Il est le Directeur exécutif du Cabinet panafricain African Crisis Group, un cabinet conseil qui œuvre dans le domaine de la prévention, la résolution des conflits, la médiation et la construction du dialogue, en un mot, qui fait de la réconciliation son cheval de bataille. Avant la création de cette Organisation non gouvernementale (ONG) en 2011, il a occupé de hautes fonctions dans son pays d’origine, la Guinée Conakry. Dr Sekou Koureissy Condé, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a été ministre de la Sécurité entre 1997 et 2000, médiateur de la république, Secrétaire général du conseil national de la Transition guinéenne, député, entre autres. De Passage au pays des Hommes intègres, il nous a accordé une interview que nous vous proposons.
Dans quel cadre séjournez-vous au Burkina Faso ?
Dr Sekou Koureissy Condé : Le
Burkina Faso est mon pays d’adoption. Je suis fils de la Guinée, j’ai des
attaches au Mali et au Sénégal mais mon pays d’adoption est le Burkina que j’ai
connu lorsque j’étais Secrétaire général du Conseil national de la Transition
en 2010 et le Burkina Faso était médiateur de la transition en Guinée. A ce
titre, j’ai commencé à connaître les cadres du Burkina Faso mais la découverte
réelle du Burkina est partie de 2011, à la création du cabinet panafricain
African Crisis Group, un cabinet conseil qui s’occupe de la prévention, la
résolution des conflits, la médiation et la construction du dialogue,
c’est-à-dire la réconciliation. Notre siège est à Ouagadougou au Burkina Faso
et notre ONG est de droit burkinabè. C’est une autre raison de mon attachement
au pays. Après plusieurs années d’absence, et vu l’évolution de la situation
sécuritaire au Burkina dans les parties frontalières avec ses voisins et dans
les 5 pays du Sahel, nous avons jugé nécessaire de venir, pas au secours du
Burkina, mais de revenir vers le Burkina pour porter main forte. Et en cela, je
remercie les autorités qui me reçoivent et qui me facilitent les conversations
et les échanges. Nous voulons insister
sur la revalorisation du rôle de la société globale. Lorsqu’on parle de société
civile aujourd’hui, on limite le cadre de la société globale, la société
d’ensemble. Nous voulons développer, promouvoir une gestion transnationale et
transfrontalière, une gestion civile et citoyenne des crises à nos frontières entre
différents pays, notamment entre le Burkina Faso et le Niger. Le Niger n’est
pas en guerre contre le Burkina et le Burkina n’est pas en guerre contre le
Niger. Mais aux frontières des 2 pays, il y a la guerre. C’est une réalité
qu’on ne peut pas cacher. Enfin, tout ce qui concerne le Burkina Faso intéresse
la Guinée, implique le Mali, le Sénégal, le Niger, la Mauritanie et les autres.
Il est important qu’une ONG panafricaine puisse venir apporter son grain de sel
à cette question cruciale en termes de sécurité humaine.
Au Mali, en Guinée puis au
Burkina Faso, il y a eu des coups d’Etat. Qu’est-ce qui explique, selon vous,
le retour des coups de force dans la
sous-région ouest-africaine ?
Commençons par faire l’autopsie
politique de ce que nous appelons coup
d’Etat. Vous verrez que le phénomène militaire est devenu un phénomène
infiniment politique en Afrique. Avec huit (8) coups d’Etat réussis au Burkina,
quatre (4) en Guinée, six (6) au Mali, douze (12) en Guinée-Bissau, vous comprendrez que les coups d’Etat font
partie de l’évolution des Etats-nations en Afrique. Comment résoudre cette
équation ? Ceci nécessite une réflexion très approfondie. Pour ma part, il faut
intégrer nos armés dans le domaine politique et de développement. Juste une idée. En ce qui concerne les raisons des coups
d’Etat, il y a un aspect statique et un
aspect dynamique. La raison statique c’est qu’à la délimitation de nos
frontières, c’est-à-dire avec le tracé colonial, nos pays, en tenant compte de
nos sociologies globales, n’avaient pas besoin d’armées. C’est-à-dire que nous
sommes africains et nous sommes allés faire la deuxième Guerre mondiale avec les pays occidentaux et entre
les pays occidentaux. Mais dans l’histoire de nos royaumes, les guerres
se sont limitées. C’est un peu l’esclavage, la traite des Noirs, la bataille
contre l’indigénat, et autres qui ont remplacé
en fin de compte, la lutte pour les indépendances. Sinon, au sein de nos
sociétés traditionnelles, c’est la recherche du consensus, la recherche du partage du pouvoir. L’autorité morale est en
lieu et place de l’autorité de la
force. Nous avons raté, à la création de
nos Etats-nations, d’adapter nos Etats
aux réalités traditionnelles gouvernantes.
