Si l’affaire Möfa Sory Douno devait avoir une suite judiciaire, il faudra se garder de reproduire le précédent lié à l’affaire Ismaël Nanfo Diaby. Lorsque cet « imam » controversé a été appréhendé à son domicile pendant qu’il dirigeait une prière en Maninka, beaucoup de juristes s’étaient posés la question de savoir ce qui pouvait lui être reproché pénalement et si les faits à lui reprochés étaient fondés.
Devant le Tribunal de Première Instance de Kankan qui était
territorialement compétant, il avait été poursuivi pour « troubles à
l’ordre public ». En dépit du fait que de nombreux juristes avaient trouvé, à
juste raison d’ailleurs, que cette qualification était un peu tirée par les
cheveux et que les poursuites engagées contre Ismaël Nanfo Diaby n’avaient
d’autre but que de contenter une opinion publique qui lui en voulait à mort.
En dépit de l’inexistence de base légale relative aux
poursuites et surtout de la vacuité du dossier, le juge l’a condamné, le 26 mai
202, à un an de prison dont 6 mois avec sursis et 500.000 de francs guinéens
pour troubles à l’ordre public.
Il faut rappeler qu’il lui était reproché également d’avoir
enfreint à une interdiction qui lui avait faite par le Secrétaire Général aux
Affaires religieuses de diriger publiquement des prières.
Après quatre mois de détention, il a recouvré sa liberté à
la suite d’un arrêt de la Cour d’appel de Kankan en date du 12 octobre 2021 qui
a déclaré que le délit de troubles à l’ordre public n’était pas fondé. Il a
tout au plus été condamné au paiement de 50.000 de francs guinéens d’amende
pour violation d’un acte réglementaire.
Relativement à Möfa Sory Douno « Sory Dounoh- Le Tueur
d’homme », que peut-on lui reprocher au plan pénal ? Certains invoquent
l’article 704 du Code Pénal qui dispose :
« Est puni d’un emprisonnement de 1 à 5 ans et d’une
amende de 500.000 à 1.000.000, ou de l’une de ces deux peines seulement,
quiconque participe à une transaction commerciale ayant pour objet l’achat ou
la vente d’ossements ou d’organes humains ou se livre à des pratiques de
sorcellerie, de magie ou charlatanisme susceptibles de troubler public ou de
porter atteinte aux personnes ou à la propriété ».
De nombreux pays africains répriment sous un terme générique
de « charlatanisme » un certain nombre d’actes ou de pratiques. Les
dispositions sont quasiment identiques. La différence dans les lois nationales
se situe essentiellement au niveau des sanctions. Dans certains pays, celle-ci
sont plus sévères que dans d’autres.
Dans la répression de cette infraction, il existe une
difficulté non négligeable en ce qui concerne la preuve de l’existence de
l’infraction. Sans compter que le législateur ne définit pas les notions de
sorcellerie, de magie et de charlatanisme. Or, en matière pénale, l’absence de
définitions ou l’imprécision de celles-ci peut constituer une source
d’insécurité judiciaire pour le citoyen.
Mais au-delà de cette question d’ordre général et pour
revenir au cas Möfa Sory Douno, il faut se demander en quoi :
– Le fait de prédire un événement heureux ou malheureux-
c’est selon- constitue-t-il de la sorcellerie, de la magie ou du charlatanisme
?
– De simples déclarations sont-elles des pratiques de
sorcellerie, de magie ou de charlatanisme ?
– Une prédiction relative à la survenance d’un coup d’État
est-elle susceptible de troubler l’ordre public ou de porter atteinte aux
personnes ou à la propriété ? Peut-être que cette affaire aurait tout
simplement un non-événement si des individus zélés, mus par le souci de plaire
au chef, n’avaient pas fait une descente musclée au domicile de celui que
beaucoup appellent un féticheur.
D’autres invoquent les dispositions de la loi relative à la
cyber-sécurité et à la protection des données à caractère personnel.
Mais quel que soit le texte de loi qui pourrait être
invoqué, il ne faut surtout pas oublier certaines règles basiques de droit
pénal :
– Il n’y a ni infraction ni peine sans un texte ;
– la loi pénale s’interprète de manière stricte ;
– la responsabilité pénale est personnelle.
Me Mohamed Traoré,
ancien Bâtonnier