Lorsque vous êtes en conflit avec quelqu’un, vous saisissez la justice car il existe un principe cardinal de toute société qui veut que nul se rende justice.
Une
procédure judiciaire peut prendre des mois voire des années parce que qui dit
procédure dit forcément un ensemble d’actes à poser par des différents
professionnels de la justice et d’étapes à franchir pour arriver à un résultat
(ici une décision de justice). Ainsi, après une longue bataille, et si le juge
estime que le droit est en votre faveur, vous obtenez une décision de justice.
Mais pour qu’une décision de justice soit exécutée, il faut qu’elle soit
définitive, les voies de recours ayant été exercées et sont restées
infructueuses ou n’ayant pas été exercées dans le délai prévu à cet effet. Pour
rendre une décision exécutoire, le chef du greffe y mentionne (appose) une
formule appelée formule exécutoire. C’est seulement au vu de la mention de la
formule exécutoire que l’huissier de justice peut passer à l’exécution de la
décision.
Il est à
noter qu’à longueur de journée, des décisions de justice sont exécutées par les
huissiers de justice. Mais celles dont l’exécution pose plus de problème et se
trouve au cœur du bras de fer entre huissiers de justice et avocats d’un côté
et de l’autre, les parquets généraux soutenus par la force publique, sont
celles qui ordonnent l’expulsion, le déguerpissement ou la démolition.
C’est là que
l’intervention des agents de la force publique est requise pour protéger les
huissiers de justice contre d’éventuelles agressions. En effet, il est très
risqué pour un huissier de justice de se rendre dans une concession ou une
maison pour en expulser les occupants ou pour démolir une construction. Il peut
lui être opposé parfois une opposition très violente. Des huissiers de justice
ont failli perdre la vie dans l’exécution d’une décision judiciaire ordonnant
une expulsion, un déguerpissement ou une démolition. On oublie que l’huissier
de justice ne fait qu’exécuter une décision qui n’a pas été rendue par lui-même
mais par un autre professionnel de la justice : le juge.
Dans la
pratique, l’huissier de justice, muni d’une décision de justice exécutoire,
demande au procureur général de lui délivrer une réquisition qui lui permet de
bénéficier de l’assistance de la force publique, avant d’entreprendre
l’exécution de ladite décision.
Le fait
d’obliger l’huissier de justice de demander une réquisition permet au
procureur, garant de l’ordre public, de vérifier que toutes les conditions sont
réunies pour que la décision soit exécutée pour éviter d’éventuels troubles à
l’ordre public. En fait, c’est un contrôle purement documentaire. Il n’a pas à
rejuger l’affaire car ce n’est pas son rôle.
Mais
l’expérience a fini par révéler que les bonnes intentions qui sous-tendaient la
pratique des réquisitions ont été complètement dévoyées.
En effet,
quand une réquisition est obtenue par l’huissier de justice, l’unité de
gendarmerie ou de police qui doit lui prêter main forte exige une somme
d’argent qui peut atteindre parfois des millions. Cette somme est bien sûr à la
charge du bénéficiaire de la décision qui a préalablement payé la rémunération
de l’huissier de justice. Tout cela contribue à renchérir le coût de la
justice. Il peut arriver qu’une première opération d’exécution échoue ou n’ait
pas lieu pour diverses raisons, après que les agents de la force publique ont
été payés ; le justiciable est encore obligé de mettre la main à la poche.
Ainsi, le problème de réquisition devient une sorte de business pour des hommes
en uniforme, d’où l’opposition de certains d’entre eux à la suppression des
réquisitions qu’un texte communautaire dit que la formule exécutoire vaut
réquisition. Tant que ce texte est d’application dans l’espace Ohada, la Guinée
doit s’y soumettre. Il y va de sa crédibilité aux yeux des autres membres de
l’Ohada. Si le texte pose problème dans son application, rien n’empêche la
Guinée de proposer sa modification ou son abrogation au niveau de l’organe
compétent de l’Ohada. Mais pour le moment, le texte est en vigueur.
Sur un tout
autre plan, les procureurs généraux, soit de leur propre chef ou sur
instruction de la Chancellerie, peuvent délivrer ou s’abstenir de délivrer une
réquisition sur la base de considérations totalement éloignées du droit.
Pourtant,
l’intérêt d’une décision de justice, c’est son exécution. Sinon un un jugement
ou un arrêt serait tout simplement un papier sans valeur.
Si vous avez
un locataire qui ne paie pas vos loyers ; quelqu’un a construit illégalement
sur votre terrain ; vous avez obtenu une décision de justice ordonnant
l’expulsion du locataire récalcitrant ou la démolition de la construction faite
sur votre terrain, mais vous ne pouvez pas l’exécuter, quelle serait l’utilité
de saisir la justice ?
L’inexécution
des décisions de justice pourrait même favoriser le recours à la justice
privée.
Voilà tout
l’enjeu du problème qui perturbe en ce moment le fonctionnement de l’appareil
judiciaire.
Me Mohamed Traoré, ancien bâtonnier