Maintenant, puisque nous avons épousé les modèles d’Etat occidentaux,
nous n’avons pas eu à prendre en compte les exigences et les valeurs liées au
fonctionnement des Etats occidentaux. Les principes des lois, le pouvoir des lois, la transparence des lois, les recours des
lois, les droits et devoirs des citoyens. C’est ce que nous appelons la
mauvaise gouvernance qui a continué et qui justifie en partie la lassitude des
populations. Deuxièmement, le traitement de l’adversité. Lorsqu’un parti
politique est élu et s’installe au pouvoir, le traitement que ce parti
fait de ses adversaires est absolument
le contraire de ce qui doit se fait dans les pays où nous avons appris ce modèle de fonctionnement de la
République. Voilà des contradictions qu’il faut prendre en compte. La dernière contradiction est notre refus de
la réflexion, c’est-à-dire notre refus de l’autocritique. Nous pensons que ce
sont les Occidentaux qui nous mettent en retard, ce sont les Chinois, les
Arabes, les Turcs qui nous mettent en retard. Nous refusons de faire le bilan de
nos 63 années d’indépendance et de la manière dont nous traitons les uns et les
autres. Quatrièmement, l’armée a pris goût au pouvoir. Si vous regardez le
nombre de coups d’Etat au Burkina, au Mali, en Guinée, c’est un corpus qu’il
faut intégrer au pouvoir d’une manière ou d’une autre parce que de toutes
façons, ils ont les armes, ils ont la force et ils ont envie d’utiliser la
force. Voilà un mélange de raisons et de causes qui expliquent aujourd’hui
l’émergence des coups d’Etat qu’il ne faut ni banaliser ni minimiser mais qu’il
faut analyser calmement pour amener les militaires à nous orienter sur leur
volonté réelle dans la société. S’ils veulent faire avec le reste de la
société, on s’assoit, on se parle et on se dit de façon pérenne, voilà la place
qu’on vous réserve et voilà la place que vous voulez nous préserver.
Maintenant, quelles s,ont les garanties qu’il faut donner à cela ? Il faut les trouver dans les structures
endogènes et ne pas attendre que ce soient l’Union européenne, l’ONU qui
viennent arbitrer mais que nous ayons le sens de la responsabilité nécessaire
pour traiter le phénomène militaire. Sinon, nous allons sortir d’une
transition, mais dans 2 ou 3 ans, nous serons dans un autre coup d’Etat.
Après le coup d’Etat au Burkina Faso, la junte militaire a accusé les Hommes politiques d’être responsables de
la situation actuelle du pays. Ce même type de discours a été tenu au Mali et
en Guinée. Partagez-vous ce point de vue ?
Je ne partage pas cet avis. Je
déplore le fait que les 5 piliers de la société dynamique se soient divisés en
groupes. Aujourd’hui, tout se passe comme si l’armée, donc les forces
militaires, la justice et les médias sont d’un côté, la classe politique et la
société civile de l’autre côté. Dans cette recherche permanente de
bouc-émissaire, on pense que c’est la classe politique. J’ai tantôt parlé des mauvais traitements et
de la mauvaise gouvernance mais est-ce que cela explique les ruptures
répétitives de l’évolution de nos sociétés ?
Il faut se parler, trouver des solutions. C’est pourquoi j’en appelle au
rôle des intellectuels pour encore revenir à la réflexion. Il faut repenser les
modèles qui pourraient, pour les générations à venir, nous sortir de cet
engrenage de blocage. Ce qui est effrayant, c’est que les valeurs africaines de
pardon, de tolérance, d’âge, d’expérience, de sagesse sont en train d’être
évacuées du revers de la main pour des valeurs de jugement et d’épreuves de
force. Cela me désole et je souhaite vivement que le dialogue reprenne entre
les Africains et que nous fassions preuve de maturité.
Quel regard portez-vous sur l’insécurité grandissante en Afrique de
l’Ouest, notamment dans les pays du Sahel.
