La junte militaire guinéenne, après avoir reçu Fadi Wazni et Jacob Stausholm, respectivement PDG de la compagnie SMB-WINNING et CEO (chief executive officer) de Rio Tinto, a demandé aux deux entreprises de trouver un terrain d’entente dans le cadre de la construction des infrastructures. Une probabilité très faible, tant les intérêts et les calendriers des deux groupes semblent divergents, estiment les experts.
Le sort réservé par les nouvelles
autorités guinéennes au projet d’exploitation de l’immense gisement de fer du
Simandou devait donner le ton de la politique minière dans ce pays d’Afrique de
l’Ouest.
La plupart des experts restaient
sceptiques quant à la compréhension (par certains responsables) des enjeux liés
à ce mégaprojet, laissé en veilleuse par le géant anglo-australien depuis 2002,
après avoir repris les droits de la junior RTZ Mining qui, depuis… 1997, avait
démarré l’exploration du site.
Plus de 23 ans après, les
conditions voulues par la junte militaire risquent de ramener le projet à la
case départ, alors qu’un début d’exécution, plus qu’encourageant, opéré par le
consortium SMB-WINNING, avait été remarqué par la plupart des observateurs.
« Si Rio Tinto s’est
contenté d’aménager sa base-vie à Canga East, à Beyla, d’ouvrir des bureaux à
Conakry et de traîner les pieds face au coût des infrastructures d’évacuation
du minerai de fer, SMB-WINNING n’a pas hésité à engager dès 2019 les travaux
pour la construction de ces infrastructures », fait remarquer un expert du
secteur minier.
« Un constat s’impose à
tous : les deux compagnies n’expriment pas les mêmes ambitions dans le
cadre de ce projet stratégique pour la République de Guinée. Vouloir les mettre
ensemble ne réglera pas le problème », pronostique cette source.
SMB-WINNING contrôle la partie
baptisée « Simandou Nord » (Blocs 1 et 2) suite à un appel d’offres
international auquel avait participé le géant australien Fortescue – qui a
félicité par lettre la procédure. La convention SMB WINNING-Etat guinéen a été
ratifiée par l’Assemblée nationale.
Rio Tinto, qui détenait à
l’origine les quatre blocs du Simandou, a finalement conservé une concession
sur la partie dénommée « Simandou Sud » (Blocs 3 et 4), après avoir
perdu la moitié du gisement en 2008, sous l’ex-président Lansana Conté, suite à
un processus de rétrocession.
Un moment à l’avant-garde de la
lutte contre la corruption, en contribuant par le rappel de ses
« principes éthiques » à l’éjection de la compagnie BSGR (Beny
Steinmetz Group Resources), premier acquéreur des Blocs 1 et 2 après la rétrocession
de 2008, Rio Tinto va se retrouver elle-même empêtrée dans un scandale en 2016,
suite au paiement d’un pot-de-vin de 10,5 millions USD à François Polge de
Combret, une connaissance de l’ex-président Alpha Condé, et qui avait agi à
l’insu de celui-ci au compte du géant anglo-australien…
A titre de comparaison, il était
reproché à BSGR d’avoir payé 8,5 millions USD à Mamadie Touré, la dame qui
s’est fait passer comme « l’ex-épouse » du défunt président Lansana
Conté (Ndlr : Ibrahima Sory Touré, le frère de Mamadie, a démenti que
cette information).
Quoi qu’il en soit, SMB-WINNING,
qui a annoncé un investissement d’environ 14 milliards USD, a débuté des
travaux dans la zone de Kérouané, entrepris la construction du Transguinéen
(voie de chemin de fer de 670 km entre le gisement du Simandou et la côte
Atlantique) avec l’ouverture de tunnels vers Madina Oula (Kindia, environ 135km
de Conakry) et le début d’aménagement de l’espace de Moribariah devant abriter
le port en eau profonde pour l’exportation du minerai de fer.
De l’autre côté, Rio Tinto
tablait sur un investissement d’environ 20 milliards USD, soit environ 6
milliards de plus que son concurrent dans la zone.
Une source du secteur minier a
dit à WESTAF MINING que SMB-WINNING avait affaire à des « adversaires
puissants ».
« L’un des aspects
intéressant du projet est que SMB-WINNING ne pourrait pas travailler sans un
appui politique fort et en Guinée et en Chine. Or, une étude de Morgan Stanley
prouve que les aciéries chinoises vont réaliser au moins 7 milliards USD
d’économie par an si elles s’approvisionnent à partir du Simandou »,
souligne un haut responsable du secteur minier.
Les détracteurs de Rio Tinto
estiment que le géant minier, dans une logique de « gel », s’est jusque-là
contenté de conserver l’actif que représente le Simandou dans son bilan,
soutenant ainsi sa valeur boursière.
« Jusque-là, Rio Tinto n’a
que très rarement respecté les différentes promesses faites au gouvernement
guinéen. Il sera difficile dans ces conditions de croire en sa volonté de
travailler avec SMB-WINNING dans le cadre de l’exploitation de ce gisement de
fer », tranche un expert du secteur.
Selon un économiste, l’autre
option (déjà évoquée sous Alpha Condé) est d’utiliser une partie des revenus
miniers de l’Etat guinéen pour participer à la construction des
infrastructures, un peu sur le modèle de la Compagnie des Bauxites de Guinée
(CBG).
En effet, la base de Kamsar, le
chemin de fer et l’ensemble des infrastructures aujourd’hui dans le
portefeuille de l’Etat avaient été construits, sous la première République
(1958-1984), grâce à un prêt d’environ 250 millions USD à l’époque, via la
Société financière internationale (SFI) du Groupe de la Banque mondiale.
La réserve du Simandou, dans une
estimation initiale, a été évaluée à environ 2,4 milliards de tonnes de fer
d’une teneur supérieure à 65%. Son exploitation pourrait transformer
radicalement l’économie guinéenne en multipliant au moins par deux les taux de
croissance du Produit intérieur Brut (PIB) affichés actuellement.
Source: Westaf Mining