Dr Ben Youssouf Keita a été appelé à la barre le mardi 11 avril pour sa déposition en tant que partie civile dans ce procès devant le tribunal criminel de Dixinn délocalisé à la Cour d’appel de Conakry. Les avocats de la défense ont marqué leur étonnement de n'avoir pas vu dans le dossier, en tout cas jusqu'ici, le procès-verbal de la nouvelle partie civile en instruction préparatoire. Ils se sont demandé en vertu de quoi il comparaissait.
Le tribunal
a reçu un dossier de constitution de partie civile, a répondu le juge. Pour le
parquet, il n'y a pas lieu de polémiquer sur ce dossier. Le substitut du
procureur, El hadj Sidiki Camara a indiqué que c'est de droit, la constitution
de partie civile à tout moment de la procédure, tant que le ministère public
n'a pas pris ses réquisitions. Le juge a abondé dans le même sens. Ibrahima
Sory 2 Tounkara a évoqué les articles 486 et 487 du code de procédure pénale
pour décider d'entendre Ben Youssouf Keita en qualité de partie civile.
Les débats s’ouvrent ensuite, et Ben
Youssouf a eu droit à un exposé préliminaire sur ce qu’il sait des événements
du 28 septembre
Parti de
chez lui à 6h pour se rendre chez Cellou Dalein Diallo, Dr Ben Youssouf Keïta a
expliqué le parcours ayant conduit les leaders des Forces Vives de chez
Jean-Marie Doré à l’enceinte du Stade du 28 septembre de Conakry. Selon le
président du parti ACP, ces leaders sont restés à la tribune jusqu'aux environs
de 11h. C’est à ce moment que les tirs ont commencé, s’est-il souvenu. Il dit
n'avoir pas constaté l'irruption des militaires. Cependant, l'enceinte du stade
était envahie par la fumée de gaz lacrymogène et au même moment des jeunes
tombaient, mais les crépitements de balles ne s'entendaient pas à cause du
brouhaha, a décrit l'ancien membre de L'UFDG. Ben Youssouf Keita a témoigné
qu’au moment où tout le monde était sur le qui-vive, un militaire en cagoule
pas très grand, a surgi devant Cellou Dalein en lui intimant de le suivre. Ce
dernier s'en est violemment pris au président de l'UFDG devant lui, a-t-il
relaté. Pendant qu'il cherchait à sauver sa tête, le médecin de profession a
aussi aperçu Jean Marie Doré, ancien porte-parole des Forces vives de la nation
dans les mains des militaires en train d’être molesté. C’est par la suite que
lui-même a été appréhendé par un groupe de militaires lorsqu’il tentait de
sortir du stade. Ils lui ont intimé de monter dans un camion militaire. Pour
avoir refusé, il a été roué de coups à l'aide d'un bois. Il dit s'en être sorti
avec une main fracturée et des blessures dans le dos. Après avoir sauvé sa tête
avec des blessures, Dr Ben Youssouf Keita s'est retrouvé dans une famille à Landréah.
C'est à partir de là, qu'il a été conduit à l'hôpital Donka par la Croix rouge
à la demande de l'épouse de Cellou Dalein Diallo. Dans cette structure
sanitaire, il dit avoir trouvé des jeunes et des femmes étalées.
Et c’est à ce niveau que Dr Ben
Youssouf Sylla a commencé à charger l’ancien ministre de la santé, le Colonel
Abdoulaye Cherif Diaby
Tout à fait,
Ben Youssouf Keita dit avoir vu le colonel Abdoulaye Cherif Diaby avec d’autres
militaires à l’hôpital Donka. Pour la victime, l’ancien ministre de la santé
n’a pas agi comme un médecin. « S’il a préféré être militaire, il doit renoncer
au titre de médecin, car ce jour-là, il n’a pas été un homme assermenté en
médecine. Il n’a pas eu la pitié qu’un médecin doit avoir envers ceux qui
souffrent. Nous, les médecins, sommes tenus de soigner même notre ennemi qui a
peut-être tué notre famille ou blessé nos proches, en temps de guerre. En temps
de paix, nous avons encore plus de devoirs envers nos compatriotes qui exercent
leur droit de manifester. Le ministre de la Santé n’a pas eu le regard qu’il
aurait dû avoir envers les blessés. Il n’a pas partagé notre douleur », a-t-il
dénoncé. Ce qui a choqué davantage le président de l’ACP, a-t-il dit, c’est que
certains militaires qui accompagnaient le Colonel Diaby ont donné des coups de
pied à certaines victimes. Il a précisé que l’officier lui-même n’a pas frappé,
mais il a reproché aux victimes d’avoir été au stade.
De Donka, Dr Ben Youssouf Keita est
conduit à la clinique Pasteur toujours par le soin de la Croix rouge et
toujours à la demande d’Hadja Halimatou Dalein Diallo. C’est là, qu’il a trouvé
des leaders blessés comme Cellou Dalein Diallo, mais aussi sa propre épouse qui
a été victime de tentative d’assassinat au stade, a révélé l’acteur politique
En plus de
lui-même victime de coups et blessures, Dr Ben Youssouf Keita a révélé que son
épouse a aussi été bastonnée, violentée et dépouillée de tout ce qu'elle avait
de bijoux. Dans ces conditions, a-t-il rapporté, un civil s'est attaqué à sa
femme avec un couteau pour tenter de l'égorger. « C’est en essayant de
l’égorger qu'elle a saisi la lame du couteau, sa main a été lacérée.