Historiquement, nos pays ne sont
pas protégés militairement. Aucune armée nationale africaine n’a gagné une
guerre. Nos armées n’ont pas vocation à aller à la guerre. Nos armées ont
vocation à participer au développement. Ce scénario a été raté. Nous ne sommes
pas préparés. Aussi, nos Etats ne sont
pas préparés à la guerre. Nous sommes préparés à la paix. Nous avons vocation à la paix, à la
philosophie de la paix que nous avons délaissée
mais qu’il va falloir reprendre. Maintenant, avec la chute de Bengazi en
Libye, avec les questions endogènes entre éleveurs et agriculteurs, des
questions liées à la cohabitation, à la récupération politique des
communautés ethniques, l’alignement
politique qui devient ethnique, l’offre politique qui devient ethnique et le
favoritisme qui s’installe dans les relations et les rapports sociaux de production, expliquent la fragilité et la
vulnérabilité de nos sociétés face à l’envie de faire du mal, de prendre le
pouvoir par d’autres moyens. L’insécurité aujourd’hui tire ses origines de 3
facteurs. D’abord, la pauvreté, la porosité de nos frontières et la faiblesse
de nos Etats, la fragilité de nos institutions étatiques face à ces formes de
menaces. Mais il y a une solution. Elle est citoyenne, elle est populaire.
C’est la population qui doit être investie, c’est-à-dire dans la
sensibilisation, la moralisation et de façon transnationale. Cela veut dire qu’il faudrait que les populations du
Burkina Faso et du Niger comprennent de la même manière, la nécessité de
travailler pour la paix et la sécurité
dans leurs pays respectifs. Les
populations conscientes et consciencieuses sont plus fortes que 1000 armées
réunies. Et c’est à cette population qu’il va falloir s’adresser, qu’il va
falloir faire confiance et outiller. C’est un processus qui semble difficile
mais qui est porteur de solutions.
Quelles sont, selon vous, les causes et les niveaux de responsabilités
de nos gouvernants et de nos partenaires internationaux ?
Je suis tout à fait préoccupé par
les jugements que les uns et les autres font sur les partenaires
internationaux. C’est-à-dire que ce qui se passe dans ma famille n’est pas la
faute de mon voisin ! Nous avons entre
62 et 63 ans d’indépendance. Qu’avons-nous fait de nos richesses ? Qu’avons-nous
fait de nos élites, de notre jeunesse, de nos travailleurs, de nos traditions,
nos meurs, nos coutumes ? C’est cela la question. Laisser cet espace de
critique et d’autocritique et de mise en valeur de nos ressources humaines
propres et vouloir dire que c’est la faute aux partenaires internationaux, je
pense que c’est une fuite en avant qu’il va falloir éviter. Il faut se
parler. Je n’ai pas vu, dans l’exercice
de mes fonctions, parce que j’ai été ministre, médiateur de la République,
Secrétaire général du Conseil national de la Transition, mais jamais à aucun
moment, je n’ai senti la Russie, la France, la Chine, le Japon s’impliquer dans
le schéma -directeur de notre pays. Je ne l’ai pas vu. Par contre, j’ai vu la
corruption, le mauvais traitement de l’adversité. J’ai vu que la sécurité humaine
n’était pas une préoccupation. J’ai vu que le désenclavement de nos
populations, de nos pays n’est pas une
préoccupation en termes de développement des infrastructures. Les pays comme le Sénégal qui ont pensé à la
stabilité et à l’ouverture, n’ont pas les mêmes problèmes que nous d’une
certaine manière. Il faut prendre des
modèles qui marchent. Il y a certainement des difficultés et il faut bien qu’on
pense au Sénégal. Mais jusque-là,
l’avantage que le Sénégal a,
c’est la stabilité, les institutions étatiques. Il faut que nos pays
reviennent à cela et il faut que nous cessions
d’accuser la classe politique, les Américains ou les pays européens. Je ne suis pas dans les accusations
gratuites. Je suis dans le développement humain, dans le développement africain
et dans la mise en valeur des
intelligences africaines.
Parlons à présent de la Guinée et de la Transition militaire en Guinée.
Comment voyez-vous la conduite actuelle de cette Transition ?
En Guinée, contrairement au
Burkina Faso, nous n’avons pas un espace de dialogue. Et c’est ce que j’appelle de tous mes vœux.
Je pense que la solution, la bonne solution, c’est le dialogue inclusif. Il
faut en arriver là et c’est ce que je souhaite. Je pense que nous sommes un
petit pays de 15 millions d’habitants, très riche et très jeune dans sa
majorité. Nous n’avons aucun intérêt à développer l’épreuve de force entre les
couches. Quelles que soient leurs tendances, il faut rechercher le dialogue. Il
faut rechercher les voies du développement par la paix.
