Il semble que les Guinéens, dans leur grande majorité, sentent la nécessité d’une refondation complète des institutions de la République, des partis politiques et de la société civile. C’est un préalable pour mettre le pays sur les rails afin d’accéder à la bonne gouvernance dont nous avons tellement besoin.
C’est pourquoi, je propose, en trois points, ma vision d’une
Guinée nouvelle.
1- Le rôle du CNRD et
du CNT pendant la période de transition
Le Conseil National du Rassemblement pour le Développement
(CNRD) et le Conseil National de Transition (CNT) auront pour mission
principale, la mise en place des institutions fortes de la République en
nommant des femmes et des hommes compétents à la tête de nos institutions, tout
en les débarrassant du copinage et du clientélisme. Nous avons besoin d’institutions
fortes et non d’hommes forts et corrompus, comme l’a si bien dit le président Obama
aux Africains. C’est une tâche immense sans laquelle le pays restera toujours
malade de ses institutions. Nous voterons les lois pour atteindre cet objectif
plus tard.
La plus importante mission que nous confierons au CNT sera
de s’atteler à la réconciliation nationale. Le tissu social n’est plus ce qu’il
était au moment de l’indépendance de la Guinée.
Si nous avons pu dire NON tous ensemble au référendum du 28
septembre 1958, c’est que les Guinéens étaient unis. Ce n’est plus le cas
aujourd’hui. La faute est aux politiciens sans programme qui croyaient marquer
des points faciles en attisant la fibre tribale. Les quatre régions naturelles
ne forment plus une seule Guinée, mais plutôt quatre régions distinctes qui se
regardent en chiens de faïence. C’est au CNT de remettre les Guinéens ensemble
en leur expliquant clairement les raisons de la division ; en leur disant la vérité
que nous sommes une famille indivisible. Nous demanderons au CNT d’effectuer
cette mission sur toute l’étendue du territoire en dehors des sessions parlementaires.
C’est possible de se mouiller le maillot pour une bonne cause en allant tenir
ce discours de réconciliation à l’intérieur du pays que de rester tranquille
dans la capitale.
Quant au CNRD, les missions sont multiples. Les plus urgentes
seront, à mon avis, de sensibilisation et d’éducation de la population dans
l’objectif de rétablir la sécurité dans le pays. Que les Guinéens n’aient plus
peur de sortir de chez eux la nuit. Nous voulons, par exemple, qu’il s’occupe
de la discipline et de l’ordre sans brutalité. Que la police routière règle la
circulation anarchique de Conakry en s’attaquant aux embouteillages énormes de
la ville. C’est bien possible. Ce sont des questions d’éducation, de discipline
et de civisme dans le cadre du respect de la loi. Si les motards de la
gendarmerie nationale sillonnaient les 2 routes nationales nuit et jour, cela
sécuriserait la population et éviterait les coupeurs de route de s’attaquer aux
voyageurs et à leurs biens. Des patrouilles mixtes de nuit de la police et de
la gendarmerie limiteraient les brigandages dans les grandes villes du pays.
Ces actions et bien d’autres peuvent avoir des résultats immédiats et ramener
la quiétude dans le pays.
Nos nouvelles autorités doivent savoir que les actions
allant dans le sens de l’ordre et de la discipline sont très attendues par la
population et qu’elles seront jugées là-dessus. Quand la loi n’est pas
appliquée, les citoyens la prennent en mains pour se défendre en commettant parfois
des fautes graves, voire même des crimes sur des innocents.
2- Proposition de
demande du CNRD à l’endroit de la communauté internationale
Les condamnations, injonctions et sanctions de la CEDEAO et
du reste de la communauté internationale ne sont pas une déclaration de guerre
contre la Guinée. Il y a eu un coup d’État militaire et une prise de pouvoir
par la force en Guinée. Ce qui est contraire aux lois internationales. C’est
illégal et illégitime. Pourtant, le respectable et regretté officier militaire et
ancien Chef d’Etat du Ghana Jerry John Rawling semble donner raison aux
putschistes de Guinée quand il dit, je cite : « Quand le peuple est écrasé par
ses dirigeants avec la complicité des juges, c’est à l’armée de rendre au
peuple sa liberté. » fin de citation. Malgré tout, les condamnations pleuvent
de partout. Nous pouvons changer cette vision d’illégalité et d’illégitimité de
notre pays sans aller à l’affrontement. Nous avons besoin de la communauté internationale
et de ses organisations pour exister en tant que nation reconnue parmi les autres.
