Après avoir connu une courte interruption, le procès des événements du 28 septembre 2009 a repris mardi dernier devant le tribunal criminel de Dixinn délocalisé à la Cour d'Appel de Conakry. C'est Djénabou Bah qui a de nouveau comparu après avoir produit une pièce d’identité.
Comme vous
le savez, son audition avait été suspendue le 17 avril dernier jusqu'à ce
qu'elle produise une pièce d'identité. Mardi donc, le tribunal a annoncé avoir
reçu la carte d'électeur produite par Djénabou Bah. « Les informations sur
ladite carte sont conformes aux déclarations de la victime à la barre », a
aussitôt fait remarquer le ministère public. Les avocats des parties civiles
ont abondé dans le même sens. Les deux parties ont alors sollicité la continuation
des débats. La défense a estimé que la production de cette pièce ne règle pas
le problème d'autant plus que la victime ne reconnaît sa signature sur son
procès-verbal d'audition. Me Jean Moussa Sovogui est allé jusqu’à se demander
quand est-ce Djénabou Bah s'est finalement constituée partie civile dans cette
affaire. Cet avocat du colonel Moussa Tiegboro Camara a demandé au tribunal de
déclarer la constitution de partie civile de la victime, irrecevable. Après
avoir entendu toutes les parties, le tribunal a décidé de la continuation des
débats avec Djénabou Bah. Elle est ensuite revenue sur les coups et blessures
et violences dont elle dit avoir été victime au stade du 28 septembre. Elle est
également revenue sur les menaces proférées selon elle, dans la matinée du 28
septembre par le colonel Moussa Tiegboro Camara à l'esplanade du stade contre
des manifestants. Djénabou Bah a enfin sollicité un dédommagement. C’est ce qui
a mis fin à sa déposition.
Djénabou a été aussitôt succédée à la
barre par Oumar Dioubaté. C’est un médecin qui s’est constitué partie civile
pour avoir perdu sa maman au stade.
Oumar
Dioubaté a expliqué que Fanta Condé puisque c'est d'elle qu'il s'agit, est
allée de la maison à Wanindara pour le stade, aux environs de 8h en compagnie
de sa copine du nom de N'na M'Ballou. Selon la partie civile, la victime avait
insisté à la veille du 28 septembre 2009 pour participer au meeting des forces
vives nationales. Le jour J, la militante du RPG est effectivement partie au
stade malgré l’opposition de ses enfants parce qu'elle souffrait du diabète.
Lorsque sa maman sortait de la maison, elle lui a confié son sac qui contenait
son téléphone, a témoigné Oumar. Il était de garde dans une clinique à Enco 5
quand il a appris que ça ne va pas au stade. Lui et ses frères se sont alors
inquiétés. Ils ont aussitôt commencé à chercher à prendre des nouvelles de leur
maman.
Lorsqu’ils se sont rendus à
l’évidence qu’il y a eu massacre au stade, Oumar Dioubaté et d’autres membres
de la famille sont passés à l’hôpital Donka sans pour autant voir le corps de
Fanta Condé.
N’ayant pas
vu leur maman lundi et mardi, mercredi certains membres de la famille se sont
effectivement rendus à l'hôpital Donka, a rappelé Oumar Dioubaté. Les autres
sont bloqués à la porte, mais lui en tant que médecin, parvient à se faufiler
entre policiers et gendarmes pour se retrouver à la morgue de l'hôpital par la
complicité de certains de ses amis médecins. Après avoir commencé à fouiller,
il est interpellé par un béret rouge qui lui a défendu de toucher aux corps
dont certains avaient même commencé à sentir, a-t-il témoigné. Il n'a pas vu
là, le corps de la militante du RPG. Jeudi, un communiqué est publié pour
annoncer la restitution des corps. Vendredi, a-t-il poursuivi, les corps sont
transportés à bord des camions militaires et exposés à l'esplanade de la
mosquée Fayçal. Après des fouilles selon Oumar, son grand frère retrouve la
dépouille de Fanta Condé. C'est sur fond de tension qu’elle est récupérée avant
d’être inhumée à Simbaya sans autopsie, a avoué le médecin. Oumar Dioubaté
révèle avoir constaté trois fractures au niveau du bras droit de la victime.
Fanta Condé a trouvé la mort par suite de violences, a affirmé son garçon qui
demande que justice soit faite.
