La Guinée a enregistré de tragiques accidents de la circulation ces derniers jours avec une trentaine de morts. Alors que le gouvernement a annoncé une batterie de mesures pour stopper la saignée, des propositions viennent de personnalités diverses pour se pencher sur la problématique. Pour en parler, la rédaction de FIM FM a donné la parole à Dr Saïkou Oumar Baldé, dans la journée de ce jeudi, 16 juin 2022.
Dr. Saïkou Oumar BALDÉ, est Docteur en Science Politique, spécialiste des organes de gestion des élections en Afrique de l’Ouest. Il est directeur du cabinet d’études sociologiques et politiques (CERF), Enseignant-chercheur et consultant international sur les transitions démocratiques, les processus électoraux et la gouvernance publique en Afrique noire francophone. Il a fait plusieurs publications nationales et internationales dans des revues à comité de lecture (ouvrages, articles scientifiques, études sociologiques et politiques, rapports, etc.).
Dr Baldé est auteur d'une étude Sécurité Routière en Guinée, Enquête sur le sentiment d'insécurité et les causes perçues d'accidents à Conakry, publiée en 2021.
Que vous inspirent
ces accidents successifs qui ont endeuillé de nombreuses familles à travers la
Guinée ?
Ces vraiment regrettable et permettez-moi d’avoir une pensée
pour les victimes et leurs familles. Des drames qui viennent alourdir la liste
des victimes de nos routes. Les accidents dans notre pays sont de plus en plus
meurtriers et fréquents. La sécurité routière est en forte dégradation depuis
plusieurs années. L’accidentalité et le nombre de morts et de blessés sur nos
routes sont en forte augmentation et la période hivernale ne va pas résoudre le
problème.
Que peut-on retenir
des causes de ces multiples accidents ?
Le centre de recherche que je dirige (CERF) en partenariat
avec l’Agence africaine de communication publique et institutionnelle
(AGACOMPI) a effectué une étude sur la SÉCURITÉ ROUTIÈRE EN GUINÉE : Enquête
sur le sentiment d’insécurité et les causes perçues d’accidents à Conakry. Une
enquête publiée en janvier 2021 et qui avait pour objectif d’interroger les
usagers des routes sur le sentiment d’insécurité et les facteurs d’accidents à
Conakry. Et cela devait permettre d’améliorer les connaissances des phénomènes
d’insécurité routière en Guinée, car les analyses élaborées par la police
routière et le ministère des Transports se basaient uniquement sur l’exploitation
de statistiques d’accidents.
Les causes des accidents de la route selon nos résultats de
2021 (d’un point de vue de la perception des usagers) sont multiples et
variées. Ils montrent que la principale cause d’accident à Conakry par exemple
c’est les dépassements dangereux et les vitesses excessives. Les usagers
estiment à 40,5 % que c’est le principal facteur d’accident. Viennent ensuite
les conducteurs de taxis-motos qui sont cités en deuxième position (21,3 % des
usagers). Depuis quelques années, les taxis-motos prolifèrent dans la capitale
guinéenne et les accidents impliquant les motos se multiplient. S’ensuivent
l’utilisation du téléphone au volant (7,9 %), l’alcool et les produits
stupéfiants (6,8 %), le non-respect des panneaux de signalisation (4,9 %),
l’état des routes (4,8 %), les défaillances mécaniques des véhicules (4,4 %),
le refus d’accorder la priorité (3,5 %), le manque de vigilance des piétons
(3,2 %) et enfin la non-utilisation des passages pour piétons (2,7 %).
Encore, ces données ne concernent que les résultats d’une
étude à Conakry (uniquement).
Il serait très bénéfique pour la Guinée, si le ministère de
la Sécurité en collaboration avec les hôpitaux du pays et le ministère des
Transports faisaient un travail plus exhaustif en recoupant les enquêtes (s’il
y en a) après les accidents, pour publier les causes réelles de ces accidents.
Quelles sont les
couches sociales les plus touchées par ces accidents ?
Il est très difficile de faire cette stratification, car ne
disposant pas d’informations sur les accidents et les victimes. Ces
informations doivent être fournies par les autorités qui disposent de plus de
moyens pour faire des rapports chaque année sur les accidents avec les données
sociodémographiques des victimes de la route.
Disposez-vous de
bilan chiffré du nombre de victimes ?
A l’occasion de la journée africaine de la sécurité routière
en novembre 2018, le ministre des Transports, Aboubacar Sylla affirmait que
« selon les statistiques non exhaustives des services spécialisés de la police
et de la gendarmerie, 21 890 cas d’accidents se sont produits durant les cinq
dernières années sur les routes guinéennes avec 2 781 tués et 13 711 blessés
qui, parfois décèdent après ou se retrouvent handicapés à vie ». J’estime que
ces données sont largement sous-évaluées, et que le nombre de victimes serait
très au-dessus.
Quelles solutions
préconisez-vous pour freiner cette hémorragie ? Éducation citoyenne ?
Répression ? Renforcement de la législation ?
Je vais reprendre ici un certain nombre de recommandations
que nous avions formulées dans le cadre de la dernière étude réalisée. Nous
estimons que les autorités doivent mettre en place un observatoire qui regroupe
les acteurs de la sécurité routière, les syndicats, les hôpitaux, les autorités
du Centre d’Administration Automobile de Conakry (CADAC) pour non seulement
faire des enquêtes sur les causes réelles de ces accidents, mais aussi lutter
contre les infractions et fraudes comme le trafic de faux permis.
Il est fondamental de vulgariser davantage le contenu du
Code de la route à tous les usagers à court terme et à long terme.
Améliorer les infrastructures et multiplier l’installation
des panneaux de signalisation.
Rendre obligatoire et systématique la vérification des
résultats de l’examen du permis avec un système de contrôle plus strict sous la
direction du ministère de la Sécurité.
Voilà quelques éléments qui pourraient aider à renforcer la
sécurité sur nos routes et réduire les accidents.
Propos recueillis par
Alpha Mamadou Diallo