Au Mali, il y a encore énormément de questions après l’opération menée
la semaine dernière à Moura, dans le centre du pays. Dans un communiqué publié
le vendredi 1er avril 2022, l’armée malienne a indiqué avoir « neutralisé »
plus de 200 jihadistes lors de cette « opération d’envergure » menée entre le
23 et le 31 mars, contre un « fief des terroristes ». Mais de nombreux
témoignages locaux, collectés par RFI et plusieurs organisations de défense des
droits humains, font état de multiples exactions.
À ce stade, « on ne parle plus
d’exactions, c’est un massacre », affirme carrément une source, qui juge
l’opération militaire malienne disproportionnée et indiscriminée. L’armée
indique avoir tué 203 jihadistes et en avoir interpelé 51. Aucune perte à
déplorer côté Fama, ce qui est évidement une bonne nouvelle mais aussi une
source de questionnements : il n’y a pas eu de combat, l’armée indique avoir
mené des actions aériennes. « Un jour de marché » précisent de nombreuses
sources, qui assurent également que parmi les victimes tous n’étaient pas des
jihadistes, mais qu’il y a aussi eu de simples villageois. Ces sources évoquent
des exécutions sommaires, des pillages, des maisons brûlées et des femmes
violées. Le village a été encerclé et soumis à un blocus pendant six jours.
Dans son communiqué, l’armée
affirme avoir mené cette opération « suite à des renseignements bien précis »
sur « une rencontre entre différentes katibas », et avoir procédé à un «
nettoyage systématique de la zone ». Moura subit depuis plusieurs années le joug
des jihadistes de la Katiba Macina du GSIM, le Groupe de soutien à l’islam et
aux musulmans, où ils viennent régulièrement effectuer des prêches et se
ravitailler. « Sans armes, même des jihadistes identifiés doivent être
considérés comme des prisonniers de guerre et non comme des personnes à
liquider », pointent unanimement des sources humanitaires et judiciaires.
Autre interrogation : le rôle
joué par les supplétifs russes -mercenaires du groupe Wagner, selon tous les
partenaires occidentaux du Mali, ou « instructeurs » de l’armée russe selon
Bamako- des Fama : le communiqué de l’armée malienne ne les cite à aucun
moment, mais de nombreux témoignages attestent qu’ils étaient déployés en très
grand nombre, certains affirment même qu’ils étaient plus nombreux que les
soldats maliens.
Lourd bilan
Enfin le bilan de cette opération
pose question : 203 morts selon l’armée, mais là encore de nombreuses sources
évoquent un bilan très supérieur. Leur nombre précis risque d’être difficile à
établir. Des habitants ont expliqué avoir dû enterrer eux-mêmes leurs morts à
la chaîne, ils parlent de fosses communes et de corps calcinés.
La Mission des Nations unies au
Mali souhaite justement mener une enquête pour tenter d’établir les faits et de
répondre à toutes ces questions. « Tout est planifié, nous n’attendons plus que
l’accord des autorités », explique-t-on à la Minusma. Dans son communiqué,
l’armée malienne invite « à la retenue contre les spéculations diffamatoires à
l’encontre des Fama » et assure « ouvrir des enquêtes à chaque fois que des
allégations » sont portées contre les forces nationales. Mais les défenseurs
des droits humains souhaitent une enquête indépendante. Tout comme les
États-Unis, qui ont appelé, ce dimanche, le gouvernement de transition à accorder
l’accès de Moura à la Minusma.
« Le fait de ne pas fournir un
compte rendu approfondi et crédible des faits et des responsabilités, prévient
le département d’État américain, ne servira qu'à semer des divisions dans la
société malienne, à saper la crédibilité, la légitimité et la réputation des
Fama. » Même plaidoyer du côté de
l’Union européenne, qui juge «
essentiel » que la Minusma « puisse avoir accès aux lieux des évènements » et «
que les conclusions de ces enquêtes soient rendues publiques afin que les
responsables soient traduits devant la justice. » « La lutte contre le
terrorisme, conclut le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, ne peut
en aucun cas justifier des violations massives des droits de l’homme. »