Pendant que la quatrième révolution industrielle est devenue une
réalité sous d’autres cieux, avec le concept d’industrie 4.0 ou industrie du
futur, la Guinée continue de faire figure de mauvais élève, en termes de numérisation
de son administration. Comme pour dire que l’e-gouvernement demeure un luxe
pour notre administration. C’est à se demander à quoi servent-les 66,96
milliards GNF dédiés à la rubrique « information communication » de
la présidence de la République, institution dépourvue de site internet. Ou les
900 milliards de la Primature, destinés à la fourniture de matériel
informatique. En plus d’être à la traine en termes d’accès à l’e-gouvernement,
notre pays est aussi une proie facile pour espions, avec toutes les failles que
comportent les courriels privés, prisés de nos ministres au détriment des
messageries officielles. Notre dossier.
Pour commencer, Akoumba, dites-nous c’est quoi le concept de
l’e-gouvernement ?
L’e-gouvernement ce sont des initiatives
de gouvernement ouvert. En clair il s’agit de l’administration numérique ou
encore la démocratie 2.0. Un gouvernement qui tire parti des outils Web 2.0
pour promouvoir la transparence, stimuler l’interaction avec les citoyens et
instaurer la collaboration entre les différents Ministères et Organisations.
Votre enquête nous apprend que notre pays est à la traine dans l’intégration
de l’e-gouvernement ?
Cette méthode de gouvernance-là
semble être loin du premier souci de l’administration publique guinéenne. Le
gouvernement guinéen est donc largement en retard dans l’intégration de l’outil
informatique voire internet dans son système de fonctionnement.
Il suffit de se rendre dans les
ministères pour s’apercevoir de cet état de fait, n’est-ce pas ?
On serait même tenté de compter
au bout des doigts les Ministères guinéens disposant d’un site internet. C’est qui est à déploré dans tout ça,
c’est l’usage de courriels privés par nos gouvernants. Est-ce que cela ne
comporte pas de risques pour la sécurité même de notre pays ?
Dénicher des Ministres de la
République disposant des courriels professionnels relève de l’impossible. Cela
je vous le garantis. D’où l’indiscrétion caractérisée des porteurs de la
dignité de conduire les affaires de l’État, parfois, sans qu’ils n’en soient
conscients du danger auquel ils exposent le pays.
Cela nous amène tout droit vers l’e-gouvernance guinéenne. Faites
nous-en un état des lieux ?
Nous allons tenter d’aborder en
deux points la problématique de l’e-gouvernance guinéenne. Concept si cher à
l’ingénieur anglais Tim Berners-Lee, son concepteur. Tenez-vous bien, hier 15
juin aux environs de 12h, le site du gouvernement guinéen a affiché
« compte suspendu[1] ».
En français facile, ce site
internet du Gouvernement qui est un ensemble de pages web et de ressources n’est
plus accessible via le réseau mondial internet. C’est dire que par ce canal-ci,
le Gouvernement ne peut pas partager automatiquement des informations ouvertes.
Qu’en est-il du site web de la présidence de la République ?
Depuis belle lurette, le site
internet de la Présidence de la République est en construction ou encore en
maintenance mais ce qui est sûr est qu’il est non sécurisé. Alors que cette
institution dispose en 2021 d’une ligne budgétaire de 66,96 milliards GNF
dédiée à la rubrique « information communication », le site internet
(https://www.primature.gov.gn ) de
la Primature est désormais opérationnel mais moins dynamique en termes de
contenu et d’interactions avec les citoyens.
La Primature dispose pourtant de près de 900 milliards de GNF pour
seulement la fourniture en matériel informatique ?
Si notre lecture est la bonne, la Primature dispose une ligne
budgétaire prévisionnelle de 852,38 milliards GNF consacrés à la fourniture de
matériel informatique. Un montant tout de même important, qui devrait permettre
de mettre cette institution à la pointe de la technologie.
D’autres départements comme celui du Commerce n’ont même pas de site
internet, selon votre enquête ?
Eh bien, s’il vous arrivait de
retrouver le site professionnel du Ministère du Commerce de la Guinée,
n’hésitez pas à partager le lien. En contrepartie, nous vous suggérerons un
coup d’œil sur ceux disposant d’un langage acceptable, à savoir les sites des Ministères de la Justice, de l’Économie et
des Finances, du Budget ou encore des Mines et de la Géologie.
