Le procès des événements du 28 septembre 2009 s’est poursuivi cette semaine devant le tribunal criminel de Dixinn délocalisé à la Cour d’Appel de Conakry. Mais avant la reprise de la déposition de nouvelles victimes, il y a eu des débats autour de la constitution de nouvelles parties civiles à l’audience.
Ce débat a
été soulevé par Me Lanciné Sylla « Nous nous apercevons que depuis quelques
temps dans cette affaire on nous produit des constitutions de parties civiles à
l’audience et c’est à la même audience, que ces parties civiles sont entendues.
Pourtant vous avez au dossier de la procédure des parties civiles qui sont
connues depuis l’information. Ces parties civiles ne comparaissent pas. Les
nouvelles qui comparaissent, nous, c’est à l’audience qu’on nous met en copie
», a fustigé cet avocat de la défense du commandant Aboubacar Sidiki Diakité
dit Toumba. Il a ajouté que lui et ses amis n’ont pas le temps avec cette façon
de faire de lire les déclarations des parties civiles pour pouvoir apporter la
contradiction qui sied. Pourtant, a-t-il insisté, le code de procédure pénal,
dans son article préliminaire, indique que la procédure pénale doit être
équitable, contradictoire tout en préservant l’équilibre des droits des
parties. Me Lanciné Sylla a été soutenu dans sa démarche par Me Jean Moussa
Sovogui, l’avocat du colonel Moussa Tiegboro Camara et Me Bomby Mara, l’avocat
du colonel Abdoulaye Cherif Diaby.
Même s’il a dit comprendre le cri de
cœur des avocats de la défense, le parquet a émis un avis contraire sur la
question. Et après une courte suspension de l’audience, le juge a donné la
position du tribunal.
« A
l’article 486 du code de procédure pénale, le législateur a dit ceci : toute
personne qui, conformément à l’article 4, prétend avoir été lésé par un délit
peut, si elle ne l’a déjà fait, se constituer partie civiles à l’audience même
», a rappelé Algassimou Diallo. Le procureur a aussi évoqué le contenu des
articles 487 et 489 du même code. Il a enfin sollicité auprès du tribunal,
d’accéder à la demande des parties civiles. Celles-ci sont dans leurs pleins
droits de se constituer dans cette affaire, a estimé le magistrat. « Il n’y a
aucun empêchement légal vu les dispositions des articles 4, 486 et suivant du
code de procédure pénal », a tranché le juge. Cependant, pour le respect du
principe du contradictoire et pour la bonne marche de ce procès, le tribunal
demande aux parties civiles de communiquer les déclarations au moins à 24
heures de l’audition des victimes, a recommandé Ibrahima Sory 2 Tounkara.
Après ces débats, le tribunal a
décidé d’entendre des anciennes victimes et au compte de la journée du lundi,
seulement trois plaignants ont fait leur déposition. Il s’agit de Mamadou
Djouldé Diallo, Thierno Hamidou et Malick Barry. Les trois sont constitués
partie civile dans le dossier pour coups et blessures, disparition de proches
et bastonnades.
Ce sont
trois victimes avec chacune ses griefs.
Thierno Hamidou Diallo né en 1976 à Dalaba se plaint de coups blessures.
Il a rappelé avoir été au stade avec deux de ses amis. Il a eu le temps de prier avant l’irruption
des militaires. Dans la débandade, a-t-il expliqué, il a été atteint par balle
pendant qu’il courait. Il dit avoir continué son chemin malgré ses blessures.
Plus loin, il croise deux gendarmes. Un d’entre eux sort son couteau pour le
poignarder à trois reprises. Toutefois, Thierno Hamidou Diallo est parvenu à
s’échapper. Il est ensuite secouru par la croix rouge et conduit à l’hôpital
Donka où il est resté alité jusqu’au 23 décembre 2009, s’est souvenu la
victime. Avant lui, c’est Thierno Hamidou Barry qui a fait sa déposition. Lui a
représenté son neveu du nom de Abdourahmane Barry à l’audience. Ce dernier est
constitué partie civile pour avoir perdu son père Amadou Oury Barry en marge du
massacre au stade. Selon le
représentant, le corps de la victime n’a jusqu’ici pas été retrouvé en dépit de
toutes les recherches menées par sa famille. Les deux premiers ont comparu à la
suite de Malick Barry. Cette autre victime se plaint de bastonnades, mais elle
n’a pas été blessée, a-t-elle reconnu. Avant de terminer sa déposition, Malick
a parlé du passage des militaires qui, selon lui, s’en sont pris à la pharmacie
de l’hôpital Donka où il avait été momentanément admis après avoir été bastonné
au stade.
