C'est l'histoire d'une disgrâce et d'une amitié ruinée entre un ancien président et son successeur : l'ex-leader mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz est jugé à partir de mercredi 25 janvier 2023, sous l'accusation d'avoir abusé du pouvoir pour amasser une fortune immense.
La justice a fait arrêter M. Aziz mardi après-midi en vue de
son procès, a rapporté un de ses avocats, Me Ciré Cledor Ly, dernière vexation
en date depuis que l'ex-président a cédé la place à son dauphin désigné,
Mohamed Ould Ghazouani, il y a moins de quatre ans.
Un responsable sécuritaire a laissé entendre que sa dizaine
de co-accusés avaient connu le même sort.
M. Aziz devient l'un des rares ex-chefs d'Etat à répondre
d'enrichissement illicite pendant les années, de 2008 à 2019, où il a dirigé ce
pays charnière entre le Maghreb et l'Afrique subsaharienne, secoué naguère par
les coups d'Etat et les agissements jihadistes mais revenu à la stabilité quand
le trouble gagnait dans la région.
Ses pairs jugés par les justices nationale ou internationale
le sont surtout pour des crimes de sang, tel, ailleurs en Afrique de l'Ouest,
l'ancien dictateur guinéen Moussa Dadis Camara, à la barre depuis septembre.
L'attente générale est que M. Aziz vende chèrement sa peau.
Il a brandi la menace de révélations.
A 66 ans, il doit répondre avec d'anciens Premiers ministres
et ministres et des hommes d'affaires d'accusations d'"enrichissement
illicite", d'"abus de fonctions", de "trafic d'influence"
ou de "blanchiment".
- Un
"frère" -
Lui et ses co-accusés sont soupçonnés de malversations lors
de la passation de marchés publics ou de la cession du domaine immobilier et
foncier national. M. Aziz, fils de commerçant, se serait constitué un patrimoine
et un capital estimés à 67 millions d'euros au moment de son inculpation en
mars 2021. Sans nier être riche, M. Aziz a refusé de s'expliquer sur l'origine
de sa fortune et crie à la machination.
Il se présentera au tribunal pour "défendre (son) honneur"
contre des "accusations extravagantes", a-t-il écrit mardi dans une
déclaration transmise par un de ses avocats.
Sous M. Aziz, général impliqué dans un coup d'Etat en 2005
et qui a pris la tête d'un second putsch en 2008 avant d'être élu président
l'année suivante et réélu en 2014, la Mauritanie a endigué la poussée jihadiste
qui allait s'étendre au reste du Sahel, à commencer par le voisin malien.
Son bilan contre la pauvreté ou la discrimination envers
certains groupes humains de ce pays de 4,5 millions d'habitants grand comme
deux fois la France est plus sombre. Sa chute a commencé fin 2019, quelques
mois après avoir passé la main à son ancien chef d'état-major Ghazouani,
général comme lui et considéré comme le cerveau de l'exception mauritanienne
face aux jihadistes.
En décembre 2019, M. Ghazouani décrivait encore M. Aziz
comme "mon frère, mon ami". Depuis, M. Aziz a connu l'inculpation, le
gel ou la saisie de ses biens et la détention.
- Toi aussi, mon
beau-fils -
"Le procès est politisé depuis le départ", non
parce que M. Ghazouani voudrait éliminer politiquement un rival qui se réserve
de revenir, mais plutôt en raison d'un "parlementarisme dévoyé",
hérité des Printemps arabes, dit l'un des avocats de M. Aziz, Me Taleb Khayar
Ould Med Mouloud.
C'est avec une enquête parlementaire qu'ont commencé les
ennuis de M. Aziz. "Beaucoup de gens ont des raisons de lui en vouloir,
parmi lesquels les Frères musulmans qu'il a pourchassés", dit l'avocat.
M. Ghazouani s'est
toujours défendu d'ingérence dans le dossier.
L'un des nombreux avocats de l'Etat, Me Brahim Ebetty,
assure que ses co-accusés accablent M. Aziz. "Même son gendre
l'enfonce", dit-il.
"Comment ça, un procès politique ?", abonde Moussa
Samba Sy, directeur du Quotidien de Nouakchott, qui a beaucoup écrit sur la
prévarication sous M. Aziz. "C'était lui le président, donc le
responsable", assène-t-il.
Il écarte une onde de choc politique, M. Aziz étant à
présent un homme seul selon lui.
Les gens "pensent que c'est une histoire entre
dirigeants. Mais beaucoup pensent que c'est l'occasion de tourner la page de la
gabegie", observe-t-il.
Les parties s'attendent à des semaines ou des mois de procès.
AFP