Au Soudan, le coup d'État de l'armée contre les civils, avec qui elle partageait le pouvoir depuis la révolution de 2019, est survenu dans un climat politique de plus en plus tendu. Depuis des semaines, les militaires exigeaient une dissolution du gouvernement, quand la composante civile du pouvoir la refusait totalement, mettant un terme à plus de deux ans de manœuvres et de compromis.
En avril 2019, les révolutionnaires soudanais avaient dû, à
contrecœur, s'associer aux généraux de leur ennemi principal, Omar el-Béchir.
Car si c'était des civils qui avaient rendu la chute de ce dernier inéluctable,
grâce à la rue, c'était les militaires qui avaient arrêté celui qui était alors
chef de l'État et obtenu sa démission. Ce compromis était à la fois le point
d'équilibre et le point faible de leur accord de partage temporaire du pouvoir,
obtenu de haute lutte par une médiation de l'Union africaine, soutenue par la
communauté internationale.
Un point d’équilibre
et un point faible
Il s'agissait d'un point d'équilibre parce que chaque camp
avait démontré sa force respective, une force sur laquelle il fallait compter
pour gouverner. Depuis la chute d'el-Béchir, l'armée soudanaise, en plus de son
pouvoir économique, a continué à jouer un rôle non négligeable : elle a été à
l'œuvre dans le conflit de basse intensité face à l'Éthiopie, dans le triangle
d'el-Fashqa, mais aussi dans le maintien de l'ordre au Darfour, dans le rapport
de force régional autour du barrage controversé de la Grande Renaissance
éthiopienne, ainsi que dans la normalisation avec Israël et les États-Unis.
De leur côté, les forces issues de la révolution ont
plusieurs fois démontré leur capacité à s'unir, malgré les divisions, et à
mobiliser le grand nombre pour soutenir la reprise en mains du Soudan par un
gouvernement uniquement civil.
Mais il s'agissait également d'un point faible parce que
toute velléité de limiter les pouvoirs de l'une des composantes de la
transition déséquilibrerait mathématiquement l'ensemble.
Déséquilibre
Or, d'un côté, les travaux de la commission de lutte et de
démantèlement des restes de l'ancien régime - d'ailleurs dissoute dès le coup
de force de lundi - ont souvent empiété sur les intérêts des militaires,
notamment des Forces de soutien rapide dirigées par le général Mohamed Hamdan
Dagalo dit « Hemeti ». Et l'annonce de la volonté de reprise de contrôle par
l'autorité civile du haut commandement militaire et des renseignements,
l'intégration d'anciennes rébellions dans les corps constitués, ainsi que
l'annonce de la fusion des Forces de soutien rapide dans l'armée régulière, ont
rencontré une opposition résolue de certains hauts gradés.
Et de l'autre, la mainmise de l'armée ou des paramilitaires
sur des pans entiers de l'économie, le droit de regard qu'ils s'octroyaient sur
les réformes politiques et économiques, leurs ingérences dans les fragiles
équilibres de la scène politique ont achevé de miner la confiance.
Élément déclencheur
de la rupture
C'est donc ce déséquilibre qui a précipité la situation ces
derniers mois, notamment depuis le coup d'État raté du 21 septembre dont les
circonstances ne sont pas encore tout à fait claires. Il ne manquait plus que
l'élément déclencheur de la rupture entre les partenaires de la transition.
La crise dans l'est du pays, les pénuries, les réformes
économiques impopulaires imposées par le FMI, les réformes de l'État jamais
mises en œuvre, les disputes politiciennes, les accords de paix très complexes
signés à Juba, les divisions au sein des forces civiles également - les
islamistes du JEM de Djibril Ibrahim et les forces de Minni Minawi avait
récemment rompu avec le Premier ministre Abdallah Hamdok - ont précipité la
situation, semble-t-il.
Les civils accusaient les militaires de « saboter » leur
travail. Et les militaires exigeaient la formation d'un gouvernement de «
technocrates » politiquement neutres, c'est-à-dire débarrassé de leurs
adversaires.
Avec RFI