Le mythe selon lequel les pouvoirs militaires ou d’exception ne sont pas faits pour bâtir ou contribuer à l’émancipation d’un pays est incongru et sans fondement réel. Nul besoin de rappeler que les deux hommes politiques contemporains les plus populaires en France étaient tous des militaires et issus des régimes d’exception. Il s’agit de Napoléon Bonaparte et du Général de Gaulle. Le premier malgré son rang militaire, c’est à lui qu’on doit le Code civil français en 1804, aujourd’hui transposé dans la plupart des codes civils à travers le monde. Le Conseil d’État en 1799 ; le Préfet en 1800 ; La Cour des Comptes en 1807 ; le Livret ouvrier 1803-1890 ; La Banque de France en 1800 ; ou encore le Paris moderne qu’on connait aujourd’hui à travers le plan Haussmannien. Qu’on soit d’accord ou pas sur son héritage il fut la personnalité politique française qui a le plus contribué à bâtir et consolider l’État français contemporain.
Le
Général de Gaulle, l’homme de l’Appel du 18 juin, est le soldat qui malgré les
préjugés qu’on puisse avoir sur les soldats, eut le génie de sauver son pays
deux fois de suite, dans de circonstances particulièrement difficiles et
belliqueuses. Il a sauvé la France pendant la Seconde Guerre Mondiale en
organisant la résistance contre l’occupation nazie. Mais aussi en 1958, pendant
que l’Empire français traversait une crise profonde sans que les pouvoirs
civils successifs n’arrivent à apporter une réponse, il sortit de sa retraite
pour venir sauver une fois de plus son pays. Il l’offrit ainsi la Cinquième
République, qui prévaut encore dans la République française. Au-delà de ces
deux cas emblématiques, les exemples de pouvoirs militaires ou d’exception qui
ont réussi dans leurs missions sont nombreux, en Afrique nous avons le cas du
Mali avec Amadou Toumani Touré en 1991, ou encore du Ghana avec Jerry Rawlings
en 1981. Ces exemples entre autres, nous enseignent que le facteur le plus
déterminant dans la réussite d’un projet politique, que ce soit dans le cadre
d’une transition militaire ou non, ce n’est nullement le statut civil ni même
des diplômes issus des grandes universités dans le monde, c’est surtout avant
tout, l’esprit patriotique doublé d’une détermination sans failles dans le
dessein de défendre sa nation pour l’élévation des conditions d’existence de
toutes ses composantes sans exclusion.
Nous
savons que la démocratie n’est pas un système politique parfait, même si, comme
le souligne Wilson Churchill, il reste « le moins mauvais de tous les
autres ».[1] Pour
que le système démocratique soit meilleur il faut tout un processus et un état
d’esprit a adopté sur le long terme, ce qui n’est pas encore le cas dans nos
jeunes États en Afrique. Les régimes civils, qui sont pour la plupart en
Afrique, issus des élections démocratiques étourdies, sont en général caractérisés par l’esprit
partisan, discriminant, népotique et corruptif. Ainsi, les chefs d’État issus
de ces élections étourdies conscients de leur fragilité et de leur illégitimité,
à cause des combines fondées sur l’ethno-stratégie, le clientélisme et l’achat
des voix sont d’une certaine manière, obligés après leur arrivée au pouvoir, de
retourner l’ascenseur, non pas au peuple dans sa globalité, mais à ces éléments
ci-dessus cités.
Les pouvoirs militaires ou d’exception ont
le mérite d’avoir une grande marge de manœuvre dans la mise en œuvre des
projets terriblement pénibles mais cruciaux. Quand ils sont sincères et dotés
d’un véritable sens patriotique, ils sont très difficilement influençables par
les groupes d’intérêt (lobbys), les
groupes ethniques, les castes, les hommes politiques ringards, les fantoches,
voire tous les autres seigneurs du mal et du recul existentiel dans un pays.
Ces pouvoirs, le fait de leur qualité d’exception et militaire, en général ne
doivent leurs pouvoirs qu’au prix de leur vie, donc s’ils doivent rendre des
comptes, cela ne pourrait être qu’au peuple, qui reste malgré tout, le
véritable souverain. Mais pas aux intérêts individuels.
Les Guinéens, nous devrions donner le
temps nécessaire au CNRD pour consolider notre État, qui ne cesse de
tâtonner. Face aux échecs successifs des
réformes constitutionnelles de 1990-1991, puis de 2010 ; et de
l'incapacité des politiques à trouver une solution adoptée pour ce pays, il
faut à la nation une grande réflexion et une attention particulière sur la
réforme constitutionnelle à venir. Au côté du CNT qui sera mis en place, il est
impérieux que les intellectuels et sages, particulièrement les sociologues, les
philosophes, les historiens, les anthropologues et les juristes puissent être
associés pour dessiner ensemble le meilleur système politique adopté au pays.
Aucune question relative au régime politique ne devrait être éludée dans le
cadre de cette réflexion. Est-ce qu'il faudrait continuer avec la démocratie
présidentielle qui depuis sa profusion en Guinée dans les années 1990, n’est
qu’en réalité qu’une monarchie oligarchique ? Il nous faut-il le remplacer
par un régime parlementaire ? qui pourrait dissiper l'appétit croissant des Guinéens
pour la monarchie présidentielle actuelle. Ou par une démocratie fédérale, pour
mieux décentraliser le pouvoir et donner plus d'autonomie aux territoires. Ou
encore, il n'est pas tout à fait à exclure, il nous faut peut-être une
dictature tempérée à la chinoise ? qui pourrait mieux discipliner le pays et
orienter l'essentiel des forces du pays à la production économique, plutôt
qu’aux querelles politiques.
Quel qu’en soit le régime qui sera choisi
pour le pays par la majorité des Guinéens, le plus fondamental ne serait pas le
régime lui-même, mais la capacité qu’auront les législateurs à mettre au
service de ce régime les institutions qui permettront son fonctionnement
judicieux. Il nous faut des institutions
fortes qui ne seront pas là pour servir un individu, le plus souvent le chef de
l’exécutif, un groupe ethnique ou d’intérêt mais pour servir toute la nation
sans distinction aucune. La Constitution
qui servira de loi fondamentale devrait refléter la personnalité de toute la
population guinéenne, il faut comme le disait un géographe pluridisciplinaire
Jean Suret Canale dans son intéressant livre République de Guinée, Guineisé notre système politique et toutes nos institutions.[2]
Mamady Sylla
Doctorant à
Paris 1 Panthéon Sorbonne,
Centre
d’histoire sociale des mondes contemporains, CHS