Le 5 septembre 2021, un coup d’État entraînait la chute d’Alpha Condé, le pays découvrait alors le nouvel homme fort du pays : le colonel Mamadi Doumbouya. Un an plus tard, le nouveau leader guinéen qui est engagé dans une transition de 36 mois a aussi provoqué de vives tensions au sein de la classe politique et de la société civile. Entre les inconditionnels du colonel-président et les déçus, les espoirs et les attentes de la population sont donc multiples.
Au bout de la presqu’île de Kaloum, posées sur des chaises
siglées au nom de la bière nationale, Madame Fofana et ses amies papotent
tranquillement en ce début de week-end. Au bout de la rue la présidence, et
cette secrétaire au sein d’une société informatique se souvient du 5 septembre
2021 comme si c’était hier : « Vers les 8 heures, j’étais couchée chez moi
quand on a entendu les coups de fusil, tout le monde a eu peur ». Bangoura, un
voisin, complète : « vers 10h, 11h, 12 h, on s’informe. On voit les images du
président Condé arrêté. On parle de coup d’État, de renversement ». « C’est
après que l’on a appris que c’était le colonel Mamadi Doumbouya », ajoute
Madame Fofana. Kaly, 19 ans, des rêves de footballeur professionnel plein la
tête, conclut : « Il y avait la joie, il est venu pour nous donner des espoirs
car on était désespérés ». En descendant vers le port Boulbinet, Mohamed,
docker à la retraite, montre avec fierté les nouvelles routes construites
depuis un an. « Je soutiens à 100% Mamadi Doumbouya. Il a ramené une stabilité
que je n’avais pas vue depuis le temps du premier président Sékou Touré »,
témoigne-t-il.
Méthode forte, actes
forts
S’appuyer sur toutes les forces vives et l’héritage
politique du pays, c’était l’une de ambitions de Mamadi Doumbouya. Le jour de
sa prise de pouvoir, sur le plateau de la télévision nationale, drapeau de la
Guinée sur les épaules, il déclarait en tapant du poing sur la table : « les
Guinéens ne doivent plus mourir pour la politique. Nous allons mettre en place
un système qui n’existe pas et ce système, il faut qu’on le fasse tous ensemble
». Et s’il a multiplié les appels au dialogue, à la cohésion, le leader des
putschistes a rapidement imposé sa méthode basée avant tout sur la fermeté.
En décembre dernier, par décret, le leader du pays décide
ainsi de renommer l’aéroport international de Conakry. Désormais le nom du père
de l’indépendance s’affiche en lettres dorées sur le terminal. Une décision
forte, saluée par les héritiers mais immédiatement critiquée, particulièrement
par l’Association des victimes du régime de Sékou Touré. « Comment peut-on
donner le nom de notre aéroport, qui est la vitrine du pays, à ce dictateur ?
», s'indignait l'association. Vu comme le sauveur de la nation par une large
frange de la population pressée par les années Alpha Condé, le haut gradé,
dirigeant des forces spéciales était néanmoins scruté avec distance par les
opposants politiques et la société civile qui attendaient, après les promesses,
des actes. Et certains de ces leaders ont vite déchanté.
Une opposition sous
pression
Mamadi Doumbouya a fait de la lutte contre la corruption une
priorité et la majorité des acteurs politiques et de la société civile se sont
félicités en décembre dernier lorsque la Crief, la Cour spéciale de répression
des infractions économiques et financières, a été créé.
Mais en parallèle, le chef de la junte a aussi voulu
récupérer des terrains considérés comme propriété de l’État. En février
dernier, deux des principaux opposants, Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré ont
donc été sommés par la justice de quitter leurs maisons. Malgré des recours en
justice, les autorités ont fait démolir celle du leader de l’Union des forces
démocratiques de Guinée pour y construire une école. Depuis, Cellou Dalein
Diallo vit en exil et présente Mamadi Doumbouya comme un oppresseur.
Au sein de la société civile, notamment du Front national
pour la défense de la Constitution, les méthodes expéditives du président de la
transition ont échaudé les esprits et relancé les manifestations. Le CNRD les a
interdites mi-mai, estimant que « rien ne saurait justifier les marches en
cette période sensible de la vie nationale où les Guinéens ont recommencé à se
parler en frères. » Malgré cette décision officielle, le FNDC a continué à
prendre position, à dénoncer les décisions politiques du pouvoir. Fin juillet,
5 personnes ont été tuées lors de marches interdites et deux membres du FNDC,
Foniké Mangué et Ibrahima Diallo ont été placés en détention pour participation
à un attroupement interdit.
Nouvelle escalade dans ces tensions, la junte a annoncé la
dissolution du Front. Une décision dénoncée par les défenseurs des libertés,
notamment par Michelle Bachelet, alors Haut-commissaire aux droits de l’homme à
l’ONU qui a fait part, fin août, de ses « profondes préoccupations face à l'évolution
récente de la situation des droits de l'homme en Guinée ». Fermes, les
autorités n’ont eu de cesse de le répéter, elles refusent de recevoir des
leçons notamment de la Cédéao qui pousse pour faire passer la transition de 36
à 24 mois. Croisé à la fin d’un sommet de l’organisation cet été, un chef
d’État de la sous-région, visiblement décontenancé, glissait à RFI : «
Qu’est-ce que vous voulez que nous fassions ? Ils ont accès à la mer, leur
propre monnaie. C’est compliqué. »
Quartiers populaires en
ébullition
Si les pressions extérieures semblent n’avoir que peu
d’impact, les appels de la rue sauront-ils faire bouger le régime ? Au sein des
quartiers populaires de Conakry, fiefs de longue date de l’opposition, les
tensions politiques sont palpables mais les priorités de nombreux habitants
sont autres, notamment économiques. Au marché de Madina, les visages sont
fermés. Doyen, vendeur de claquettes, monsieur Sow appelle « le président
Doumbouya à venir voir comment les gens souffrent ». Abdoulaye, la trentaine
passée, estime que les autorités doivent tout faire « pour donner du travail
aux jeunes ». Fonctionnaire, Monsieur Camara considère que le numéro un du
régime a manqué une promesse, celle de réunir toutes les forces vives du pays.
Il appelle donc Mamadi Doumbouya « à inviter tous les leaders du pays dans son
bureau pour leur dire de gérer la transition avec lui ». Réparateur de
téléviseurs, Savany estime lui que le temps est compté. « Une transition ne
change pas le pays, M. Doumbouya doit organiser les élections car seul un
président élu démocratiquement pourra changer le pays », estime-t-il.
En repartant vers la presqu’île de Kaloum, siège du pouvoir,
impossible de les rater. De chaque côté du palais du Peuple : deux immenses
portraits de Mamadi Doumbouya. Le président, en uniforme, pose fièrement pour
une fois sans ses éternelles lunettes de soleil. En arrière-plan, la photo
d’une mine et sous le portrait ce texte : « Une seconde victoire historique :
la Guinée fixe enfin le prix de référence de sa bauxite. Grace à l’opiniâtreté
du colonel patriote. » Contraste saisissant, un peu plus loin de l’autre côté
de la route, les premiers portraits géants de Mamadi Doumbouya, installés l’an
dernier, juste après le coup d’État. Sur ceux-là, les couleurs sont passées,
jaunies par le temps. D’un côté la puissance, de l’autre, une sensation
d’oubli. Un an après sa prise du pouvoir par la force, le colonel-président,
comme le surnomme les Guinéens, doit désormais convaincre la majorité, prouver
que ses décisions entraînent une nouvelle dynamique car l’euphorie des premiers
jours est retombée.
Radio France Internationale
(RFI)