Mardi, le procès s’est poursuivi.
Toute la journée a été consacrée à la déposition de l’ex-correspondant de la
BBC en Guinée. Amadou Diallo né en 1958 à Labé dit s’être constitué partie
civile dans ce dossier pour avoir été violenté et traumatisé dans l’exercice de
son métier en marge du massacre du 28 septembre.
Amadou
Diallo a commencé par rappeler qu’il s’est retrouvé au stade du 28 septembre en
2009 dans le cadre de la couverture du meeting des forces vives de la nation. À
Dixinn, il a trouvé un petit groupe de personnes alors que la manifestation
proprement dite n’avait pas commencé. Le colonel Moussa Tiegboro Camara arrive,
il est acclamé par ce petit groupe. L’officier a tenté de dissuader ces
quelques manifestants qui étaient en face de lui. Puisque son message ne serait
pas tombé dans de bonnes oreilles, il a fait un geste de la tête avant de se
retirer. Aussitôt, les gendarmes ont dispersé ces premiers manifestants sur
fond de violences. Des journalistes comme Mouctar Bah de RFI sont brutalisés et
leurs matériels endommagés, mais Amadou Diallo parvient à se mettre à l’abri
sans problème. Il a alors tenté de rallier le domicile de Jean-Marie Doré à
Donka. A mi-chemin, il trouve les leaders bloqués par un cordon de police. Le
colonel Moussa Tiegboro est également arrivé à cet endroit à pied avec une
équipe. Les discussions s’engagent entre lui et les leaders, il perd son
sang-froid et profère des injures à l’encontre des jeunes manifestants qui lui
répondaient dans la foule, a confirmé Amadou Diallo. Suite à la pression des
manifestants qui pensaient que l’officier était sur le point d’arrêter les
leaders, le verrou a sauté. C’est ainsi que les manifestants ont continué au
stade.
Comme ces manifestants, notre
confrère est aussi rentré au stade. Et c’est après que les choses ont changé,
a-t-il relaté.
Quand les
manifestants ont accédé à l’enceinte du stade, certains priaient, d’autres dansaient,
a décrit le journaliste. C’est sur fond d’ambiance festive que les leaders ont
tenté de tenir des discours. Aux environs de 11h 40, Amadou Diallo dit être
sorti de ce brouhaha pour pouvoir répondre à l’appel de la BBC au compte de
l’édition de midi. Il est donc resté sous un cocotier quand il a entendu les
premiers tirs de balles et de gaz lacrymogène. Il était 12h20, s’est-il
souvenu. La débandade a donc commencé quand les éléments de la garde
présidentielle ont fait irruption au stade, a précisé le journaliste. A partir
de là où il était arrêté, il dit avoir appelé son ami Mouctar Bah de RFI qui
courait. « Il est venu me trouver. Je lui ai dit, nous on ne court pas. Nous
restons là. Nous sommes des journalistes. Nous ne sommes pas des manifestants.
Lorsque les militaires vont venir, le pire qui peut nous arriver, c’est
l’arrestation », l’avait-il soulagé.
Ils n’ont pas été arrêtés, mais
entre-temps, un jeune soldat arrive à leur niveau avec son arme et les menace.
« Nous lui
avons dit que nous sommes des journalistes, correspondants de BBC et de RFI. Il
n’en fallait pas plus pour qu’il se déchaîne sur nous et qu’il dise et qu’il
crie. C’est vous qui parlez mal de la Guinée à l’étranger. Il a braqué
alternativement son arme sur moi et sur Mouctar. Il nous a agenouillés au même
moment », a relaté Amadou Diallo. A ce niveau, a-t-il poursuivi, lui et son
compagnon sont sauvés par un officier. « Il est arrivé au bon moment, parce que
c’était très chaud pour nous. Mouctar Bah et moi, on suait à grosse goûte. On
était à terre. Lorsque cet officier est arrivé, il a dit au soldat, laisse-les.
Je les connais. Ce sont des journalistes. On était ensemble à Labé », a-t-il
rapporté. Le même officier a commis un policier habillé en tenue de la police
routière de les faire sortir du stade. A la rentrée principale, ce policier
accompagnateur soulève ses deux bras en l’air en disant que sa mission
s’arrêtait là.
Le policier retourne dans l’enceinte
du stade, Amadou Diallo et son ami parviennent à traverser l’esplanade pour
aller vers le quartier Landréah grâce à l’appui d’une dame militaire. Mais leur
calvaire n’était pas terminé révèle notre confrère dans sa déposition.
