Une balle éclate en Ukraine et c’est la famine au Sahel. L’effet « mondialisation » fait penser à « l’effet papillon » cher à Edward Lorenz, l’un des maîtres à penser de la fameuse théorie du chaos : « Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? »
Pour extraordinaire que cela paraisse, ce scénario
catastrophe est plausible sur le plan météorologique aussi bien que sur le plan
alimentaire. Une feuille morte tombe en Australie et c’est l’avalanche au
Groenland ! Un grain de blé se perd à Kiev, et c’est la pénurie de semoule à
Bamako !
Il n’y a pas de petite querelle, disait Hampâthé Bâ, il n’y
a pas de petite cause non plus. C’est un simple soupir de bébé qui déclenchera
le big-bang final, si ça trouve. La vie est un tout. C’est pour avoir oublié
cela que nous avons bâti ce monde absurde de frontières factices et de nations
belliqueuses.
Mais bon, ce n’est pas en 2 022 que nous allons corriger les
erreurs commises au Néolithique. Le nationalisme est devenu notre dogme et la guerre, notre mode vie. Partout, même sur
les atolls du Pacifique, la géopolitique a pris le pas sur la morale et la
religion. Rangez votre bible, parlez-moi d’intérêt et de stratégie ! Point de
regret ! Si l’habitude est une seconde nature, l’erreur, elle est une seconde
erreur.
Faisons comme De Gaulle, prenons le monde « tel qu’il est »
et tant-pis, si plus personne ne peut limiter les dégâts. Et le monde tel qu’il
est, c’est d’abord et avant tout, la guerre d’Ukraine ou plutôt la guerre du blé.
La Russie et l’Ukraine exportent à eux seuls 30% du blé
mondial. C’est dire que le conflit entre ces deux nations slaves, entraînera
inévitablement une crise alimentaire de grande importance (l’ONU parle déjà
d’un ouragan de famines »). Et bien que fort éloignée de la zone de turbulence,
l’Afrique en sera la première victime. Et pour cause, c’est elle qui dépend le
plus des céréaliers de Moscou et de Kiev : en moyenne, 40% de sa consommation,
65% pour le Sénégal, 68% pour la RD du Congo, 75 % pour le Bénin et le Soudan,
85% pour l’Egypte, 100 % pour la Somalie.
Pourquoi croyez-vous que Macky Sall (président en exercice
de l’Union Africaine) et Moussa Faki Mahamat (Secrétaire Exécutif de ladite
organisation) ont rencontré Poutine à Sotchi le 3 Juin dernier ? Bien sûr, pour
prôner la paix et l’amitié entre les peuples comme le veut la liturgie
diplomatique mais aussi et surtout pour exhorter le nouveau tsar de toutes les
Russies à débloquer les 20 000 000 de tonnes de céréales que la guerre a
bloquées dans les ports de Kharkiv et d’Odessa.
Dans l’imagerie universelle, quoi de plus normal que
l’Afrique quémande à manger ! Et pourtant, ce continent, à lui seul, pourrait
nourrir l’humanité. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les spécialistes de la
FAO. Elle disposerait de 50 à 60% des terres arables disponibles dans le monde.
Là, comme dans les autres secteurs d’activité, ce ne sont pas les moyens qui
manquent, c’est la volonté politique, c’est l’imagination au pouvoir. Nos
dirigeants n’ont pas encore compris que la dépendance alimentaire est la pierre
angulaire de la dépendance politique. Nous resterons assujettis et
sous-développés tant que nous cracherons sur le manioc et l’igname, le niébé et
la banane- plantain pour nous empiffrer de ce blé qui ne pousse même pas sur
nos terres.
Malgré les projets faramineux et les discours
grandiloquents, aucun de nos Etats n’a réussi à briser cette intolérable
absurdité née de la domination européenne : l’Afrique est le seul continent qui
produit ce qu’il ne consomme pas et qui consomme ce qu’il ne produit pas. Au
fond, la colonisation n’est pas dans le canon, elle est dans l’assiette.
Tierno Monénembo (In
Le Point)