Il a les forces spéciales à ses trousses, depuis qu’il s’est évadé de la maison centrale de Conakry le 4 novembre 2023. Avec cette cavale, Claude Pivi ajoute un nouveau chapitre à sa légende.
Des quatre accusés du procès du massacre du stade de Conakry
qui ont faussé compagnie à leurs geôliers, le samedi 4 novembre 2023, Pivi est
le dernier encore en fuite. Le ministre de la Justice a mis sa tête à prix : Il
offre plus de 50 000 euros à tout citoyen qui aiderait à localiser le fugitif.
Sorti de prison par un commando armé et dirigé par son fils, Verny, le colonel
est dans toutes les conversations : on loue le stratège qui a réussi à échapper
aux autorités, on salue aussi le courage de ce jeune homme qui a tout fait pour
sauver son père.
« Pivi est un militaire mystique, il est protégé par des
forces », souffle un riverain de la Maison centrale, qui redoute de le voir
débarquer de nouveau dans son quartier. Son évasion spectaculaire, qui a donné
lieu à plusieurs fusillades en plein Conakry et provoqué des morts (quatre
membres des forces spéciales et deux civils), a frappé les esprits. Les
habitants de la capitale sont partagés entre peur et admiration.
« On le dit capable de choses exceptionnelles », témoigne un
avocat impliqué dans le procès du massacre du 28 septembre 2009. Son évasion
renforce sa légende : « Mystiquement, il est très fort. Je pense qu'il doit
avoir quelques secrets, parce que disparaître comme ça, se fondre dans la
nature, ce n'est pas aussi simple. Avec toutes les caméras qu'il y a en ville,
ils n'ont pas trouvé sa trace, c’est extraordinaire ! »
Les Guinéens ont découvert Pivi à la fin des années 2000. Le
militaire gagne en influence au sein de l’armée et se hisse rapidement au
sommet de l’État. Sous la junte de Moussa Dadis Camara, il est même nommé
ministre chargé de la Sécurité présidentielle. « En période de crise », il
change d’apparence, abandonne son béret rouge du Bata (Bataillon autonome des
troupes aéroportées) et « marche avec des cauris sur la tête », des coquillages
réputés pour leurs pouvoirs magiques qui lui donnaient un air de « chef de
village », « de guerrier traditionnel », décrit un journaliste qui a couvert
les activités de la junte à l'époque.
Descendant de
féticheur
Un militaire à la retraite, qui a côtoyé Pivi pendant
plusieurs années, dit avoir été témoin de certaines de ses prouesses : « Je ne
sais pas comment il fait ça. Il lui arrivait de me faire des démonstrations. »
Mi-amusé, mi-gêné par le sujet, l’officier raconte que Pivi pouvait faire
sortir sa langue et la dérouler jusqu’au nombril. « Il transforme sa figure.
Son visage prend une forme un peu robotique », explique-t-il, laissant échapper
un rire nerveux. « Quand quelqu'un fait ça, on va croire qu'il peut même
prendre la place de Dieu. »
Pivi aimait impressionner les gens. Il aurait d’ailleurs
participé aux exhibitions organisées à l’occasion de la fête de l’indépendance
et de la fête de l’armée, dans les années 2000. Des soldats spécialisés dans
les arts martiaux donnaient alors de petits spectacles dans les camps
militaires. Pivi pratiquait le karaté ; des Guinéens se souviennent l’avoir vu
briser des briques à main nue devant une foule ébahie.
Mais le colonel ne cherche pas seulement à épater la
galerie. Selon l’un des doyens de la presse guinéenne, Pivi « croit aux
gris-gris, aux fétiches, plus qu'à l’âme ». Cela serait lié notamment à ses
origines familiales, affirme le militaire à la retraite. Pivi vient de Guinée
forestière. Sa mère est Guerzé, son père Toma, deux ethnies du sud-est du pays.
« Son grand-père était un grand féticheur. Dans cette région, le fétiche est
très développé. [Les habitants] ont la maîtrise de ça. » Pivi revendique sa filiation
avec Zegbela Togba, figure de la résistance à la pénétration coloniale
française et à qui l’on prête des pouvoirs mystiques.
« Les gens ont de l'estime pour lui. Chaque fois qu'il part
en forêt, il est acclamé, il est applaudi », précise une connaissance qui a
fréquenté Pivi lorsque celui était adolescent. Il reste une personnalité «
influente », « respectée ». Hors de sa région natale, il passe pour un «
analphabète ». Mais c’est une rumeur que l’on colporte sur lui, Pivi sait lire,
assure le journaliste qui a couvert les activités du CNDD : « On l'a
sous-estimé et le manque de diplôme universitaire a beaucoup joué aussi sur sa
carrière. » Sa progression au sein de l’armée en aurait pâti.