Effectivement.
Parce qu'après avoir traversé la route, ils seraient tombés sur un groupe de
gendarmes, habillés en bodies noirs. Un des éléments de la bande lui aurait
pris son argent, dont il ne se souvient plus du montant exact. Un autre l’aurait
ensuite assommé de coups à travers un poignard sur le bras droit. Ce bras est
resté tuméfié et inactif durant quatre mois, a-t-il dit. Quand le même gendarme
s’est emparé de son sac et a tenté de le fouiller, un certain Kathy qui, selon
notre confrère, était du protocole d’Etat de Dadis est arrivé. Grâce à
l’intervention de ce dernier, Amadou est relaxé et son téléphone restitué. En
compagnie de son ami, il trouve refuge au domicile de Me Amara Bangoura par le
canal d’un de ses confrères du nom de Abdourahmane Diallo, anciennement
correspondant de la West Africa Radio. A partir de là, une bonne brochette de
reporters a produit et acheminé des éléments pour leurs médias respectifs, a
affirmé le journaliste. Ils ont rejoint leurs domiciles entre 18h et 19h.
Selon Amadou Diallo, quand son
reportage sur les douloureux événements est passé le lendemain du massacre, la
garde s’est mise à ses trousses.
Il dit avoir
reçu au moins trois appels significatifs. Le premier, d’un militaire ami à son
garçon, le deuxième, d’un colonel et le troisième d’un ancien ministre de
Conté. Tous l'ont conseillé de quitter son domicile à cause des menaces. Suite
à leur insistance, il a décidé de quitter son domicile. Il dit avoir passé un
temps chez Alhassane Sylla, correspondant du service anglais de la BBC en
Guinée, et dans un hôtel à Taouyah sous une fausse identité. Amadou Diallo a
indiqué qu’il est resté dans la clandestinité à partir de cette date jusqu’au
moment où la BBC a décidé de l’exfiltrer avec toute sa famille vers Dakar.
Avant de terminer sa déposition, l'ex-correspondant de la BBC a témoigné avoir
vu des corps allongés et des personnes blessées à terre au stade. Et en tant
qu’homme de médias, il a entendu parlé des charniers qui existeraient derrière
l’aéroport international AST de Conakry. Amadou a insisté qu’il ne demande que
justice.
Mercredi troisième jour d’audience,
de nouvelles victimes ont été entendues Abdoul Karim Sow né 1974 à Labé a été
la toute première qui a fait sa déposition devant la Cour.
Abdoul Karim
Sow se plaint de coups et blessures. Arrivé au stade aux environs de 9h, il a
fait partie des tout premiers manifestants dispersés par des gendarmes à
l’esplanade. Il aurait alors été intercepté puis bastonné. Pour avoir perdu
connaissance, il a été transporté dans une clinique à Dixinn Foula aux environs
de 11heures, a-t-il indiqué. Quelque temps après et malgré les précédents
coups, il décide de repartir au stade après avoir appris que les leaders y sont
arrivés. Il a eu le temps de prier avant l’irruption des militaires sur fond de
tirs. Il prend la fuite et tombe sur des bérets rouges. Un d’entre eux lui
administre un coup de cross, un autre le poignarde, a révélé le plaignant. Il a
encore perdu connaissance. Il est de nouveau secouru cette fois par la Croix
rouge et conduit à la clinique de Dixinn Foula puis à l’hôpital Donka. Abdoul
Karim Sow a été pris en charge avant de rentrer à la maison à la nuit tombée, a-t-il
précisé.
Après Abdoul Karim Sow, c’est Mohamed
Ali Fofana qui a été auditionné. Il est né en 1989 en RDC.
Oui, ce
jeune âgé d’une trentaine d’années dit s’être retrouvé au stade après avoir été
motivé par ses amis du quartier. Après l’irruption des militaires, il a été
atteint par balle à la main dans la débandade. Malgré ses blessures, il a pu
sauter par-dessus un mur pour s’échapper et aller vers le pont de Madina. C’est
à partir de là, qu'il est aperçu et secouru par la Croix rouge, avant d’être
conduit à l’hôpital Donka. N’ayant pas supporté l’atmosphère qui régnait à ce
moment dans cette structure sanitaire, il a décidé d’aller à Ignace Deen où il
a été finalement pris en charge durant trois mois, a indiqué Mohamed Ali. Dans
son lit de malade, a-t-il regretté, il dit avoir été traité avec dédain par le
ministre de la Santé d’alors. Le colonel Abdoulaye Chérif Diaby lui aurait
reproché d’avoir été au stade, en le titillant sur le front. Le plaignant a
témoigné avoir vu un camion militaire transporté des corps dans la morgue de
cet hôpital pour dit-il, une destination inconnue.