Compte tenu de notre situation particulière, le CNRD a des arguments solides à
faire valoir quant à l’organisation des élections rapides et acceptables de
tous. Pour que nos élections soient crédibles aux yeux de tous et dans un temps
relativement raisonnable, voici les propositions suivantes à faire. Il faut
demander ce qui suit à la CEDEAO, à l’Union Africaine, à l’Union Européenne, à
l’Organisation Internationale de la Francophonie, aux Nations Unies et aux
autres organisations internationales :
a. Aider la Guinée en prenant en main le toilettage du
fichier national et sa mise à jour en y inscrivant les jeunes majeurs de ces
dernières années pour que ledit fichier soit complet, propre et acceptable par
tous. Des Guinéens peuvent bien le faire. Mais tout ce qui vient de nous-mêmes
sera contesté par nous-mêmes. Laissons cette charge à la compétence extérieure.
Elle sera ainsi plus facilement acceptable par nous.
b. Les Guinéens feront le choix des femmes et des hommes
patriotes et intègres pouvant faire partie d’une Commission Électorale
Nationale et Indépendante (CENI). Cette institution devra être débarrassée de
toute influence politique et partisane pour qu’elle soit approuvée par
l’ensemble des forces vives de la nation.
c. Aider la Guinée à former ces patriotes de la CENI en les
rendant opérationnels pour toutes les élections à venir, de la base jusqu’au
sommet, c’est-à-dire le chef de quartier, le maire de la commune rurale, le
maire de la commune urbaine, l’Assemblée nationale et enfin, la présidence de
la république en dernier lieu. Ce parcours électoral sera un entraînement pour les
partis politiques et leur permettra de se forger une image bonne ou mauvaise
dans l’opinion nationale et de se former aux combats des idées en ayant des
programmes politiques concrets à présenter aux Guinéens et non à faire des
discours de haine contre d’autres compatriotes. C’est malheureusement ce à quoi
nous sommes habitués en Guinée.
Dans nos langues africaines, le mot « opposant » est souvent
traduit par le mot « ennemi ». Et un ennemi, c’est quelqu’un à abattre. C’est
pourquoi nous devons réapprendre la politique comme un combat d’idées, comme un
outil de développement et non d’enrichissement illicite. Pour réussir notre
refondation de la République, soyons patriotes et engagés, changeons notre
façon de faire cette-ci et maintenant.
3- La refondation des
partis politiques et des organisations de la société civile
Les partis politiques et les organisations de la société
civile doivent s’organiser en travaillant ensemble pour plus d’harmonie et
d’efficacité. Ils doivent s’unir pour devenir grand et fort, car l’union fait
la force. Pour cela, ils doivent limiter le nombre pléthorique de partis et d’organisations.
Nous souhaitons une réflexion dans ce sens à l’issue de laquelle il y aura créations
de grands ensembles dont les idées et les modes de fonctionnement se rapprochent.
Une façon d’éviter la pagaille que nous observons actuellement dans le pays. La
liberté et la démocratie requièrent aussi de la discipline et de l’ordre pour
être efficaces.
Seules les lois à venir nous guideront dans ce sens. Mais
avant d’en arriver là, sachons nous organiser.
Les Guinéens savent qu’il y a trop de partis politiques en
Guinée, plus d’une centaine dans un petit pays de 12 millions d’habitants. Nous
avons souvent affaire à des partis qui n’ont de militants que les membres de
leur propre famille et quelques copains. Admettons-le que c’est de la pagaille.
Des compatriotes avant moi avaient souhaité les réduire à deux ou à trois grands
partis. Mais certains politiciens ont crié aux restrictions de liberté et de
démocratie.
Nous avons donc vécu une expérience de cacophonie des partis
pendant des décennies. Par exemple, quand vous voulez un poste ministériel,
vous créez un parti, même s’il est insignifiant sur le plan national, vous avec
l’opportunité d’être nommé ministre. Nous savons bien que cette polarisation
des partis politiques n’a pas encore prouvé son efficacité en Guinée.
En général, un parti politique en Afrique est la propriété
d’un homme, son président. C’est lui qui a les moyens financiers de fonder son
parti. La popularité du parti est à la mesure de la richesse de son président-fondateur,
le rendant ainsi irremplaçable. C’est ainsi que nos leaders politiques
apprennent à devenir des petits présidents à vie au sein de leurs partis. Ils deviendront
peut-être de grands présidents à vie quand ils seront élus au niveau d’un pays.
