Il a suffi à Lil Saako d’une seule chanson pour devenir une superstar en Guinée. L’auteur et interprète de Zapata revendique aujourd’hui bien plus qu’un tube car le titre constitue pour lui l’acte fondateur d’un nouveau courant musical. Portrait.
Une mélodie simple, une
chorégraphie facile à reproduire et puis un gimmick qui rentre immédiatement
dans la tête : Zapata ! Les Guinéens découvrent la chanson et son clip le 3
juin 2022 sur Youtube. La vidéo cumule aujourd’hui plus d’un million de vues
(une vraie performance en Guinée où Internet reste très cher et où Youtube,
gourmand en données mobiles, est un luxe).
A Conakry, des mois après sa
sortie, on l’entend encore à tous les coins de rue. Lil Saako ne touche plus
terre : "On remercie le bon Dieu de m’avoir donné un hit comme ça." A
bientôt 30 ans, Mouctar Saako, pour l’état civil, est devenu, pour la majorité
des Guinéens, "Zapata". Jusqu’au colonel putschiste Mamadi Doumbouya
: "Même le président de la transition, quand il me voit, il ne m’appelle
pas par mon nom ! Mais Zapata, c’est juste le titre d’un morceau de mon album
!" raconte l’artiste en souriant.
Engagé, mais apartisan, Lil Saako
s’empresse d’ajouter que la femme de l’un des principaux opposants à la junte
(Cellou Dalein Diallo, leader de l’UFDG, ndlr) est venue le voir en concert au
Bataclan, à Paris. "Vraiment, je remercie le bon Dieu. Cette chanson met
tout le monde d’accord, sans distinction. Même les mamans, les grands-mères.
Quand je vois les vieilles danser, je suis vraiment choqué."
Cette musique qui plaît à tous
vient de la rue. Des rues embouteillées et turbulentes de Conakry, plus
précisément. C’est ici qu’est né et a grandi Lil Saako, dans le quartier
populaire de Coléah-centre. C’est ici aussi qu’a vu le jour le faré gnakhi, il
y a plusieurs décennies. À la fois genre musical et danse particulièrement
physique. Dans Zapata, Lil Saako s’inspire de ce patrimoine guinéen et en fait
quelque chose de nouveau, mâtiné d’influences européennes, américaines et
africaines.
Un style critiqué
"Ma vocation, c’est de
promouvoir la culture, la tradition, la danse guinéennes sur le plan
international." Il repense avec regret à cette époque où, selon lui, son
pays influençait le continent, avec les Ballets africains notamment. Si la
chanson Zapata et sa chorégraphie ont fait le tour des réseaux sociaux sous la
forme d’un challenge et ont même été reprises par les influenceurs les plus
connus d’Afrique de l’Ouest, l’accueil des Guinéens fut plutôt froid au début.
"J’ai été beaucoup critiqué,
par des artistes, par ceux qui sont devenus des fans aujourd’hui. Les gens ont
dit 'mais Saako il ne doit pas faire ça, il est hip hop, il ne doit pas
changer, pourquoi il prend une autre direction alors que c’est à lui de booster
la musique urbaine'."
C’est un évènement inattendu qui
a permis à l’artiste de se réconcilier avec son public. Une semaine après la
sortie du clip de Zapata, les joueurs de l’équipe de Guinée de football
remportaient leur match contre le Malawi. "Tout le monde avait les yeux
braqués sur eux et ils ont commencé à danser Zapata". Il est invité à
l’hôtel par la fédération, où il danse avec le capitaine Naby Keïta et ses
coéquipiers. "Quand j’ai posté les vidéos, c’était parti. Après, les
challenges venaient de partout."
Il voudrait aujourd’hui que les
artistes de son pays se réunissent autour de ce nouveau style, pour se
"booster mutuellement" comme l’ont fait les Nigérians avec
l’afrobeats. Il dit avoir été validé depuis par le groupe Amatala, par
Singleton, Ans-T Crazy et même le duo mythique Banlieuz’Art.