Thierno Hamidou Diallo est né en 1983
à Mamou. C’est la troisième victime qui a été entendue dans la matinée du
mercredi par le tribunal ad hoc de Dixinn.
Thierno
Hamidou Diallo a quitté Hamdallaye pour se retrouver au stade le 28 septembre
en 2009. Le quadragénaire se plaint d’avoir été cogné par une pierre à la tête
et d’avoir perdu son jeune frère du nom de Thierno Amadou Diallo en marge du
massacre du 28 septembre. Ce dernier a trouvé la mort au stade, a confirmé le
plaignant. Cependant, depuis qu’il l’a perdu de vue dans l’enceinte du stade où
il a pu lui-même récupérer ses chaussures et ses clefs, le corps de son jeune
frère n’a plus été retrouvé jusqu’ici, a révélé Thierno Hamidou Diallo.
La déposition de Thierno Hamidou
Diallo a été suivie de celle de Mamadou Ciré Diallo, né en 1985 à Conakry.
Le
quadragénaire a expliqué qu’il était dans l’enceinte du stade quand les
crépitements d’armes ont commencé simultanément à l’irruption des militaires
dans l’enceinte du stade. Dans la débandade, il dit avoir reçu une balle à
l’épaule, alors qu’il escaladait un mur dans l’intention de s’échapper. Il a
été pris en charge à Donka, a-t-il rappelé. Mais avant, a témoigné Mamadou Ciré
Diallo, il a vu de nombreuses femmes nues et des agents qui poignardaient des
manifestants au stade. A part le colonel Moussa Tiegboro, la victime n’a vu
aucun autre accusé se trouvant dans le box, a-t-elle dit.
Thierno Souleymane Diallo est âgé de
31 ans. C’est une autre partie civile qui se plaint de coups et blessures subis
dans la journée du 28 septembre 2009.
Au stade du
28 septembre en 2009, c’est une balle qui aurait traversé sa main droite, alors
qu’il tentait de se mettre à l’abri du massacre. En dépit de ses blessures, il
est raflé par des agents de l’anti-drogue et contraint de rendre son téléphone,
a rappelé le plaignant. Pour avoir opposé une résistance, a-t-il révélé, il est
assommé d’un coup de cross sur la bouche, qui a fait tomber une de ses dents.
Thierno Souleymane est ensuite embarqué dans un pickup. Craignant les risques
de mort et de disparition très courantes, en pareilles circonstances, il prend
la fuite. Mais il ne serait pas allé loin, car un autre militaire lui a tiré
dessus sur les fesses. Il est resté à l’hôpital dans le cadre des soins jusqu’à
quatre mois, a indiqué la victime.
Cette semaine d’audience a été
clôturée par la déposition de Lamine Camara né en 1984 Conakry, une autre
partie civile !
Tout à fait.
Lamine Camara a affirmé avoir fait partie des premiers manifestants qui ont eu
affaire au colonel Moussa Tiegboro Camara, à l’esplanade du stade dans la
matinée du 28 septembre en 2009. Suite à des discussions houleuses, il se
serait fait arrêter par l’ex patron des services spéciaux, après qu’il a
prononcé ‘’A bas Dadis’’. Il est embarqué ensuite dans un pickup mais parvient
à tromper la vigilance des agents et se faufile dans la foule. Il est à nouveau
interpellé vers Madina par des gendarmes quand le massacre a démarré. Puis
embarqué dans le pickup pour l'Éco 1. Durant tout le trajet à partir de
l’université Gamal Abdel Nasser, lui et d’autres manifestants interpellés au
stade ont été bastonnés, a révélé le plaignant. Il a ajouté qu’ils ont été
momentanément enfermés dans une cellule dans des conditions épouvantables,
avant de recouvrer leur liberté dans la soirée grâce à un gendarme du nom de
Damaro. Il dit avoir perdu des dents suite aux violences qui ont été exercées
sur lui dans le pickup. Lamine Camara a témoigné avoir vu des bus transporter
des agents habillés en maillot de Chelsea, bien avant d’être déporté à l'Éco 1.
Juste après sa déposition, le tribunal a renvoyé l’affaire au lundi 23 octobre
pour l’audition de nouvelles victimes.
Sékou Diateya Camara