Emmanuel Macron en terre conquise ou à reconquérir? Il ne faut pas être
un expert en politique internationale ou un liseur de boule de cristal pour
reconnaître que l’influence de la France au Cameroun et plus loin, dans ce qui
s’appelait le pré-carré français s’est considérablement lézardée. Ceux qui ont
la langue fendue au mauvais endroit disent que l’ascendant qui était celui de
nos ancêtres les Gaulois sur leurs anciennes colonies a explosé, laissant place
à une sorte de désenvoûtement dont profite d’autres vendeurs de charmes venus de
la Russie, de la Chine, de l’Inde, de la Turquie, etc. Et comme dans la bible
des chrétiens, Emmanuel Macron ressemble à Jésus qui a chassé les commerçants
du temple, la maison de son père. Mais la réalité est bien loin des paroles de
l’évangile, car Jupiter aura fort à faire pour remettre à flot le paquebot
battant pavillon tricolore.
Même avec ses bagages qui, sur un
vol commercial lui auraient sans doute fait payer chèrement des excédents, les
promesses de développement, de lutte contre la menace terroriste et de nouveau
partenariat gagnant-gagnant, Macron II, à moins d’avoir des talents cachés de
magicien, ne pourra renverser la tendance de sitôt. La France s’est comme
laissée surprendre par les ambitions de ses concurrents qui eux, moins
regardants sur la bonne gouvernance, la démocratie et le respect des droits de
l’homme dont Paris se fait le chantre, ont déroulé une coopération plus
réaliste qui épouse la vision des dirigeants africains, adeptes des règnes ad
vitam aeternam.
En tout cas, dans cette opération
de reconquête, peu de place sera consacrée à des questions dont la prise en
compte, pourtant, fera un grand bien au climat socio-politique tendu à
l’extrême. Les prisonniers politiques qui continuent de croupir dans les geôles
de Kondengui, la redoutée prison centrale de Yaoundé; la préoccupante guerre de
l’Ambazonie qui oppose le gouvernement de Paul Biya et les mouvements
séparatistes anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest camerounais; les
incursions régulières de la nébuleuse Boko-Haram qui mettent à mal la sécurité
des Camerounais et de leurs biens, etc. sont autant d’équations à résoudre pour
redonner des chances de vivre-ensemble et de paix au Cameroun. Que dire de la
plus grande préoccupation de l’heure, en l’occurrence la succession de Paul
Biya? «Popaul» a soufflé officiellement, 89 bougies le 13 février et
totalisera, le 6 novembre, 40 années de pouvoir. Ce n’est pas peu!
Il faut le dire, sa santé de fer,
qui malgré tous ses longs séjours médicaux ou non, s’oxyde comme celle de tous
les humains, est la preuve que le presque nonagénaire a le droit de jouir d’une
retraite bien méritée. Mais ce sujet risque d’être habilement éludé par le
Français lors de la rencontre d’une heure prévue, ce mardi, entre lui et son hôte.
Emmanuel Macron ne se permettra certainement pas le luxe de sortir une deuxième
fois du diplomatiquement correct. Il saisira même peut-être l’opportunité, pour
présenter ses excuses au locataire inamovible du palais d’Etoudi, lui qui,
interpellé lors de sa campagne électorale en France, a promis de mettre le
maximum de pression, sur son homologue et non moins aîné de plusieurs
décennies, pour l’amener à respecter les droits de l’homme. Dans une délicate
opération reconquête, il faut savoir rester dans les clous, et Emmanuel Macron
dont le pays perd constamment du terrain en Afrique connaît bien la leçon.
Surtout que dans le voisinage
camerounais de Macron, traîne Sergueï Lavrov, le missi dominici préféré de
Vladimir Poutine. Le chef de la diplomatie russe, comme un hasard de calendrier
bien pensé, est arrivé le dimanche soir à Oyo, le fief du Congolais Denis
Sassou Nguesso, situé à 400 kms au nord de Brazzaville. Et lui était en terrain
acquis, ne boudant pas son plaisir d’entendre son homologue congolais dire, sur
la position de son pays dans la crise russo-ukrainienne, que le Congo ne peut
pas hurler avec les loups ou jeter de l’huile sur le feu! Qui sont les loups de
Jean-Claude Gakosso? Question! En tout cas, Français et Russes qui
s’affrontent, sur bien des terrains africains, par pays interposés, ne se
lâchent pas d’un pas.
Du Cameroun à la Guinée Bissau où
il rencontrera Umaro Sissoko Embalo, son homologue et congénère âgé seulement
de 4 ans de plus que lui, et tout nouveau président de la Communauté économique
des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), en passant par le Bénin à qui son
pays vient de rétrocéder des trésors royaux pillés sous la colonisation,
Emmanuel Macron aura peu de répit, entre questions sécuritaires et
commerciales. La France qui sait désormais qu’elle doit considérer les
Africains comme des partenaires et non des obligés, doit aller vite et bien
pour sauver ce qui peut l’être encore face aux ogres chinois et russes qui,
eux, ne lésinent sur aucun moyen, avec pour arme privilégiée de destruction
massive la communication, surtout celle que les geeks appellent «fake news».
WS