Consécration
Prix spécial du jury aux
dernières Victoires de la musique guinéenne, Lil Saako a également été sacré en
2022 Meilleur artiste urbain d’Afrique francophone, lors de la Nuit des Stars
Awards qui s’est déroulée au Mali. Sa chanson a même fait le tour du monde
lorsqu’un groupe d’acrobates d’origine guinéenne l’a utilisée en demi-finale
d’America’s Got Talent.
Auréolé de ce nouveau statut, Lil
Saako juge durement la production musicale de son pays : "Les jeunes
veulent chanter comme les Jamaïcains, comme les Français, comme les Nigérians,
comme les Américains. On ne peut pas te respecter si tu n’es pas original. 80%
des artistes urbains ici font du copier-coller."
Il défend l’exception culturelle
guinéenne. "La Guinée a tellement de belles choses à présenter au monde,
tellement de danses, tellement de styles musicaux, donc pourquoi ne pas exposer
ça sur le plan international, pourquoi ne pas montrer aux gens de quoi on est
capable ?"
L’artiste a en tout cas retenu
l’attention d’Universal Music France avec qui Lil Saako a annoncé avoir signé
un contrat le 14 avril dernier. "Ils vont m’aider à développer ma musique,
à faire écouter ma musique là où je ne pouvais pas l’amener." Lil Saako
sait qu’il doit cette ascension fulgurante au titre Zapata. "Je n’avais même
pas sorti d’album l’année dernière, et grâce à ce seul morceau j’ai fait une
tournée européenne de deux mois." Il vient tout juste de repartir sur les
routes et va enchaîner les scènes jusqu’au 20 août. Après un passage au Mali,
il est actuellement en France. Il se rendra ensuite en Belgique, en Italie, et
aussi en Suisse.
Premier album solo
Lil Saako est en train de vivre
un rêve éveillé, mais quand il se remémore ses débuts, il est un brin
nostalgique. Encore adolescent, il est danseur au sein du groupe Instinct
Killers. "On était dans des écoles voisines, voire dans les mêmes
établissements et les mêmes classes. On faisait des clashs, on faisait des
concours de danse entre nous et puis on a continué, on a grandi."
Les choses deviennent de plus en
plus sérieuses. En 2011, le groupe se met à la musique, Lil Saako chante
désormais et forme un duo avec son acolyte Fish Killer. Après quatre albums et
plusieurs succès, le groupe décide de lancer ses deux artistes en solo.
"Il y a des choses qu’on ne pouvait pas faire parce qu’il faut l’accord de
tout le monde. Là, c’est toi qui guides ton album et le groupe te suit. Pour
mon album, je leur ai dit : 'je ne vais pas faire de hip hop carrément, moi je
vais créer un truc qu’on va appeler tradi-moderne. Donc, vous allez me suivre,
ça va être un nouveau truc'."
Si chacun des deux chanteurs a
été là pour assister l’autre dans son projet personnel, confie Lil Saako, il
s'est entouré d'une équipe mise sur pied spécialement pour l’occasion et
composée de gens de confiance, de son entourage, "des gens qui ne
maîtrisent pas trop le showbizz, mais qui maîtrisent le bas-quartier".
Plus d’une vingtaine de personnes
au total. Il a aussi recruté des danseurs, également une vingtaine. Sur Zapata,
c’est "la danse d’abord", martèle Lil Saako. En plus d’avoir écrit
les paroles, c’est lui qui a imaginé les chorégraphies. Son premier album solo
Nkongni Daakhi ("comme chez moi" en soussou, langue nationale
guinéenne, ndlr) sortira début juin, en format physique et digital, sous la bannière
d’Universal Music.
Sur ce disque figurera le titre
phare Zapata : "Je suis resté dans le même délire parce que j’ai un truc à
développer. Ce sera du faré gnakhi." Mais "pas à 100%". "Ce
sera un album afro-tradi, il y aura des influences européennes, américaines,
africaines, mais mixées à la culture guinéenne."
Presque une année s’est écoulée
entre le titre Zapata et l’album, Lil Saako a voulu prendre son temps :
"Je suis en mission, je dois toujours faire la différence." Quatre
clips sont déjà prêts et seront publiés sur Youtube, à raison d’un par mois, à
partir de la sortie de l’album.
M R