Le Tchad est à un
moment charnière de son histoire. Après 31 ans au pouvoir, le maréchal Idriss
Déby Itno a été tué il y a un peu plus de trois semaines, sur le front qui
oppose l’armée nationale aux rebelles du Front pour l'alternance et la concorde
au Tchad (Fact). Depuis, c’est le Conseil militaire de transition (CMT), quinze
généraux dirigés par le fils de l’ancien Président, Mahamat Idriss Déby, qui a
pris les rênes du pays. Un « coup d’État constitutionnel », pour la coordination
citoyenne Wakit Tama. Transition douce ou changement de système ?
De nos envoyés
spéciaux de RFI à N’Djamena
Wakit Tama signifie « l’heure est arrivée » en arabe
tchadien. Ses membres — organisations de défense des droits de l’homme,
syndicats et partis politiques d’opposition — ne reconnaissent pas les
nouvelles autorités de transition et appellent sans relâche à la mobilisation.
La coordination d’actions citoyennes a organisé une première
journée de manifestation le 27 avril, violemment réprimée : 15 morts, selon
Wakit Tama, 6, selon les autorités, et plus de 700 arrestations. Samedi 8 mai,
après une séquence particulièrement confuse où le gouvernement a autorisé une
nouvelle manifestation sous condition, avant de l’interdire, puis d’annoncer
qu’elle serait tolérée, les manifestants ont à nouveau été violemment réprimés.
Avec une dizaine de blessés et une cinquantaine d’arrestations sur l’ensemble
du territoire. Une nouvelle mobilisation est prévue mercredi 19 mai, dans tout
juste une semaine.
Transition pas remise
en cause
Mais pour le ministre de la Communication Abderaman
Koulamallah, porte-parole du gouvernement de transition, pas de quoi remettre
en question le processus de Transition : « il y a deux ou trois quartiers dans
toute la ville de N’Djamena qui sont sortis [manifester ndlr], affirme le
ministre, il n’y a pas un climat général de manifestation ». Mais la répression
policière n’est-elle pas dissuasive ? Pour le porte-parole du gouvernement : «
d’autres pays connaissent la répression policière, ce n’est pas simplement au
Tchad. Mais quand c’est une volonté qui vient du plus profond du peuple, personne
ne peut s’y opposer. »
Pour Abderaman Koulamallah, le processus de transition n’est
« absolument pas » mis en danger et « il continuera ». Et de préciser que les
manifestants sont « nos enfants, nous ferons en sorte qu’ils retrouvent les
autres acteurs politiques pour qu’ensemble nous construisions un Tchad nouveau
où tout le monde sera à l’aise ».
Gouvernement d’union
déséquilibré
Pour les nouvelles autorités David, la transition est donc
en marche. Le gouvernement de transition promis par le Conseil militaire a
d’ailleurs été nommé rapidement, il y a dix jours. Il est présenté comme un
gouvernement « d’union », même s’il est à une écrasante majorité constitué de
ministres, et de fils de ministres, déjà en poste sous Idriss Déby, de membres
de son parti le MPS, ou de partis alliés, de membres de sa communauté, les
Zaghawa — une donnée importante dans ce pays où l’appartenance communautaire
est un enjeu de pouvoir.
Opposition de
l’intérieur et marge de manœuvre
Certains partis d’opposition ont cependant choisi de jouer
le jeu de la transition et de l’union. Celui de l’opposant historique Saleh
Kebzabo, qui compte deux représentants dans la nouvelle équipe, et celui de
Mahamat Ahmat Alhabo, qui est personnellement entré au gouvernement, comme
ministre de la Justice, notamment. Mahamat Ahmat Alhabo a d’ailleurs déjà
prouvé — sur les ondes de RFI ou lors de son discours de prise de fonction
comme nouveau garde des Sceaux — qu’il comptait y conserver une certaine
liberté de parole.
Mais au-delà des paroles, beaucoup s’interrogent sur la
future marge de manœuvre de ces opposants de l’intérieur. Le nouveau garde des
Sceaux plaide par exemple pour un gouvernement de transition qui ne durerait
que quelques mois, le temps d’organiser le dialogue national promis. Ce n’est
pas le point de vue des caciques de l’ancien régime.