Entre-temps, le ministre chargé des services spéciaux est venu et a demandé aux
agents d’arrêter. Cependant, il a continué son chemin. Elle s'est agrippée avec
la main ensanglantée à la tenue du ministre et pire, son garde de corps a donné
une paire de gifles extraordinaire à ma femme. Elle a perdu connaissance. S'il
se souvient, le sang sur le côté droit de sa tenue, c'est le sang de mon épouse
», a relaté Dr Ben Youssouf Keita. La dame sera sauvée plus tard par un vieux
militaire en béret rouge, a témoigné l’acteur politique. C’est même à cause des
événements du 28 septembre que Dame Keita a bénéficié de l'asile politique en
France, a déclaré son mari mercredi.
Par rapport à tout ce qui s’est passé
le 28 septembre en 2009, Dr Ben Youssouf Keita en tient Dadis pour responsable
parce qu’il était le chef de l'Etat.
Après cette
affirmation, le médecin a fait face au courroux des avocats du capitaine Moussa
Dadis Camara. Est-ce que vous avez connaissance d'un seul acte matériel
imputable au président Dadis pour soutenir cette allégation ? a attaqué Me Pépé
Antoine Lamah. « Tout le monde a vu le président Moussa Dadis patriote à la
télé, quand il réprimandait les malfaiteurs, quand il mettait le pays sur la
ligne droite. Et tout le monde l'a vu quand il a interdit les marches, et a mis
en place un comité après ce qui s'est passé au stade du 28 septembre. Pourquoi
a-t-il mis ce comité en place ? C'est parce qu'il est responsable. C'est tout
», a répondu l'ex cadre de l'Union des Forces Démocratiques de Guinée.
Massacre du 28 septembre 2009, Dr Ben
Youssouf Keita parle d'une responsabilité partagée entre ceux qui ont appelé à
la manifestation et ceux qui ont commis le massacre.
« Si nous
leaders n'avions pas dit aux populations de venir, elles ne seraient pas
venues. C'est nous qui les avons sensibilisées à venir. C'est donc notre
responsabilité morale envers eux. Et c'est pourquoi je me suis offert
volontairement pour prendre en charge dans une ONG des blessés du 28 septembre.
Alors, la responsabilité de l'Etat, c'était de ne pas venir tirer sur nous à
bout portant », a-t-il déclaré. Pour l'actuel président du parti ACP, des
agents disposaient de matraques et de bombes lacrymogènes. Ils pouvaient donc
se servir de ces outils pour arrêter des manifestants un à un, et les traduire
devant la justice pour avoir bravé l'interdiction de la manifestation.
Au terme de sa déposition, Dr Ben
Youssouf Keita a indiqué qu’il n’a pas besoin de dédommagement, mais il cherche
la vérité dans cette affaire.
Durant les
deux jours de sa déposition, Dr Ben Youssouf n’a cessé de l’affirmer. Il dit
n’avoir nullement besoin de dédommagement, qu'il soit matériel ou financier,
bien qu'il soit victime dans cette affaire relative aux événements du 28
septembre 2009. « J'ai simplement besoin que la vérité éclate. Qu'on sache qui
a fait quoi ? Qui a donné l'ordre ? Qui l'a exécuté ? Et après on pardonnera.
Je n'ai pas besoin de quoi que ce soit. Ni véhicule, ni argent, ni promotion,
absolument rien. Parce que ceux qui sont morts n'ont pas mérité cette mort. Je
pouvais être à leur place et c'est pourquoi je suis là pour défendre ce qu'ils
ont voulu défendre », a-t-il expliqué.
À la suite de Dr Ben Youssouf Keita
mercredi, c'est une nouvelle partie civile a comparu. Il s'agit de Fatimatou
Diallo.
Fatimatou
Diallo dit s'être constituée partie civile pour avoir perdu son mari du nom de
Mamadou Sow au stade du 28 septembre en 2009. Ce jour-là, a-t-elle expliqué, le
défunt l'a quittée pour aller participer au meeting des Forces vives. Ils sont
restés en contact jusqu'à 11h, a-t-elle témoigné. C'est à 13 h qu'elle a été
appelée par une de ses belles sœurs pour lui annoncer la mort de son mari suite
aux fusillades au stade, a ajouté Fatimatou Diallo en pleurs à la barre. En
dépit de toutes les recherches qu'elle a menées dans les hôpitaux de Conakry,
elle dit n'avoir jamais vu le corps de son époux. Toutefois, un jeune du nom de
Malal avec qui le défunt travaillait à Madina a donné la confirmation du décès
à la famille. Ce dernier a même pu trouver sur lui son permis de conduire et
les clés de son magasin qu’il avait remises au jeune frère du défunt, a précisé
la plaignante. Elle dit également avoir reconnu le corps de son époux dans des
images qui avaient circulé après le massacre. La dame demande justice. Ce qui a
aussitôt mis fin à sa déposition.
Le dossier
est renvoyé au 17 avril prochain, pour la comparution de nouvelles parties
civiles.
Sékou Diatéya Camara