de redimensionner. Et encore
une fois, il ne s’agit pas d’un retrait, mais d’une réorganisation de cette
présence-là.
Après, je pense que cette annonce
c’est la fin d’une double illusion. La première illusion, c’était de penser que
les choses s’amélioreraient au Sahel, ce qui était quand même le discours qui
était tenu ces dernières années par les autorités françaises, mais aussi par
les autorités sahéliennes. Cela, c’est la fin de cette première illusion. Les
choses ne s’améliorent pas, elles se dégradent d’année en année.
La fin de la seconde illusion,
c’est une illusion plus large : en investissant d’abord dans le domaine
sécuritaire, on allait pouvoir réussir à stabiliser le Sahel. Et cette illusion
s’effondre, là aussi. Là, il y a peut-être, d’une certaine manière, un nouveau
moment qui s’ouvre. C’est-à-dire que le relatif désengagement français ou le
redimensionnement des investissements français va redonner un petit peu de
marge de manœuvre, peut-être, aux États sahéliens, qui vont pouvoir eux-mêmes
proposer leur solution. On sait que des États sahéliens sont plus intéressés
par explorer des solutions politiques qui passent en partie par des formes de
dialogue politique avec les groupes jihadistes armés. On va voir ce que cela va
donner, cela donne un peu d’ouverture à ces solutions-là.
Feriez-vous un parallèle avec ce qu’ont fait les Américains en
Afghanistan, qui se sont désengagés eux aussi au bout de plusieurs années ?
Ah évidemment, les parallèles
sont tentants. Les situations sont différentes en termes d’investissement, il y
a des différences majeures. Néanmoins, là aussi, on a cette idée qu’un acteur
extérieur avait l’ambition de solutionner ou d’apporter une solution à une
situation de crise. Et dans les deux cas, cette ambition-là ou cette arrogance
- on peut peut-être le dire comme ça - a échoué. Et donc, ce sont les acteurs
locaux qui vont reprendre l’initiative, comme l’Afghanistan, à travers des
formes de dialogues dont on ne sait pas, aujourd’hui, sur quoi ils vont
déboucher.
Avec Rfi