Lorsque le Barreau tout entier est mis en cause, il incombe aux institutions ordinales, le Bâtonnier et le Conseil de l’Ordre, de répondre au nom de tous les avocats. Mais en tant membre d’une corporation, il est aussi du devoir de tout avocat de s’exprimer lorsque certains arguments ont tendance à être utilisés pour répondre à des questions strictement juridiques.
Dans le débat sur les décisions du directeur de
l’Administration pénitentiaire portant placement sous régime de semi-liberté ou
de retrait de ce régime, beaucoup de choses ont été dites et redites. Mais si
les uns et les autres restaient dans le strict cadre du débat juridique, chacun
se serait rendu compte de la pertinence des critiques faites à ces décisions.
Les deux décisions du directeur de l’Administration
pénitentiaire qui soulèvent tant de critiques de la part des juristes et non
des lecteurs des livres de droit, posent deux questions :
1- Le régime de semi-liberté ou de placement à l’extérieur
ou de libération conditionnelle peut-il s’appliquer à une personne non
condamnée ?
2- Le directeur de l’Administration pénitentiaire est-il
habilité à placer un détenu sous l’un de ces régimes ?
Voilà les questions auxquelles il faut répondre ; le reste
n’est pas digne d’intérêt.
Les réponses à ces questions sont d’une simplicité
enfantine. Et d’ailleurs, ce sont de jeunes juristes qui ont été les premiers à
y apporter des réponses tirées de nos codes pénal et de procédure pénale. En
vérité, aucun juriste digne de ce nom ne pourrait être insensible aux arguments
textuels qui dénient au directeur de l’Administration pénitentiaire toute
compétence pour placer en semi-liberté ou en liberté conditionnelle des détenus
qui, a fortiori, n’ont pas été condamnés. Il n’y a et ne peut y avoir aucune
controverse sur ce sujet. Le débat est tranché par le législateur lui-même. Il
suffit d’être juriste, même pas un grand juriste et même pas spécialisé en
droit pénal, pour le comprendre.
Par ailleurs, aussi longtemps que des citoyens seront
victimes de violations manifestes de la loi dans le traitement de leurs
dossiers par des professionnels de la justice, leurs avocats les dénonceront y
compris dans les médias. La dénonciation de la violation de la loi et de
l’injustice fait partie du large éventail de moyens dont dispose un avocat pour
exercer de manière efficace son rôle de défenseur des droits de l’homme au
bénéfice de son client.
Dire qu’il y a des avocats qui ” semblent se complaire dans
des postures médiatiques narcissiques qui les éloignent du Droit et menacent
les intérêts de leurs clients” est une tout simplement un coup d’épée dans
l’eau et ne pourra jamais empêcher ces avocats de mettre à nu toutes les
absurdités juridiques qui sont légion dans nos juridictions quand il s’agit
d’une catégorie de dossiers ou de justiciables.
Le peuple de Guinée au nom duquel la justice est rendue et
qui n’est pas forcément présent dans les prétoires, doit nécessairement savoir
comment cette justice fonctionne au quotidien.
Il n’y a pas longtemps, c’est le président de l’Assemblée
nationale en personne qui déclarait que la justice a du chemin à faire, avec
tous les sous-entendus que ces mots cachent.
« Les icônes médiatiques » que sont certains
avocats restent encore et surtout des avocats imbus des principes et règles qui
consacrent et protègent les libertés et droits fondamentaux des citoyens. Ils
veillent, en s’appuyant sur les lois nationales, à ce qu’aucune atteinte
injustifiée ne soit portée aux droits et libertés qui sont reconnus à tout
citoyen. Ce qui est conforme à la vocation première de l’avocat. Le terme
“avocat’ vient d’ailleurs de “ad vocatus” c’est-à-dire celui qu’on appelle à
l’aide, au secours ; celui qui porte la parole d’un autre.
En France, l’une des « icônes médiatiques » de la
justice est surnommé « Acquitator » à cause de la centaine
d’acquittements à son actif dans des procès d’assises. Eric Dupont-Moretti,
puisque c’est de lui qu’il s’agit, est aujourd’hui garde des Sceaux dans son
pays. C’est dire que les interventions d’un avocat dans les médias ne l’éloignent
pas du droit et ne menacent pas les intérêts de ses clients. Au contraire, il
met à contribution les médias dans son combat contre l’injustice. La publicité
autour d’un cas d’injustice et de violation de la loi est l’une des armes les
plus efficaces contre celles-ci. Bien entendu, tout est question de modération.
La modération est l’un des principes cardinaux de la profession d’avocat. C’est
l’occasion de relever avec force que jusqu’à preuve du contraire, les clients
de ses avocats semblent être satisfaits de leurs prestations aussi bien dans
les prétoires que dans les médias. C’est la preuve que leurs intérêts sont bien
défendus.
Les avocats que l’on qualifie de chroniqueurs exercent leur
profession avec une conscience aiguë de leurs obligations en terme d’éthique et
de déontologie. Il suffit de faire une immersion dans le Barreau pour mesurer
le respect et la considération dont ils jouissent auprès de leurs pairs à cause
justement de leur attachement aux règles de leur profession. Pour des raisons
subjectives, ils peuvent bien être confrontés parfois à une certaine adversité
de la part de certains de leurs confrères qui, heureusement ne sont pas
nombreux, mais ils ont le respect même de leurs adversaires. Mieux vaut être
respecté qu’être aimé.
Ceux qui ne veulent pas que des cas d’injustice et de
violations intolérables du Droit au sein de la Justice soient portés à la
connaissance des citoyens, par l’intermédiaire des médias, vont continuer à
souffrir puisque les règles de la profession d’avocat n’interdisent pas aux
avocats de s’exprimer dans la presse. Et aussi longtemps qu’il y aura des
violations de la loi, elles seront dénoncées. Ce n’est qu’un début. Que cela
dérange ceux qui voudraient que ces violations restent entre les quatre murs des
prétoires ou soient étouffées, c’est un fait. Mais l’avocat dispose de la
liberté de parole et de la liberté d’expression dans l’exercice de sa
profession. Et dans tous les cas, un avocat qui choisit de s’engager dans le
combat contre l’injustice n’est jamais vu. On le perçoit même parfois contre
quelqu’un de dérangeant. Ce n’est pas nouveau. Mais tout engagement à un prix
et un revers.
Les citoyens qui ont eu maille à partir avec la Justice à un
moment à un autre de leur vie savent quant eux ce que vaut l’engagement d’un
avocat.
Enfin, il faut éviter de penser que l’on doit se réjouir
d’une illégalité dès lors qu’elle arrange. Il n’y a pas d’un côté des
illégalités acceptables et de l’autre des illégalités inacceptables.
Des détenus politiques ont bénéficié d’une mesure de
semi-liberté pour raison de santé. Il est normal que l’on se réjouisse de la
fin de leur privation de liberté, surtout qu’ils étaient détenus pour des faits
loin d’être établis. Mais en droit, la forme et le fond vont de pair. C’est pourquoi,
des juristes ont dénoncé le procédé utilisé car il s’agit d’une atteinte au
principe de la séparation des pouvoirs. Un État de droit, ce ne sont seulement
des discours, ce sont aussi et surtout des principes auxquels on croit et qu’on
se doit de respecter.
Me Mohamed Traoré,
ex-bâtonnier