Grand témoin de l'histoire de la Guinée, Mamadou Barry dit « Petit Barry » a été à la fois un collaborateur de l'ancien président Sékou Touré et une victime des camps de la première République guinéenne. Il a, comme tant d'autres Guinéens, été arrêté en 1971, à l'occasion de la vague de répression qui a emporté le pays dans le sillage de l'opération Mar Verde. Il vient de publier un premier livre de mémoires dans lequel il raconte son séjour au camp de Kindia, à 130 kilomètres de la capitale. Une histoire, qui selon lui, continue à peser sur le temps présent.
RFI : Mamadou Barry,
avant d’être arrêté fin juin 1971, vous êtes l’un des hauts cadres de
l’information du pouvoir guinéen. Que savez-vous de la façon dont les fameuses
listes des personnes qui vont être arrêtées tout au long de cette année 1971,
ont été constituées ?
Mamadou Barry dit Petit Barry : Ce sont des règlements de
comptes. On a voulu s’en prendre à des anciens adversaires politiques qu’on ne
pouvait pas éliminer jusque-là et à des gens considérés comme n’acceptant pas
le régime du Parti Démocratique de Guinée. Donc, tous ceux-ci ont été mis sur
une liste, ont été arrêtés et impliqués comme étant des soutiens de l’agression
portugaise. Je le sais personnellement moi, parce que j’ai été accusé. Un beau
jour, on entend à la radio : « Mamadou Barry dit Petit Barry, élément douteux
», parce que j’ai été cité par des mercenaires. On appelait mercenaires ceux
qui étaient venus avec les Portugais. Certains, avant d’être pendus, on leur a
fait faire une déposition dans laquelle ils disaient que leurs complices
intérieurs étaient les suivants... Parmi ces complices intérieurs, il y avait
mon nom : Mamadou Barry dit Petit Barry devait faire partie du nouveau
gouvernement qui allait être institué. J’ai su plus tard comment cela s’est
passé. C’est un de mes amis d’enfance, il s’appelait Mamady Keita qui était
membre du bureau politique du PDG qui avait fait faire cet enregistrement
contre moi.
Comment pouvez-vous
être sûr que c’est lui qui a effectivement dit : « Mettez le nom de Petit Barry
» ?
Je le sais parce que j’ai des amis qui sont dans la police
guinéenne… qui m’ont informé.
Que vous ont dit ces
amis ?
Ils m’ont dit que c’est lui effectivement qui a donné une
liste à ces gens qui devaient être pendus. On leur a dit : vous faites cette déclaration
et puis on va vous gracier. Mais vous nous donnez la liste de vos complices
intérieurs. Parmi ces complices intérieurs, voici la liste.
Donc, on leur dit
quels sont les noms qu’ils doivent donner ?
On leur donne les noms et ils doivent lire ces noms.
À l’époque, vous êtes
un haut-fonctionnaire de l’information, qu’est-ce que vous savez de la façon
dont les dépositions des personnes arrêtées sont préparées, enregistrées puis
montées ?
On a su beaucoup de choses au fur et à mesure. Ce n’est pas
arrivé d’un seul coup. Quand ils vous arrêtent, ils savent exactement ce qu’ils
veulent de vous et vous devez le dire. Ils donnent les idées générales. La
déposition est rédigée par la personne, ou bien parfois ils ont des gens qui
rédigent la déposition et la font signer. Il y en a qui n’ont pas voulu être
torturés, qui ont dit « rédigez vous-mêmes et puis, je signe ce que vous voulez
». Ils ont une machine qu’ils tournent et ils placent les électrodes sur
différentes parties du corps, sur les oreilles, sur le nez, et en dernière
analyse, l’action suprême, sur le sexe, si tu n’acceptes pas. C’est la gégène.
Vous allez être
emprisonné, non pas au si tristement célèbre au camp Boiro, mais dans un autre
lieu de détention du régime, le camp Kémé Bouréma de Kindia. Quelles sont vos
conditions de détention là-bas ?
Les conditions sont les mêmes partout. Les conditions sont
très difficiles. Vous êtes enfermé au début, 24 heures sur 24. Vous n’avez pas
le droit d’avoir même 5 minutes dehors. À l’époque, on recevait un seul plat de
riz par jour et nous comptions 6 cuillères. On ne pouvait pas se laver la
plupart du temps. Les gens devaient se laver tous les trois mois. On vous
sortait et on vous arrosait avec un peu d’eau.
Est-ce que la société
guinéenne vous semble prête à admettre cette face très obscure des années Sékou
Touré ?
Très difficile. La Guinée a des difficultés à regarder son
passé, un passé douloureux. Ce sont les années les plus difficiles dans
l’histoire de la Guinée.
Mais qu’est-ce qui
fait, selon vous, que les Guinéens ne sont pas prêts à accepter cette partie de
leur histoire ?
Une des raisons principales, c’est qu’il y a eu une
manipulation des Guinéens. On leur fait croire que Sékou Touré est le héros. On
leur dit : c’est Sékou Touré qui nous a donné l’indépendance.
C’est l’homme qui a
dit Non…
Voilà. C’est lui qui a dit Non au général de Gaulle.
Mais il est ça aussi Sékou
Touré…
Il est ça, il est héros, il a fait de belles choses. Il a
inspiré les Guinéens à un moment donné. Mais il est tyran. Et il a détruit le
pays.
Vous sentez de la
part du gouvernement de transition actuel une volonté de cacher cette partie-là
de l’histoire ?
C’est clair. Et c’est extrêmement dangereux. On vient de
donner son nom à l’aéroport de Conakry. Il y a longtemps qu’ils ont commencé la
réhabilitation de Sékou Touré et ça pose problème. Il faut absolument
réhabiliter les personnes qui sont aujourd’hui dans les fosses communes. Le
problème, c’est que, puisqu’on ne condamne pas le système, on ne dit pas qu’il
est mauvais. On essaie de justifier tout ce qui s’est passé pour la Ière
République, tous les crimes qui ont été commis. Les mêmes choses risquent de se
répéter.
Donc, pas de
démocratie tant qu’on ne regardera pas l’histoire en face ?
Pas de démocratie, pas d’alternance puisque le système, on
ne le condamne pas, on ne dit pas qu’il est mauvais.
NB : L'opération Mar Verde est une opération militaire
amphibie des forces armées portugaises alliées à des opposants guinéens,
exécutée le 22 novembre 1970 pendant la guerre coloniale portugaise en
Guinée-Bissau
Radio France Internationale
(RFI)