Depuis le putsch de 2020 et surtout le second de 2021 consolidant leur emprise à la tête d'un pays confronte à la propagation djihadiste et aux crises de toutes sortes, les militaires ont coupé les ponts avec la France et ses alliés européens et se sont tournés vers la Russie.
En 2020, dans ces mêmes colonnes, je donnais une chronique
intitulée « Assimi Goïta, un mal nécessaire pour le Mali », et dans laquelle
j'affirmais un peu trop vite que dans ce pays, il n'y avait pas péril en la
demeure. Deux ans plus tard, je suis bien obligé de me reprendre et, bien que
l'on ne soit pas au Canard enchaîné, de m'infliger un sérieux pan sur le bec. Car,
en ce moment au Mali, il y a bel et bien péril en la demeure.
À mon pire ennemi, je ne souhaiterais la situation que vit
ce pays hautement symbolique et qui se trouve être la terre d'origine de mes
aïeux, qui plus est. Déjà en proie aux méfaits du djihadisme, le voilà, devenu
après l'Ukraine, le deuxième champ de bataille du fameux conflit Est-Ouest qui,
malgré la chute du mur de Berlin, ne s'éteint toujours pas. Les deux plaies du
monde moderne réunies dans un seul et même petit pays africain, sahélien et
enclavé ! Le tout sur fond de diatribe aussi bien avec ses voisins qu'avec la
France !
Comment le Mali
s'est-il retrouvé dans cette situation ?
Bien que complexe, la lente descente aux enfers du Mali est
facile à retracer. Tout commence au nord. D'abord en Algérie où l'armée, après
avoir difficilement remporté la victoire, a poussé les derniers terroristes à
aller jouer ailleurs. En Libye ensuite, où la mort de Kadhafi a largement
ouvert la boîte de Pandore au Sahel. Surarmés et fanatisés à souhait, les
djihadistes pouvaient massivement se répandre dans une région où, présent
depuis les Almoravides, l'islam est véritablement chez lui.
Leur pénétration fut si rapide que sans l'appel au secours
lancé à l'armée française, ils auraient atteint Bassam et les îles de Loos sans
rencontrer la moindre poche de résistance. Dix ans après, les terroristes sont
toujours là malgré les opérations Serval et Barkhane. Et le désastre est tel
(surtout au Centre et au Nord) qu'il a entraîné une brouille sans précédent
entre Paris et Bamako. À tort ou à raison, l'ancienne puissance coloniale est
soupçonnée de laxisme, voire de duplicité : alliée le jour, complice des
envahisseurs la nuit. Pour marquer leur dépit, les autorités maliennes se sont rapprochées
de la Russie et ont accepté les offres de service de la force Wagner, dont on
ne sait toujours pas le lien exact avec le Kremlin.
Un pays à la croisée
des chemins
Après la crise de confiance, la crise de nerfs. C'est Le
Drian, alors patron du Quai d'Orsay, qui s'enflamme : « Et je voudrais rappeler
ici avec beaucoup de force que cette junte [entendez celle d'Assimi Goïta] est
illégitime et qu'elle prend des mesures irresponsables. » Un ministre français
des Affaires étrangères ne devrait pas parler comme ça… à une ancienne colonie
de la France. On a vu un Quai d'Orsay plus adroit.
C'est le ministre malien des Affaires étrangères qui prend
la mouche à son tour : « Ce sont des propos empreints de mépris... des propos
inacceptables… Les injures ne sont pas une preuve de grandeur. » Oui, ces
propos sont inacceptables. On comprend parfaitement l'indignation des autorités
maliennes. Mais le renvoi de l'ambassadeur français n'est-il pas
disproportionné et, somme toute, contre-productif ? Un communiqué bien senti du
palais de Koulouba et une manifestation monstre des forces populaires devant
l'ambassade de France n'auraient-ils pas suffi ?
Nous sommes en 2022 : l'heure n'est plus à la rupture des
relations diplomatiques mais à la consolidation de celles-ci, surtout en temps
de crise. Et puis, ce n'est pas malin pour un pays africain de se retrouver
coincé entre le marteau des Russes et l'enclume des Français. En tout état de
cause, on ne se libère pas en changeant de maître. Les Maliens devraient avoir
présente à l'esprit l'expérience de leurs frères utérins guinéens qui, dans les
années 1960, s'étaient retrouvés exactement dans la même situation avec le
résultat que l'on sait.
Par Tierno Monénembo