61 ans d’attente pour que la dépouille mortelle du premier Premier ministre de la République démocratique du Congo (RDC), Patrice Lumumba, retrouve la terre de ses ancêtres, après son assassinat le 17 janvier 1961, à Elisabethville dans le Katanga. Mais, ce qui restait de celui qui a été, avec Joseph Kasa-Vubu, l’une des grandes figures de l’indépendance du Congo belge, c’était juste une dent qui a pu résister aux horreurs infligées jusque dans sa tombe, au héros national. Mort assassiné en 1961, c’est donc 61 ans après que le seul morceau du chantre de l’indépendance et de l’unité africaine a pu revenir, avec les honneurs à Onalua, le village familial de l’icône révolutionnaire de tout un continent. En effet, celui qui semblait avoir pris le pli, comme tombé sous le charme de la colonisation belge, mais a opéré un volte-face qui a surpris les maîtres de l’époque est de la trempe de ses trois compagnons au titre desquels de véritables panafricanistes et défenseurs de la cause noire comme l’Antillo-algérien Frantz Fanon, le Ghanéen Kwamé Nkrumah, ou le Camerounais Félix-Roland Mounié.
Du reste, le virage à 180 degrés,
Patrice Emery Lumumba, l’a fait après sa rencontre avec les trois trublions
africains de l’époque coloniale, lors de l’historique Conférence des Peuples
Africains tenue en 1958 à Accra au Ghana. Un tournant politique décisif qui,
d’ailleurs, ne portera pas bonheur à l’homme politique congolais, devenu le
mouton noir de la puissance colonisatrice et du Roi Baudoin dont le
ressentiment pour l’indépendantiste était devenu sans limite. Ressentant comme
un véritable coup de poignard dans le cœur le discours acerbe prononcé par
Lumumba, le 30 juin au cours de la cérémonie d’accession à l’indépendance de
son pays et qui a mis à nue les abus de la politique coloniale belge depuis
1885, le roi belge avait sans doute juré sa perte. Le téméraire politique qui a
osé évoquer «la liquidation du régime colonialiste et de l’exploitation de
l’homme par l’homme», savait-il qu’il signait ainsi son propre acte de décès en
s’en prenant aussi vertement et publiquement, à l’une des «puissances» de
l’heure? A l’instar du père de la Révolution burkinabè Thomas Sankara, beaucoup
plus tard certes, le Congolais, désormais poil à gratter du souverain belge
n’avait donc plus «le nez long», comme on le dit au Burkina Faso, pour parler
de la longévité écourtée.
Beaucoup d’eau ayant coulé sous
les ponts, ce après les séjours des dirigeants et du roi belges, notamment le
tout dernier voyage, non pas de «Tintin au Congo», mais du roi Philippe de
Belgique, en RDC, un acte fort de l’ancienne puissance colonisatrice
s’imposait. D’où le retour, en grande pompe, au pays natal de la dent de
Patrice Lumumba, seule relique du héros national. Cet acte vaut-il mieux ou
plus que le pardon réclamé par les Congolais pour tout le mal à eux causé par
la colonisation belge? Sans doute pas. Mais, il faut savoir également tourner
la page et perpétuer l’action révolutionnaire de Patrice Lumumba, non pas en
chouinant et en ressassant constamment les douleurs de la plaie coloniale. Il
est plutôt temps de donner toute la place de pays développé à la RDC pour en
faire, une nation traitant d’égal à égal avec la Belgique. Et ça, c’est un
autre challenge qui ne peut se réaliser en regardant éternellement dans le rétroviseur.
Garder une dent contre la Belgique, honni soit qui mal y pense, servirait peut
ou prou l’idéal du propriétaire de la dent qui monopolise aujourd’hui tous les
honneurs, de Bruxelles à Onalua en passant par Kinshasa.
En tout cas, pendant longtemps
encore, la dent du héros national congolais aiguisera toutes les attentions,
au-delà même des trois jours de deuil décrété par l’Etat congolais!