Quels sont vos rapports avec le régime de la Transition ?
Je suis un acteur de paix, un leader politique
dans mon pays. Je suis un acteur de la réconciliation, du dialogue, de la lutte
contre l’insécurité au plan africain. Je remercie Dieu et je me targue d’être
aujourd’hui dans tous les pays de la sous-région, accueilli, considéré comme un
Africain tout court. Je n’ai pas de rapports particuliers avec la junte
militaire en Guinée. J’ai des rapports de considération mutuelle mais mes
inquiétudes portent sur la manière dont évolue cette Transition en Guinée. La solution que je propose est que je
voudrais me mettre à la disposition et de la classe politique et de la junte au
pouvoir, et de la société civile pour qu’ensemble, nous puissions trouver un
schéma de dialogue pour auto-gérer la situation guinéenne qui est très fragile.
D’aucuns disent que Doumbouya
est sur les traces d’Alpha Condé, en ce sens qu’il réprime ses compatriotes
dans le sang. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?
Je pense que le président Mamady
Doumbouya est venu au pouvoir pour solder le passé. Il a été en cela accueilli
et applaudi par la majorité, la quasi-totalité de la population. Je l’invite à
garder cet espoir, ce calme, à reprendre en main la question-clé de notre
société qui est le chantier de notre société, à savoir la réconciliation.
L’histoire de la Guinée est parsemée de violences d’Etat. De l’indépendance à
nos jours, quand vous faites le bilan, vous voyez que la dose de violences est
infiniment plus élevée que la dose d’actes symboles de paix. Donc, il faut
rééquilibrer et je compte sur lui pour revenir à ce schéma.
Comment entrevoyez-vous l’avenir de la Guinée ?
En Guinée comme dans les autres
pays africains, il faut que la question militaire soit posée dans le débat. Il
faut que le phénomène militaire soit analysé sur le moyen et le long terme.
Sinon, nous ne sortirons pas des cycles de coups d’Etat. Aujourd’hui, ils sont
jeunes, ils ont des armes, ils ont la volonté de garder le pouvoir. Ce sont nos frères, sœurs,
fils et filles, cousins et cousines. C’est la même société.
L’honnêteté de dire la vérité n’est pas
seulement un courage mais c’est aussi une vertu. Se taire sur la vérité est
plus condamnable que le mensonge. Il faut dire les choses telles qu’elles se
présentent. On ne peut pas continuer comme ça, on ne peut pas, chaque 3 ans ,
gérer un coup d’Etat, une Transition et les 3 années à venir encore un coup
d’Etat et une transition. Ne nous focalisons pas sur la durée mais sur le
contenu de ce futur que nous allons bâtir ensemble pour d’autres générations.
Sans la stabilité, il n’y aura pas de développement. Et sans le développement,
il n’y a pas de prospérité.
Votre mot de fin ?
Le Burkina est un pays, une
société modèle en Afrique à cause d’un certain nombre de valeurs et de symboles
que nous devons garder. Il ne faudrait pas que ce pays soit déstabilisé ou
fracturé. Au Burkina, nous avons gardé
la foi, les croyances, la justice. La notion de justice est une notion très
forte pour le Burkinabè. C’est-à-dire que faire du tort à un être humain, le
Burkinabè n’est pas indifférent à cela. Cela montre la valeur africaine. Lorsqu’un malheur arrive au prochain, les
autres n’applaudissent pas. Les gens s’interrogent. C’est ce qui est beau, ici,
au Burkina Faso. Deuxièmement, il y a la
culture du travail. Il faut revaloriser cela. Troisièmement, il y a les
coutumes, les mœurs, l’attachement aux sources. Ce sont des valeurs africaines
qu’on retrouve au Burkina Faso et qu’il va falloir protéger et sauvegarder.
L’élite africaine de ma génération se reconnaissait à travers Kwame N’Krumah,
Sékou Touré, Thomas Sankara ; aujourd’hui, ce que nous pouvons faire, c’est encourager, accompagner comme ce que
les Voltaïques ont fait dans nos pays
respectifs au moment des indépendances. Toute l’élite ouest-africaine
devrait se focaliser sur le Burkina pour que son exemple puisse servir aux
autres pays en transition ou en soif de changement. Encore une fois, que la
Transition militaire actuelle au Burkina soit un modèle en termes de gestion,
dans la transparence et vers l’apaisement pour sauver le reste de la
Transition.
Avec Le pays