Survivant
D’autres aspects de la réputation de Pivi sont davantage
fidèles à la réalité. Soupçonné d’avoir joué un rôle de premier plan dans
plusieurs répressions sanglantes de la fin des années 2000 en Guinée, Pivi
serait une brute épaisse. Le même journaliste raconte : « Sa corpulence
t’effraie. Il n'a pas besoin de parler, tu trembles déjà. » Il fait plus de
deux mètres, avance-t-il. Pivi est une machine à fantasmes et, à son sujet,
toutes les exagérations sont admises. En réalité, il mesurerait un mètre
quatre-vingts, mais avec une carrure imposante. Pivi est une force de la
nature, sans être un géant non plus.
Le colonel a largement contribué à construire ce personnage
de surhomme. Alors qu’il est entendu sur son rôle dans le massacre du 28
septembre 2009, au tribunal criminel de Dixinn, Pivi s’autorise une longue
digression sur son parcours au sein de l’armée : « Moi, j’ai une carrière
militaire qui est bien remplie, parce que tous ceux qui sont là, personne ne
peut dire qu’il a fait la guerre dans la sous-région plus que moi. À un très
jeune âge, j’ai fait les trois fronts. J’ai fait la guerre du Liberia, j’ai
fait la guerre en Sierra Leone, en Guinée-Bissau. Je connais l’arme, je ne
blague pas avec l’arme. »
Pivi a participé dans les années 1990 aux opérations de
maintien de la paix de l’Ecomog, la force de la Cédéao. Ceux que l’on surnomme
les « casques blancs » s’illustrent par leurs exactions. À cette époque, Pivi
devient même le garde du corps de Charles Taylor, figure centrale des guerres
civiles au Liberia et en Sierra Leone, condamné en 2012 à 50 ans de prison pour
crimes contre l’humanité.
Entré dans l’armée dans les années 1980, Pivi a gagné ses
galons au combat : « Sur le plan militaire, il n'a pas pratiqué les grandes
écoles, explique le haut gradé à la retraite, mais je crois qu'il a bénéficié
d'une réalité pratique qui lui sert jusqu’à maintenant. » Pour l’avocat au
procès du 28 septembre 2009, « c'est un soldat rompu à la tâche, un vrai
combattant qui a le respect de ses camarades ». Vétéran de trois guerres, Pivi
en est sorti indemne : « Ça renforce le mythe », estime le conseil. « Lors de
son passage au Liberia et en Sierra Leone, beaucoup ont dit qu'on avait tiré
sur lui, mais que ça n'avait eu aucun effet. » Pivi serait « invulnérable » aux
balles.
Coplan
À mi-chemin entre fiction et réalité, Claude Pivi, à l’état
civil, est plutôt connu des Guinéens par ses surnoms : Coplan, Grand Ko… Ils
font référence à un personnage de roman d’espionnage adapté sur grand puis
petit écran. Coplan est un agent secret français, brillant, courageux et
athlétique. Avec cette légende qui l’entoure, Pivi, en cavale, pourrait déjà
avoir l’ascendant sur ses poursuivants des forces spéciales. Quatre membres de
cette unité d’élite ont perdu la vie en affrontant le commando armé. « Je pense
que [les forces spéciales] croient fortement à ce mythe. Psychologiquement,
elles sont complètement dominées », assure l’avocat.
À 63 ans, Claude Pivi était apparu fatigué à la barre, lors de sa comparution au procès du massacre du stade de Conakry, en novembre 2022. Diminué, la mine renfrognée, sous le feu roulant des questions des avocats, l’homme n’impressionnait plus vraiment. Désormais, il hante les cauchemars des Guinéens.
Après l’évasion de la Maison centrale, une vidéo a été
largement partagée sur les réseaux sociaux en Guinée, montrant un accrochage
violent entre des membres du commando et des soldats, au carrefour de
l’autoroute Fidel Castro et de l’hôpital Donka, au cours de leur fuite. Sur les
images captées par une caméra de surveillance, on voit les militaires en
difficulté, obligés de battre en retraite sous le feu nourri d’hommes couverts
de gris-gris. Un témoin de la scène raconte que les balles tirées par les militaires
guinéens n’atteignaient pas leurs cibles qui semblaient bénéficier d’une
protection surnaturelle.
Parmi les autres pouvoirs de Pivi : il aurait la capacité de
se transformer en animal. « Moi personnellement, ça, je n'y crois pas, s’amuse
l’avocat. S'il pouvait disparaître, je pense qu'il aurait attendu d’être en
pleine audience et puis paf ! » Mais tant que Pivi sera en fuite, les habitants
de Conakry ne pourront s’empêcher de regarder d’un œil circonspect les chats
errants qui déambulent à travers la capitale.
Radio France Internationale
(RFI)
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