Après la déposition d’Oumar Dioubaté,
c'est Alpha Bacar Diallo qui a été entendu, lui aussi partie civile.
Alpha Bacar
Diallo est chauffeur de profession né en 1987 à Conakry. Il dit s'être
constitué partie civile pour avoir été victime dit-il, de coups et blessures au
niveau de la bouche et du ventre à l'aide d'armes blanches. Il accuse un béret
rouge dont il ignore l’identité, d'en être responsable. Alpha Bacar a expliqué
qu'il est sorti de son domicile à Wanindara à 7 heures du matin pour se
retrouver à l'esplanade du stade avec la foule aux environs de 8h. Il dit avoir
remarqué à la porte, au moins 6 hommes habillés en maillot de Chelsea. Ces
derniers n'étaient pas armés. Ils invitaient plutôt les manifestants à entrer
dans le stade en déclarant, '' victoire, venez, venez'', en même temps, ils
fouillaient des passants, a décrit la partie civile. Au moment où les leaders tenaient leurs
discours, les tirs ont commencé à retentir, s'est souvenu Alpha Bacar Diallo.
Les tirs interviennent, Alpha Bacar
Diallo parvient à s’échapper pour un début. Mais il est ensuite repris par des
bérets rouges et contraint de ramasser les corps, selon lui.
Il dit
s'être sauvé en se faufilant entre les grillages et les barbelés quand la
débandade a commencé suite aux tirs perpétrés par des militaires. Dans sa
course, il dit avoir croisé le chemin des bérets rouges. Après avoir reçu des
coups, lui et d'autres manifestants interpellés ont été sommés de ramasser les
corps et de les rassembler au niveau de la porte du stade a révélé Alpha Bacar
Diallo. Il dit avoir vu une quarantaine de corps dont 8 décès par balles et les
autres par asphyxie. Il a ouvert une parenthèse sur le corps de Fanta Condé. Le
jeune a confirmé l’avoir vu. Il a également révélé que les ramasseurs s’étaient
montrés réticents à le transporter à cause de son mauvais état. Alpha Bacar
était menacé d'extermination par un béret rouge lorsque la croix rouge est
arrivée, a-t-il relaté ensuite. Il en a profité pour s’éclipser avant d’être
admis à l'hôpital Ignace Deen. Selon lui, le véhicule à bord duquel il a été
transporté, était suivi d'un camion militaire qui contenait probablement des
corps. A l'hôpital, il dit avoir été pris en charge par une dame qui l'a amenée
chez elle à Sangoyah à cause des menaces qui planaient sur des victimes à
l'hôpital. C'est là qu’Alpha Bacar Diallo est rejoint par sa famille, a-t-il
témoigné. Il porte plainte contre le béret rouge qui l'a blessé, mais il dit
ignorer l'identité de ce dernier. La partie civile demande justice.
Mercredi, une nouvelle partie civile
est appelée à la barre. Il s'agit de Mamoudou Conté.
Mamoudou
Conté milite dans le parti UFR. Il a expliqué que dans la matinée du 28
septembre 2009, lui et beaucoup d'autres militants de ce parti dirigé par Sidya
Touré se sont mobilisés à partir de Matam pour rallier le grand stade de
Conakry à l'époque. En dépit des petits obstacles notamment au niveau de Pharma
Guinée où des policiers ont tenté de les empêcher, ils ont pu accéder au stade
aux environs de 9h 30. Après 10h, a-t-il ajouté, des militaires en béret rouge
et d'autres coiffés de tissus rouges parsemés de cauris ont fait irruption.
Certains tiraient, d'autres bastonnaient des manifestants, a décrit Mamoudou
Conté. Dans la débandade, il a pu sortir selon lui, dans des conditions
pénibles. Mais avant de sortir, la victime dit avoir vu des hommes en étoffes
égorger des manifestants en détresse. Il ne parle pas clairement de viol, mais
Mamoudou dit avoir vu également des bérets rouges en train d’agresser des
femmes dans l'enceinte du palais des sports. D'autres militaires ont sectionné
des fils électriques et placé des pointes devant des manifestants en débandade,
a-t-il témoigné. La partie civile se plaint de bastonnade et de violences. Son
téléphone de marque Nokia lui a aussi été retiré par un policier, a-t-elle
déclaré. Suite aux violences dont il dit avoir été victime, Mamoudou Conté
révèle que ses genoux continuent de lui faire mal. Dans le box des accusés, il
n'a indexé personne. Cependant, il tient le capitaine Moussa Dadis Camara et
compagnie, pour responsables du massacre du 28 septembre 2009.
