Le commissaire divisionnaire Oumar Samaké, commandant de la Force spéciale antiterroriste Forsat a été inculpé, incarcéré et libéré, tout cela en l’espace de quelques heures vendredi 3 septembre. Inculpé, entre autres, de « meurtres » et « coups mortels » par la justice malienne, dans le cadre de l’enquête sur la répression meurtrière des manifestations anti IBK de juillet 2020, qui avaient fait une dizaine de morts, le chef de la Forsat a été placé sous mandat de dépôt, incarcéré dans la foulée avant d’être libéré dans des conditions qui demeurent particulièrement floues.
Le commissaire divisionnaire Oumar Samaké a été inculpé
vendredi matin pour « meurtres, coups mortels, coups et blessures volontaires
aggravés et complicité » à la demande du premier cabinet du juge d’instruction
du tribunal de grande instance de la Commune III de Bamako et a été incarcéré
dans la foulée.
La nouvelle de son inculpation et de son incarcération a
immédiatement suscité la colère de nombreux policiers qui se sont rassemblés,
en armes et uniformes, devant la maison centrale d’arrêt de Bamako, pour exiger
sa libération. Le commandant de la force spéciale antiterroriste Forsat a été
finalement relâché et a quitté les lieux, en voiture, sous les acclamations de
ses collègues.
Dans quelles conditions Oumar Samaké a-t-il été extrait de
la maison d’arrêt quelques heures à peine après son inculpation ? Qui en a
donné l’ordre ? Cette libération signe-t-elle la fin de la procédure engagée à
son endroit par la justice malienne ? Ou s’agit-il d’une mesure temporaire
destinée à éviter des violences, avant une nouvelle interpellation ? Aucune des
autorités contactées par RFI, au sein de la justice, du gouvernement ou de la
présidence malienne n’a pu ou n’a souhaité apporter de précisions à ce stade.
Manifestations des 10
au 13 juillet 2020
L'inculpation d'Oumar Samaké est liée à la répression des
manifestations des 10 au 13 juillet 2020. Le régime du président Ibrahim
Boubacar Keïta est alors fortement contesté, des manifestations sont organisées
par une coalition, M5-RFP, composée de partis politiques, de syndicats,
d’organisations de la société civile ou encore d’artistes. C’était le mois
précédant le coup d’État militaire du 18 août, qui est justement venu « parachever
» ce mouvement de contestation, selon les termes employés par la junte qui a
pris le pouvoir.
Un rapport de la division droits de l’homme de la Minusma -
la mission des Nations unies dans le pays - paru en décembre dernier au terme
de plusieurs mois d’enquête, fait état de quatorze morts à Bamako lors du
mouvement de contestation. La répression avait aussi fait trois morts à Kayes,
un mort à Sikasso et plus de 150 blessés, selon la Minusma.
À l’époque, l’emploi de cette force antiterroriste face aux
manifestants avait suscité émoi et interrogations. Dans son rapport, la Minusma
s’interrogeait justement sur l’utilisation de la Forsat, tout en rappelant que
la police et la gendarmerie avaient également fait des victimes. L’inculpation
du commandant de cette force, la première dans ce dossier, intervient un an
après l’ouverture de la procédure et de l’enquête judiciaire.
Inquiétudes pour la
suite de la procédure
Différentes sources ayant animé les manifestations de
juillet 2020 et qui attendent que la lumière soit faite sur leur sanglante
répression, expriment leur désarroi et leurs craintes pour la suite de la
procédure. « Cela rend amer parce que cela montre à quel point on peut mesurer
la déliquescence de l’Etat, complètement absent quand on doit rendre la
justice, quand on doit aller jusqu’au bout, dénonce Clément Dembele, le
président de la Plateforme contre la corruption et le chômage au Mali. On était
très contents quand on a entendu qu’il y avait eu un début d’arrestation. On
s’est dit que désormais, on ne pouvait pas tuer gratuitement les manifestants,
les Maliens. »
Clément Dembele était, en juillet 2020 l’un des principaux
leaders des manifestations réprimées dans le sang. Il craint aujourd’hui que
les questions restent sans réponses. « Au moins il aurait dit qui avait donné
l’ordre, il aurait dit comment les choses se sont passées sur le terrain.
Toutes ces interrogations restent sans réponse. Cela donne le sentiment que
seuls les plus faibles paient devant la justice. Nous demandons au président de
la transition d’aller jusqu’au bout de ce processus. Il faut situer les
responsabilités, que chacun réponde de ses actes. Si Assimi Goïta n’arrive pas
à faire cela aujourd’hui, si Choguel Maïga n’arrive pas à assumer, ils auront
montré aux Maliens qu’ils ne sont pas capables de faire ce qu’ils disent. Et
c’est dommage. »
La force spéciale antiterroriste Forsat a été créée en 2016.
Le Mali se relevait alors d’une inédite série d’attaques terroristes qui avait
frappé la capitale Bamako – le bar-restaurant la Terrasse, l’hôtel Radisson- ou
encore la ville de Sévaré -l’hôtel Byblos-, dans le centre du pays.
Des hommes issus des différentes unités des forces maliennes
–police, gendarmerie, Garde nationale- sont alors rassemblés au sein de cette
nouvelle unité d’élite, la Forsat, qui a vocation à intervenir en urgence, sur
tout le territoire, et qui bénéficie de formations données par les partenaires,
américains, français, ou européens du Mali.
Son utilisation face à de simples manifestants pour réprimer
le mouvement de contestation contre IBK en juillet 2020 a fait couler beaucoup
d’encre : qui a décidé de recourir à la Forsat, dont ce n’est officiellement
pas le mandat ? Dans quelles conditions et avec quelles consignes ses hommes
ont-ils été déployés ? Des questions que le juge d’instruction n’aura pas
l’opportunité, du moins dans l’immédiat, de poser au Commandant de la Forsat.
Avec RFI