Le scrutin référendaire qui a été organisé le 18 juin dernier sur les
rives du Djoliba, a non seulement valeur de baromètre de l’adhésion des Maliens
aux changements constitutionnels voulus par Assimi Goïta et les siens, mais
aussi de test grandeur nature de la capacité du Mali à organiser des élections
d’envergure nationale sur un territoire notoirement fractionné et dont plus de
la moitié échappe au contrôle des autorités centrales. Réussir le pari de
l’organisation d’une telle consultation dans un contexte sécuritaire aussi volatile
n’était pas gagné d’avance, et on imagine que c’est un tonitruant ouf de
soulagement que les membres de l’Autorité indépendante de gestion des élections
(AIGE) ont poussé hier au coucher du soleil, à la fermeture des bureaux de
vote. Reste à savoir si le quintet de colonels à la tête du Mali depuis le
double coup d’Etat de 2020 et 2021, pourra en faire autant à la proclamation
des résultats, d’autant qu’il n’y a pas eu beaucoup d’engouement chez les
électeurs potentiels pour dire s’ils approuvent ou non ce texte qui est l’un
des plus controversés de l’histoire constitutionnelle du Mali.
Le jeu
en valait la chandelle pour les colonels de Kati
Dans les capitales régionales en
revanche, il y avait foule dans les rangs, et les premières impressions des
votants montraient clairement que c’était le mano a mano entre ceux qui sont «
pour » et ceux qui sont « contre » ce projet de Constitution censé expurger les
failles et les facteurs crisogènes contenus dans la loi fondamentale de 1992.
Assimi Goïta et ses camarades ont suivi de près et à la loupe, le déroulement
du scrutin depuis leur sanctuaire de Kati, espérant que la nouvelle mouture
soumise au vote, sera adoptée malgré les tirs de barrage de nombreuses et
influentes associations islamiques. Si le « Oui » l’emporte, en effet, ils
seront non seulement éligibles lors des scrutins à venir, mais, cerise sur le
gâteau, ils seront également à l’abri d’une éventuelle foudre judiciaire pour
avoir comploté contre l’Etat, puisque l’article 188 qui leur sert de
paratonnerre, stipule que « les faits antérieurs à la promulgation de la
nouvelle Constitution sont couverts par une loi d’amnistie et ne peuvent donc
être poursuivis ». Le jeu en valait donc la chandelle pour les colonels de
Kati, et l’enjeu est tel que certains Maliens vont jusqu’à pronostiquer un
score stratosphérique en faveur du « Oui », même s’il leur faut, pour cela,
bourrer les urnes et faire expulser encore les observateurs indépendants des
bureaux de vote, comme ce fut le cas à Gao et à Tombouctou, le 11 juin
dernier. Pour autant, il ne faut pas
vendre à vil prix la peau de ceux qui sont vent debout contre certaines
dispositions du texte et qui ont appellé à voter contre, d’autant qu’ils sont
nombreux et influents, à l’instar de l’imam Mahmoud Dicko dont le dernier
meeting au Palais de la culture Amadou Hampaté Ba, a drainé, vendredi dernier,
du monde qui a du faire douter les partisans les plus sereins et les plus
optimistes du « Oui ».
Le gouvernement malien a jeté un gros pavé dans la mare en demandant le
retrait sans délai de la Minusma
La ligue malienne des imams et
érudits, dont Mahmoud Dicko est l’un des leaders, a elle aussi, énergiquement,
fait savoir son opposition au fait que la pratique de l’islam soit entravée
dans les lieux publics au nom de la laïcité de l’Etat maintenue dans la
nouvelle Constitution, en laissant toutefois la porte ouverte aux négociations
avec la junte au cas où le texte venait à être rejeté. Les imams et érudits du
Mali seraient, en effet, prêts à conclure une sorte de ‘’gentlemen agreement’’
avec les militaires au pouvoir, qui devraient accepter de supprimer le mot
clivant de laïcité du texte pour mieux ‘’protéger’’ la religion musulmane
contre l’acceptation, par les religieux, du maintien du controversé article 188
afin de protéger les putschistes. Si on
ajoute à cette opposition des associations islamiques à la loi fondamentale en
gestation, les critiques acerbes de certains partis d’opposition et de
certaines organisations de la société civile, sans oublier la bronca des
rebelles touarègues du Nord qui ont carrément empêché le vote dans la région
sécessionniste de Kidal, on peut dire que pour le moment, rien n’est encore
joué. En attendant que chaque camp soit fixé sur son sort, le gouvernement
malien a, par la voie du ministre des Affaires étrangères, jeté un gros pavé
dans la mare des Nations unies, en demandant le retrait sans délai de la
Minusma du Mali. Cette annonce était d’ailleurs déjà dans les tuyaux depuis que
les Nations unies ont publié, le mois dernier, un rapport explosif et
particulièrement accablant pour l’armée malienne. Le timing de cette demande
expresse n’a pas non plus étonné les observateurs avertis, puisqu’il fallait,
pour les autorités de la Transition en proie au doute quant à l’issue du
référendum contitutionnel, être opportunément en cheville avec les
souverainistes et autres ultras du régime avant le passage à la phase cruciale
des votes. Maintenant que la voie officielle du Mali exige le retrait de ces
troupes onusiennes, il n’y a plus, en principe, de raison qu’Antonio Guterres les
y maintienne, malgré les risques évidents de massacres à huis clos de
populations civiles que ces Casques et bérets bleus étaient censés protéger.
C’est vrai que rien n’indique que le Mali va littéralement s’effondrer pour
autant, mais avec la suppression des emplois que la Minusma avait créés et le
rôle ingrat de fusible ou de bouc-émissaire qu’elle a toujours joué pour les
autorités de Bamako, il y a des risques élevés d’embrasement au Centre et
d’incendie au Nord, avec de probables opérations aéroterrestres des forces
armées maliennes contre les groupes armés touarègues pour récupérer la ville de
Kidal. Si on ajoute à ce départ en catimini et plein de dangers des forces
onusiennes du Mali, les tensions post- référendaires qui se profilent déjà à
l’horizon, on peut dire, sans sourciller, que les enjeux de ces différentes
opérations de charme sont énormes, mais les risques de déflagration aussi,
surtout qu’il s’agit d’un pays hautement inflammable depuis que les dieux de la
haine et de la division y ont installé leurs propres autels en 2012, et même
bien avant.
Le Pays