Fin de Barkhane: «C'est la reconnaissance que la stratégie définie par la France n’a pas fonctionné»

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  • 11 juin 2021 09:33

  • Politique

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 La fin prochaine de l'opération militaire Barkhane en tant qu’opération extérieure va passer par la fermeture de bases de l'armée française et par la priorité donnée à la lutte contre les jihadistes par les forces spéciales. Le président français Emmanuel Macron l’a annoncé hier soir, jeudi 10 juin, à la veille du sommet du G7 au Royaume-Uni. Pour en parler, notre invité est Jean-Hervé Jézéquel, spécialiste Sahel à l’International Crisis Group. Il répond aux questions d'Edmond Sadaka.

RFI : Emmanuel Macron repositionne l’intervention française au Sahel. Est-ce que cela veut dire que la stratégie adoptée depuis des années par la France n’a pas réussi ?

 Jean-Hervé Jézéquel : Oui, je pense que c’est d’une certaine manière la reconnaissance que la stratégie qui avait été suivie, qui avait été définie essentiellement par l’acteur France, n’a pas fonctionné. Et en portant, d’une certaine manière, le blâme sur l’incapacité des États sahéliens à reprendre les territoires, à jouer leur rôle, au fond c’est une manière un peu commode de « redonner la patate chaude » et de diluer les responsabilités sur les choix qui sont avant tout des choix français de ces sept dernières années.

 Oui, c’est vrai que la France avait imposé le rythme pendant ces sept dernières années, et d’un seul coup, le président Macron change de positionnement par rapport à cela.

 Oui, tout à fait. Je pense qu’après sept années d’investissements assez importants dans cette région du Sahel – sept années pendant lesquelles la France a eu l’impression qu’elle détenait les clés de la solution – je crois qu’aujourd’hui on se rend compte que cet investissement ne fonctionne pas, cet investissement est coûteux… La France est aussi en première ligne avec des États sahéliens, pour porter le fardeau d’une stratégie qui ne fonctionne pas… Et donc voilà, il était important peut-être de saisir aujourd’hui l’occasion qui se présentait, de troubles politiques à Bamako, pour dire : « Au fond, si cette stratégie ne fonctionne pas, c’est parce que les États sahéliens ne savent pas jouer leur rôle ».

 Cette annonce d’Emmanuel Macron, de se désengager- en tout cas partiellement - du Sahel, répond aussi à une attente des Français, puisque les Français, de plus en plus, étaient hostiles à cette présence…

 Je pense qu’effectivement, les enjeux de politique intérieure dictent un petit peu le timing… Je pense que c’était important du côté d’Emmanuel Macron de ne pas laisser une situation se pourrir et peut-être que, encore une fois, il utilise un petit peu - ou il profite un petit peu - du désordre politique à Bamako, pour avancer, concrétiser une reconfiguration de l’intervention française au Sahel qui était annoncée déjà depuis plusieurs mois, mais sur laquelle on attendait le bon moment.

 Il ne s’agissait pas d’annoncer cette reconfiguration à un moment où cette reconfiguration pouvait paraître comme une défaite ou comme un aveu d’échec. Et là, au fond, en disant : « On reconfigure, on reste présent en soutien, mais on veut avant tout que les États sahéliens soient sur le devant de la scène, parce qu’ils n’assument pas assez leurs responsabilités », c’est une manière, encore une fois, de détourner l’attention sur les responsabilités des uns et des autres.

 Ce sera difficile pour le Mali - pour Bamako - de tenir, face aux jihadistes, sans l’appui de la France, en tout cas avec un appui plus restreint de la France ?

 Je pense qu’à court terme, cette décision de redimensionner l’intervention française n’aura peut-être pas un énorme impact, parce que cela va prendre du temps de redimensionner. Et encore une fois, il ne s’agit pas d’un retrait, mais d’une réorganisation de cette présence-là.

 Après, je pense que cette annonce c’est la fin d’une double illusion. La première illusion, c’était de penser que les choses s’amélioreraient au Sahel, ce qui était quand même le discours qui était tenu ces dernières années par les autorités françaises, mais aussi par les autorités sahéliennes. Cela, c’est la fin de cette première illusion. Les choses ne s’améliorent pas, elles se dégradent d’année en année.

 La fin de la seconde illusion, c’est une illusion plus large : en investissant d’abord dans le domaine sécuritaire, on allait pouvoir réussir à stabiliser le Sahel. Et cette illusion s’effondre, là aussi. Là, il y a peut-être, d’une certaine manière, un nouveau moment qui s’ouvre. C’est-à-dire que le relatif désengagement français ou le redimensionnement des investissements français va redonner un petit peu de marge de manœuvre, peut-être, aux États sahéliens, qui vont pouvoir eux-mêmes proposer leur solution. On sait que des États sahéliens sont plus intéressés par explorer des solutions politiques qui passent en partie par des formes de dialogue politique avec les groupes jihadistes armés. On va voir ce que cela va donner, cela donne un peu d’ouverture à ces solutions-là.

 Feriez-vous un parallèle avec ce qu’ont fait les Américains en Afghanistan, qui se sont désengagés eux aussi au bout de plusieurs années ?

 Ah évidemment, les parallèles sont tentants. Les situations sont différentes en termes d’investissement, il y a des différences majeures. Néanmoins, là aussi, on a cette idée qu’un acteur extérieur avait l’ambition de solutionner ou d’apporter une solution à une situation de crise. Et dans les deux cas, cette ambition-là ou cette arrogance - on peut peut-être le dire comme ça - a échoué. Et donc, ce sont les acteurs locaux qui vont reprendre l’initiative, comme l’Afghanistan, à travers des formes de dialogues dont on ne sait pas, aujourd’hui, sur quoi ils vont déboucher.

Avec Rfi

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