Le sénateur socialiste, Jean-Yves Leconte,
représentant les Français visant à l’étranger s’élève contre la répression dont
font l’objet les opposants en Guinée. Invité de Tribune Ouest, il se prononcer sur
l’initiative d’un certain nombre de députés français au sujet de sanctions à
voter contre la Guinée Lisez
Vous vous êtes ému, en mars
dernier, du sort réservé à Cellou Dalein Diallo, l’un des principaux opposants
à Alpha Condé. Depuis deux ans déjà, les ONG alertent sur la situation
politique en Guinée et dénoncent une répression toujours plus forte contre les
oppositions. Quel est, aujourd’hui, l’état de la démocratie en Guinée ? Alpha
Condé aurait-il dû renoncer à sa réforme constitutionnelle ?
Jean-Yves
Leconte – Les conditions de préparation de la réforme
constitutionnelle ont été très chaotiques, puisque dès le début, chacun a
compris l’initiative d’Alpha Condé comme une démarche ayant comme but essentiel
de faire sauter le verrou du troisième mandat et de se maintenir au pouvoir.
Alpha Condé s’était déjà illustré au cours des années de son mandat comme
quelqu’un d’assez peu lié aux exigences d’un calendrier électoral qu’il a
systématiquement aménagé en fonction de ses intérêts.
En liant le référendum et les élections législatives dans un
scrutin dont la préparation, en particulier en ce qui concerne les listes
électorales, a été très critiquée par de nombreuses organisations
africaines, Alpha Condé a aggravé la crise. Suite à une demande de
la CEDEAO, pris de remords, il avait repoussé la date de l’élection. Nous avons
eu alors l’espoir d’un retour du dialogue. Mais il a ensuite confirmé une
nouvelle date, sans ouvrir au préalable un dialogue politique. Ce qui devait
arriver est arrivé : nous avons aujourd’hui une Assemblée nationale
dépourvue des principaux membres de l’opposition. Le parlement n’est plus en mesure
de remplir le rôle de représentation du peuple qui lui est dévolu dans une
démocratie. Tant que cette situation perdurera, le blocage risque de se
maintenir : ce n’est pas juste la démocratie en Guinée qui est suspendue
mais l’avenir du pays.
La viabilité du processus électoral présidentiel a été fortement
critiquée par les oppositions, qui dénoncent notamment des fraudes dans
certaines régions (taux de participation extrêmement hauts dans des régions
acquises au parti présidentiel, absence de remise de PV dans certains
bureaux…). Pensez-vous que l’élection d’Alpha Condé est aujourd’hui légitime,
considérant les doutes raisonnables qui planent sur le processus électoral ?
Jean-Yves
Leconte – Ce que vous constatez s’ajoute à des listes électorales
déjà très suspectes et aggrave encore les conditions d’organisation de cette
élection. Ousmane Gaoual Diallo avait mis en place, pour l’UFDG, une
organisation et un suivi des bureaux de vote capables de suivre le déroulement
du scrutin de manière indépendante de la CENI. Je ne sais si Ousmane et l’UFDG
seraient aujourd’hui en mesure d’administrer la preuve des fraudes. Mais il
faut constater que lui et l’UFDG sont, depuis l’élection présidentielle,
empêchés d’agir : il est en prison, en détention préventive sans avoir pu
échanger avec un juge depuis 6 mois et le siège du Parti, gardé par les forces
de l’ordre, n’est pas accessible. Tout ceci pèse sur la crédibilité du scrutin.
Plusieurs députés français ont condamné la répression des oppositions
en Guinée et réclament la mise en œuvre de mesures de sanction contre Alpha
Condé. Soutenez-vous cette initiative ? Quelle devrait être la position de la
France et, plus largement, de l’Union européenne qui, pour le moment, semble se
contenter d’indignations sans acte face à Alpha Condé ?
Jean-Yves
Leconte – Il ne faut pas désespérer qu’Alpha Condé change et en
vienne à des meilleures dispositions pour réformer vraiment sa
gouvernance et rendre le système plus vertueux avec de
véritables contre- pouvoirs. Mais si cette voie n’est pas suivie et que le
régime d’Alpha Condé continue d’osciller entre répression et prédation alors
oui, il faut des sanctions.
Je veux aussi ajouter, au regard de la double nationalité d’un
certain nombre d’acteurs, que des juridictions étrangères pourront être saisies
dans de nombreux cas s’il y a, par exemple, traitement inhumain et dégradant ou corruption.
Il n’y aura pas d’impunité. Car par rapport aux périodes précédentes sous les
régimes de Sekou Touré ou de Lansana Conté, il y a un changement majeur :
l’information, aujourd’hui, circule sans limite, quoi qu’on veuille.
Les révélations d’Amnesty International indiquent en effet et comme
vous le soulignez, que plusieurs unités de police, dont la BRI, ont été
utilisées à des fins de répression des opposants. Cette unité a longtemps
bénéficié d’un appui opérationnel européen pour la formation de ses membres.
L’usage d’armes de guerre à des fins de rétablissement de l’ordre a aussi été
documenté par Amnesty International. La France et l’Union européenne sont-elles
assez prudentes dans leurs accords de défense et de coopération avec certains
pays africains, dont les dirigeants multiplient parfois les atteintes aux
droits humains ?
Jean-Yves
Leconte – L’exemple que j’ai soulevé dans cette question écrite au
gouvernement est préoccupant. Je retiens aussi les « facilités » faites par
certains pays européens aux gouvernements africains qui acceptent sans
rechigner de délivrer des laisser-passer consulaires pour le retour de
personnes originaires de leur pays et en situation irrégulière en France, sans
même que le consulat du pays d’origine en France ne puisse avoir un mot à dire
sur les conditions de rétention et les droits de la personne concernée.
Il
est aussi inacceptable de de voir des affiches annonçant des financements de
l’Union européenne devant la prison centrale de Conakry lorsque l’on connait
les conditions de détention des personnes qui s’y trouvent, souvent des
prévenus gardés ici dans des conditions inhumaines au bon vouloir du pouvoir
politique. Des privations de liberté qui s’apparentent plus à une prise d’otage
qu’à une détention provisoire.