Après Mamoudou Conté, c'est Thierno
Mamadou Diallo qui a été entendu.
Thierno
Mamadou Diallo est un commerçant né en 1976 à Diountou dans la préfecture de
Lélouma. Il a été interpellé avec deux autres personnes par des civils armés
entre concasseur et Hamdallaye lorsqu’il rentrait à la maison aux environs de
8h30, a-t-il expliqué. Selon lui, ils ont été ensuite livrés aux gendarmes
avant d'être convoyés à l'esplanade du stade du 28 septembre. Il a rappelé que
c'est devant lui que des tirs ont commencé à retentir. Il dit avoir profité du
passage d'un des véhicules de la croix rouge pour tenter de s'échapper, mais en
vain. Il est alors pris à partie et violenté, a relaté Thierno Mamadou Diallo.
Quelque temps après, lui et ses compagnons d'infortune ont été amenés à
l'escadron mobile d'Hamdallaye avec de nombreux manifestants interpelés par des
gendarmes. La partie civile révèle qu'elle a été torturée non seulement en
cours de route, mais aussi après avoir été emprisonnée dans les locaux de cet
escadron. Thierno Mamadou Diallo témoigne avoir été fouillé et ses objets
retirés, excepté son téléphone qu'il avait caché. Il informe ensuite son frère,
et le lendemain il recouvre sa liberté après avoir payé de l'argent dont le
montant n’a pas été dévoilé. Il porte plainte pour coups et blessures contre
ceux qui l'ont arrêté, même s’il avoue ne pas être en mesure de les identifier.
Plusieurs fois interrogé à propos, Thierno Mamadou a dit qu'il ne sait pas
pourquoi il a été interpellé, d'autant plus qu'il ne manifestait pas. Il est
allé jusqu’à révéler qu’il a fui la Guinée pour aller se faire soigner et
s'installer au Sénégal à cause des menaces, parce que sa photo prise à
l'esplanade du stade selon lui, circulait à l'époque notamment dans la presse.
Sur cette photo, on l’aperçoit, désemparé, en train d’être trimbalé par deux
éléments des services spéciaux. L’un le tenant au collet, l’autre en position
de lui donner des coups de pied par derrière.
Talhatou Garanké Diallo est la
troisième partie civile qui a comparu à la suite de Mamoudou Conté et de
Thierno Mamadou Diallo mercredi.
Talhatou
Garanké Diallo est l'un des gardes du corps du président de l'UFDG. Il dit
s'être constitué partie civile pour avoir été victime de coups et blessures et
de vol. Le sexagénaire a expliqué que très tôt dans la matinée du 28 septembre
il a pris sa moto pour aller tâter le terrain. Il dit avoir constaté la
présence massive des agents de maintien d'ordre et la mobilisation des
manifestants à l'esplanade du stade. Il ajoute avoir été également témoin de l'arrivée
du colonel Moussa Tiegboro Camara et ses hommes alors habillés en body noir et
coiffé de béret vert. Selon Talhatou Garanké, l'ex patron des services spéciaux
a menacé de massacrer des manifestants et de faire arrêter des leaders s'ils ne
quittaient pas les lieux. C'est sur fond de brouhaha que les premiers tirs à
balles réelles sont intervenus entraînant la mort des deux premières personnes,
a relaté la partie civile. Elle aussi, a rappelé que quand les discours ont
commencé au stade, des bérets rouges ont fait irruption avec des tirs. En
tentant de se sauver, il a été poignardé au bras gauche, a témoigné le
sexagénaire. Tout de même, il parvient à
retourner au domicile du président de l'UFDG. C'est là qu'il a dit avoir vécu
le pire. Les bérets rouges tombent sur lui, a-t-il expliqué. Il s'en est sorti
avec un pied fracturé et sa moto emportée. En plus du colonel Moussa Tiegboro
Camara, le garde du corps d'El hadj Cellou Dalein Diallo affirme avoir vu le
commandant Toumba Diakité secourir des leaders. Il a également vu Marcel
Guilavogui agressé des manifestants. Il tient le capitaine Moussa Dadis Camara
pour responsable du massacre du 28 septembre et demande justice. Sa déposition
est terminée. L'affaire est renvoyée au 8 mai prochain pour la suite des
débats.
Une synthèse de Sékou Diatéya Camara