Ils se sont présentés candidats à chaque élection présidentielle depuis la
création de leurs partis. Tant qu’ils ne meurent pas avec leurs partis, ils
seront toujours les seuls candidats de leurs partis. Il n’y aura jamais un jeune
cadre du parti qui ose lever la tête, quelques soient ses compétences. Ils le décapiteront
politiquement en l’excluant du parti. Mais quand on parle de démocratie,
commençons par balayer devant les portes nos partis.
C’est facile de critiquer les autres quand on refuse
l’alternance au sein de son propre parti parce qu’on est le maître
incontestable. Nous risquons de n’avoir pas de nouvelles figures comme
candidats à la prochaine élection présidentielle. La loi interdit les candidats
libres. Ils sont perçus comme des trouble-fêtes. Dans un pays pauvre, la
démocratie est très fragile. Même si l’équipe a perdu plusieurs fois, on
reprend toujours le même candidat. Il ne cédera sa place qu’à sa mort avec son
parti. C’est pourquoi il y a plusieurs partis orphelins de leurs pères fondateurs
sur le continent. Ils sont les seuls à pouvoir mettre la main à la poche pour payer
les cautions à la candidature destinées aux plus riches. Et très souvent, nous
savons qu’ils sont devenus riches devant nous en près peu de temps, en occupant
de hautes fonctions dans les gouvernements. Ce sont des corrompus. Ayons le
courage de le dire. Il n’y a que la vérité qui fera avancer le pays.
Il est temps d’essayer autre chose. Nous ne pouvons que
prendre l’exemple sur les grands pays dits « démocratiques » du monde dans
lesquels il y a bien sûr plusieurs partis. Mais en réalité, il n’y a que deux
ou trois grands partis qui dominent la vie politique dans ces pays.
Nous pouvons, nous aussi, avoir par exemple trois grands partis
: un de gauche, un de droite et un autre au centre, (appelez-les comme vous
voulez). Si les Guinéens sont d’accord avec cette proposition, nous pouvons
l’exiger des partis politiques de Guinée. Après tout, ils sont censés
travailler pour le bien-être des Guinéens. Nous aurons donc notre mot à dire.
Nous demanderons au CNRD que les partis politiques se regroupent en trois
grandes entités. Ils trouveront sûrement des affinités idéologiques et de
programmes de bonne gouvernance dans ce sens entre eux pour se rassembler. Cela
nous éviterait d’avoir des partis politiques à base ethnique, régionale ou
linguistique. Un parti qui ne couvre pas tout le territoire guinéen n’a pas
lieu d’être. À la suite des élections, si aucun des trois partis n’a la
majorité absolue, une coalition de partis peut bien gouverner le pays. Cela est
d’ailleurs souhaitable. Ce sera la meilleure représentativité la nation guinéenne.
Il faut, avant tout, apprendre à respecter les opinions des uns et des autres,
à éviter les débordements quand on est tout seul dans la danse. Cette
cohabitation des partis oblige leurs dirigeants à être moins arrogants, à apprendre
la courtoisie, à devenir vigilants et à être à l’écoute des autres. C’est un
bon exercice démocratique. Après tout, tous les fils patriotes du pays
travaillent pour le bien-être de la même population. C’est à la création de ces
grands ensembles limités à trois que les partis politiques de la Guinée doivent
s’atteler pendant la période de transition.
Quant aux organisations de la société civile, elles doivent
elles aussi se regrouper en grands ensembles. J’en vois au moins trois. Le
premier groupe sera celui des syndicalistes, le deuxième, celui des
associations œuvrant dans le domaine des droits de l’homme et de la citoyenneté
et le troisième appartiendra aux organisations non gouvernementales (O.N.G.) qui
travaillent dans le domaine du développement du pays. Il y en a peut-être
d’autres.
Même si certaines de ces organisations sont basées au niveau
local et à l’intérieur du pays, c’est-à-dire dans les villages, les districts
et les préfectures, elles peuvent relever d’un grand ensemble national qui aura
ses représentations sur toute l’étendue du pays. Essayons, pour une fois d’être
grands et forts en se rassemblant comme le veut le CNRD.
Par Dr Ousmane Ben
Kaba, Docteur de l’Université de Paris-Sorbonne, Paris IV,
Enseignant-chercheur