L’enthousiasme né au
sein de la classe politique guinéenne après la nomination de l’ex-chef de
l’Etat béninois, Yayi Boni, comme médiateur de la Communauté économique des
Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), est-il en train de s’estomper ? Telle
est la question que l’on pourrait se poser suite à la réaction de l’opposition
qui s’impatiente de n’être pas encore reçue par l’émissaire de l’organisation
sous- régionale qui séjourne dans le pays depuis le dimanche 21 août dernier.
En effet, alors qu’elle était programmée pour une séance de travail avec le
médiateur, l’opposition a été informée, à la dernière minute, du report sine
die de la rencontre. Elle soupçonne, de ce fait, les autorités de la Transition
d’être à la manœuvre pour la tenir à distance des négociations entamées par la
communauté ouest-africaine. Mais les
forces politiques et sociales de la Guinée ont-elles véritablement des raisons
de s’inquiéter face à la médiation de Yayi Boni, du simple fait de
l’ajournement de la rencontre initialement inscrite dans son agenda ? En
réponse à cette question, l’on pourrait dire que même si l’opposition guinéenne
n’a pas raison, elle a cependant ses raisons. D’abord, les opposants guinéens
ne semblent pas vouloir donner le bon Dieu sans confession à la CEDEAO dont les
prises de position n’ont pas été souvent en phase avec les aspirations des
peuples.
L’inquiétude
manifestée par les opposants est une forme de pression exercée par la classe
politique
A titre illustratif, l’on se souvient du rôle trouble que
l’institution sous-régionale a joué, en 2015, au Burkina Faso, lors du putsch
du Général Gilbert Diendéré. Plus près de nous, l’on garde en mémoire le tollé
qui avait suivi les sanctions prises à l’encontre du peuple malien qui attendait
plus de la compassion de la part de la CEDEAO pour faire face à la crise
sécuritaire que traverse le Mali. Ensuite, les inquiétudes de l’opposition
peuvent se comprendre du simple fait que le report de la rencontre avec le
médiateur désigné de la CEDEAO, peut être le début d’une procrastination voulue
par les autorités de la Transition qui jouent la montre pour faire du temps,
leur allié. Et c’est en ce sens qu’il faut comprendre que celui qui est visé
par les critiques, ce n’est pas le médiateur Yayi Boni, mais plutôt Mamady
Doumbouya et ses compagnons d’armes qui n’inspirent pas confiance. Et l’on peut
d’autant plus comprendre cette attitude de méfiance de l’opposition vis-à-vis
de la junte, qu’en lieu et place de sa revendication d’un cadre de dialogue
inclusif sur la Transition, elle a reçu une féroce répression. L’inquiétude
manifestée par les opposants est donc une forme de pression exercée par la
classe politique guinéenne pour ne pas laisser les militaires dérouler sans
entrave leur agenda. Cela dit, l’opposition devrait faire attention pour ne pas
tomber dans le piège des accusations gratuites et des procès d’intention. Car,
en faveur de Yayi Boni qui n’est pas à son dernier séjour en Guinée dans le
cadre de sa mission, militent de nombreux arguments et pas les moindres.
Il faut laisser le
temps à Yayi Boni de dompter la bête
Faut-il le rappeler, ce deuxième séjour du chargé de mission
de la CEDEAO, a principalement pour objectif de négocier avec la junte au
pouvoir, la réduction de la durée de la Transition, tout comme cela a été le
cas au Mali et au Burkina Faso. C’est donc en priorité avec les tenants du
pouvoir, que les tractations doivent se mener, quitte à soumettre ensuite à
l’approbation de la classe politique, l’accord arraché au terme des
négociations. Dans tous les cas, l’on imagine difficilement comment l’on pourrait
parler du retour à l’ordre constitutionnel sans une implication de la classe
politique. « Quand le tambourinaire du roi invite la population à la Cour, dit
le proverbe, l’enfant du roi n’a plus à
se poser des questions sur l’objet de la rencontre, car le sujet sera débattu
devant sa porte ». Faut-il aussi le
rappeler, le médiateur doit être pleinement conscient de sa mission et il sait,
par conséquent, que tout parti pris conduirait inéluctablement à un échec qui écornerait
en premier lui-même son image avant d’éclabousser toute l’organisation
sous-régionale dont il est le mandant. Du reste, les opposants guinéens sont
bien placés pour savoir que la tâche du médiateur est particulièrement ardue
face à des autorités militaires aux méthodes cavalières. C’est en raison de
cela qu’ils doivent savoir raison garder, surtout qu’ils seront sans doute les
premiers à payer et sans doute au plus fort prix, un éventuel échec de la
médiation de la CEDEAO. Et pour cause. L’échec de la médiation remettrait en
ébullition la scène politique guinéenne qui ressemble, à bien des égards, à un
volcan aux éruptions meurtrières. Et certainement, comme d’habitude, les
victimes de la furie meurtrière des bidasses se compteront dans les rangs des
militants et sympathisants de l’opposition. Cela dit, il faut laisser le temps
à Yayi Boni de dompter la bête pour pouvoir lui trancher la tête. Mais le médiateur de la CEDEAO aurait tort
de ne pas prendre en compte, dès à présent, les récriminations de la classe
politique qui sont symptomatiques d’un déficit de confiance et de la profondeur
du fossé entre les acteurs guinéens. Les inquiétudes émises par l’opposition
doivent agir sur lui, comme des capteurs qui balisent les voies de la médiation
pour éviter tout dérapage du processus.
Le Pays