Les questions de la participation des groupes armés rebelles
à ce dialogue, de la durée totale de la période de transition, avant
l’organisation des prochaines élections, sont aussi polémiques. La charte de
transition proposée par les militaires du CMT prévoit dix-huit mois
renouvelables : un délai que certains veulent impérativement respecter, quand
d’autres le jugent déjà intenable.
Les opposants les
plus virulents
D’autres opposants ont quant à eux fait le choix de ne pas
rallier la nouvelle équipe. C’est notamment le cas de Succès Masra, du parti
les Transformateurs. De tous les opposants politiques, il est sans conteste le
plus virulent. Cet ancien de la Banque africaine de développement dispose d’une
base de militants importante, notamment chez les jeunes, sur laquelle il sait
pouvoir compter. Aussi promet-il de continuer le combat.
Surtout, c’est l’ensemble de la coordination citoyenne Wakit
Tama qui a appelé mardi à une nouvelle journée de mobilisation, le 19 mai.
Maître Max Loalngar, président de la Ligue tchadienne des droits de l'homme
(LTDH) et leader de Wakit Tama, assure que le mouvement ne s’essouffle pas.
« Au contraire, tous les jours il y a de nouvelles
structures Wakit Tama qui se mettent en place sur toute l’étendue du
territoire, assure-t-il. Nous sommes acculés, harcelés, parce que c’est la première
fois que nous avons un concept structuré. Par le passé, rappelle ce cadre de la
société civile tchadienne, ils nous ont divisés très facilement. Aujourd’hui,
il n’y a pas de problème. Le mouvement de contestation continuera jusqu’à ce
que nous ayons satisfaction : un dialogue inclusif et global, qui n’exclue
personne. Ni les politico-militaires, ni même les membres du CMT ! Il faut que
les fils et filles de ce pays s’assoient pour trouver les solutions idoines. »
La France et son «
rétropédalage de façade »
Enfin, en toile de fond, il y a le rôle de la France. La fin
de ce qui est perçu comme une ingérence française est au cœur des
revendications de la société civile tchadienne.
Paris a soutenu pendant plus de trente ans le régime
d’Idriss Déby et contribué, militairement, à son maintien. Après sa mort, Paris
a immédiatement adoubé le Conseil militaire de transition qui a pris le
pouvoir, au nom de la « stabilité » du pays.
Embarrassé après la répression sanglante des manifestations
du 27 avril, le président Emmanuel Macron a rectifié le tir, en prônant « une
transition pacifique, démocratique et inclusive » et en s’opposant à tout «
plan de succession ». C’était il y a deux semaines, depuis, silence radio.
Ce qu’en pense le Dr Remadji Hoinathy, chercheur à
l’Institut d’études et de sécurité ISS Africa, eh bien, c'est que ce
rétropédalage n’en est pas vraiment un. « Cette nuance tient simplement du
langage politique, estime le chercheur, la France est avec le CMT dans l’agenda
qui est en train de se dérouler. Dans le temps, on avait vu une France qui sur
le plan de la défense était très active sur le terrain aux côtés de l’armée
tchadienne [pour maintenir en place Idriss Déby Itno face aux rébellions
armées, ndlr]. Aujourd’hui, ce qui est officiellement reconnu, c’est un soutien
tactique et informationnel, dans la guerre sur le terrain », face aux rebelles
du Fact dans le nord du pays.
Soutien militaire et
diplomatique
Outre ce soutien militaire, le Dr Remadji Hoinathy pointe le
soutien diplomatique de la France : « un pays comme le Tchad, sur le plan
budgétaire et financier, dépend beaucoup de la communauté internationale. Si la
France est engagée aux côtés du CMT pour que la transition se fasse, la France
va aussi s’engager sur le plan diplomatique et obtenir les soutiens qu’il faut
pour ce CMT au niveau international. »
À présent, les Tchadiens attendent la composition du futur
Conseil national de transition, qui fera office de Parlement, et qui sera
composé de 93 membres. Et la décision de l’Union africaine, sur d’éventuelles
sanctions contre le régime tchadien, reportée — pour la troisième fois — au
vendredi 14 mai.
Source RFI