Pourtant nos ministres sont très présents sur les réseaux
sociaux ?
Pour des nombreux Départements
ministériels guinéens, il serait plus facile de les chercher sur les réseaux
sociaux que sur leur domaine web professionnel. Des scientifiques notent que depuis
son entrée en fonction en janvier 2009, le gouvernement Obama avait envisagé
une nouvelle orientation pour le gouvernement américain : la gouvernance
ouverte (« Open Government »). Il serait trompeur de qualifier cette expression
de « nouvelle » étant donné que les citoyens ressentent depuis longtemps la nécessité
d’une gouvernance ouverte. En outre, depuis que les gouvernements existent, des
initiatives ont toujours été prises pour créer une gouvernance ouverte dans une
série de contextes.
Cette enquête dévoile le fait que nos hauts fonctionnaires se servent
plus de courriels privés que de mails professionnels. Ce qui est même dangereux
pour la sécurité de notre Etat ?
Le 2ème point de notre alerte me
semble plus inquiétant. La fuite organisée des informations de l’État par des
coupables sûrement inconscients de la forfaiture administrative. En effet,
plusieurs membres du Gouvernement guinéen n’utilisent pas des e-mails
professionnels. On peut se permettre de dire que tous n’utilisent point des
messageries professionnelles. Car toutes les adresses e-mail découlant du
domaine gouvernement.gov.gn peuvent être considérées comme inactives. A partir
du moment où le site lui-même n’est pas fonctionnel. Donc notre administration
publique, on est donc loin d’avoir des secrets professionnels.
Pour analyser ces maux dont
souffre le fonctionnement de l’Administration publique guinéenne au quotidien,
il est important de mettre le doigt sur la plaie. Et compter par le même doigt
des Ministres utilisateurs des messageries privées pour transmettre ou recevoir
les informations sensibles de l’État.
Quels sont ces membres du gouvernement à user de courriels privés. Car
cela mérite d’être tout de même dénoncé ?
Il n’ya qu’un échantillon des
membres du Gouvernement qui est concerné par cette enquête. Mais sachez que le Premier Ministre Ibrahima Kassory
Fofana est un utilisateur de « American Online (aol) » ? AOL est
d'ailleurs né en 1985 aux États-Unis sous le nom America Online.
Que va-t-il se passer à son départ du palais de la Colombe ?
A son prochain départ de la
Primature, le propriétaire exportera les données confidentielles guinéennes
partout l’aventure le mènera. Alors qu’avec une messagerie professionnelle,
l’État est capable de lui en priver.
Qui du ministère de la Défense ?
Venons-en au Ministère de la
Défense Nationale qui dispose d’une messagerie de domaine et qui a dû
probablement joindre celle-ci à l’Américaine fondée en 1998 dans la Silicon Valley
en Californie, je parle de Google, couramment appelé Gmail.
A supposer que les anciens
Ministres Cheick Sacko, Taran Diallo ou encore Mouctar Diallo aient stockés des
informations dans leur Gmail, ce qui n’est pas à exclure, ou que Moustapha
Naïté ait fait de même, dans son Yahoo qui est elle aussi une société américaine
de service web créée en 1994, appartenant depuis 2017 à Verizon Media. Qui donc
pourrait empêcher ceux-là d’en faire usage autrement ?
Le plus grave dans tout ça, c’est que même le secrétariat général du
gouvernement navigue en privé ?
Mais dans tout ça, que dire du Secrétariat
général du gouvernement qui malgré un joli domaine professionnel (https://www.sgg.gov.gn ), Bintouden Lansana Komara
semble être un bon client de Yahoo, alors qu’il coordonne le système nerveux
central du Gouvernement ?
Un mot sur le ministre des NTIC ?
Pourrait-on avoir pour coupable
parfait, M. Oumar Saïd Koulibaly, le Ministre des Télécommunications et de
l’Économique Numérique qui lui-même clique sur Gmail ?
Après un tel constat, est-on en droit de se demander si la Guinée n’est
pas une proie facile face à ses adversaires économiques pour les entreprises,
et politiques pour les pays ?
Le stratège Américain Robert Greene n’a-t-il
pas dit dans son Best-seller que « tout savoir de son rival est
indispensable. Vous prendrez un avantage inestimable, en postant des espions
qui vous communiqueront des informations précieuses. Mieux encore, espionnez
vous-même… »