Initialement prévu le 26 juillet, le procès du leader séparatiste biafrais Nnamdi Kanu devrait s’ouvrir ce jeudi à la Haute Cour fédérale d’Abuja. Un procès à haut risque pour le Nigeria dans un contexte de montée des velléités indépendantistes. Le chef de l’Ipob a été arrêté à l’étranger et « ramené » fin juin au Nigeria dans des circonstances encore floues. Il est accusé notamment de « terrorisme, trahison et possession illégale d’armes à feu ».
Lorsqu’il comparaîtra dans le box des accusés ce jeudi,
Nnamdi Kanu, homme de 54 ans, d’apparence frêle à la tête rasée, devrait dire
s’il plaide coupable ou non coupable. Ceci, s'il est présenté devant le
tribunal. Son procès a été reporté une première fois car les autorités
nigérianes avaient cité des « problèmes logistiques » pour ne pas le transférer
de la prison de sécurité maximale de DSS à la Haute Cour fédérale. Cette
fois-ci ses avocats veulent éviter une répétition du même scénario.
Incertitudes sur sa
présence au tribunal
« Je crois qu'une large partie de l’opinion publique
voudrait que Nnamdi Kanu soit transféré au tribunal le 21 octobre. Tout action
contraire serait une violation de son droit à se défendre », déclare à RFI,
l’un de ses avocats Aloy Ejimakor.
Tout le Nigeria aura cette semaine les yeux rivés sur cette
affaire qui prend une dimension politique, avec en toile de fond la façon dont
a été arrêté le chef indépendantiste.
« Avant qu'il ne puisse plaider coupable ou non coupable, il
y a beaucoup de questions qui doivent d'abord être élucidées », poursuit maître
Ejimakor. « Toutes les charges retenues contre lui concernent des événements
qui sont survenus avant le 19 juin 2021, jour où il a été appréhendé et extradé
du Kenya, mais de cet acte, rien, pas un mot. »
Radicalisation du
mouvement séparatiste
Avant 2009, peu de gens avaient entendu le nom de Nnamdi
Kanu. Cette année-là, il crée la Radio Biafra, porte-voix depuis Londres de la
lutte sécessionniste. Le chef du Mouvement des peuples indigènes du Biafra,
Ipob, prône un État indépendant du Biafra dans le sud-est du pays. Au cours des
années, son ton se durcit et Kanu exhorte les Biafrais à prendre les armes
contre l’État nigérian.
« Au cœur de l'affaire de Kanu, il y a des accusations de
trahison, le fait qu'il a demandé à un groupe particulier de se séparer du
Nigeria, ce qui est contraire à la Constitution », explique à RFI Mainasara
Umar, analyste juridique.
En décembre 2020, le mouvement indépendantiste fonde une
branche armée, l'Eastern Security Network (ESN), pour « mettre fin à toute
attaque contre le Biafra ». Depuis, les meurtres ont triplé, et plusieurs
agents de sécurité ont été pris pour cible.
Kanu est accusé notamment d'être derrière les pillages et
incendies contre les institutions gouvernementales dans le sud-est du pays,
même si l’Ipob dément toute accusation de violences. Si la Constitution le
présume toujours innocent, son combat est de plus en plus critiqué. « Votre
combat peut être légitime mais pas s'il dépasse les limites constitutionnelles
», juge Umar.
Un homme qui divise
Depuis lundi, le chef séparatiste est sous le coup de trois
nouvelles charges concernant des actes de violence et des opérations villes
mortes, obligeant les gens à rester chez eux. Certains félicitent les autorités
d’avoir mis la main sur un homme qui a « juré de détruire le pays », d'autres
dénoncent une injustice de la part du gouvernement fédéral.
« Les autorités ont arrêté cet homme, l'ont enlevé au Kenya
ou je ne sais où, elles l'ont ramené au Nigeria, et maintenant le poursuivent
en justice », explique à RFI Emmanuel Onwubiko, directeur de l'ONG Human Rights
Writers Association (Huriwa).
On ignore toujours où Kanu a été arrêté, même si plusieurs
sources pointent le Kenya.
Nord vs Sud
Le cas de Kanu met surtout en lumière les nombreuses
divisions ethniques du Nigeria, pays de 210 millions d’habitants. « Au même
moment, ces cinq dernières années, des terroristes ont tué des agriculteurs
partout dans le nord, et n’ont jamais été inquiétés par le gouvernement »,
renchérit Onwubiko.
Le pays le plus peuplé d'Afrique est confronté à de nombreux
problèmes de sécurité : enlèvements, militantisme, groupes islamistes. Mais
pour le directeur d’Huriwa, « le gouvernement fédéral s'en prend uniquement aux
gens du Sud. »
D’autres Nnamdi Kanu
Ce sentiment d'injustice est ressenti notamment chez les
peuples Igbo, troisième ethnie principale du Nigeria. Ils voient la preuve dans
l'arrestation et procès de Nnamdi Kanu.
« Même si le gouvernement nigérian finit par emprisonner
Nnamdi Kanu, il y aura 10 000 jeunes hommes encore plus controversés que lui
prêts à prendre sa place », affirme à RFI Comrade Igboayake Igboayake,
président du conseil national de la jeunesse d'Ohanaeze, qui mobilise des
jeunes Igbo dans le monde.
Le sort du chef de l'Ipob attise les demandes pour un nouvel
État biafrais, plus de 50 ans après la guerre civile.
« Si le gouvernement nigérian pense qu'il peut faire taire
Nnamdi Kanu, comment peut-il faire taire les 10 000 autres jeunes en colère,
contre cette marginalisation, intimidation et injustice dont est victime le
peuple igbo dans le projet du Nigeria ? », s’interroge Igboayake Igboayake.
Pour certains jeunes, l’Ipob fait miroiter l'espoir d'un
avenir meilleur, loin du chômage qui a atteint l'an dernier plus de 40% dans
quatre des cinq États du sud-est du pays.
Avec RFI