Écrivain, militant, défenseur des droits, très critique avec Alpha Condé comme avec les anciens régimes militaires, Tierno Monénembo est notre invité ce matin. En 2009, l'intellectuel guinéen titrait une tribune : « La Guinée, 50 ans d'indépendance et d'enfer ». Satisfait de la chute de l'ex-président Condé, depuis Conakry, Tierno Monénembo se dit vigilant suite au coup d'État et attend du nouvel homme fort de la Guinée, le lieutenant-colonel Doumbouya, des décisions pour mettre en place un véritable État. Il répond aux questions de Guillaume Thibault.
La chute d’Alpha
Condé a été soudaine, très rapide. Dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Tierno Monénembo : Je suis plutôt dans l’euphorie. Je suis
très satisfait de cette chute. Je l’espérais, puis c’est venu un peu
subitement. C’est une belle surprise. Dimanche, c’était une très belle journée.
Vous sentez aussi un
soulagement à Conakry et dans toute la Guinée ?
Oui, je le sens autour de moi, même dans mon quartier, les
gens sont soulagés, parce que ce régime était devenu absolument insupportable.
La répression avait atteint son paroxysme. L’injustice sociale est flagrante.
L’impasse institutionnelle était telle qu’on ne savait plus à quel saint se
vouer. Il fallait vraiment quelqu’un pour débloquer la situation.
Alpha Condé a été
arrêté. Nombre de présidents déchus ont quitté leur pays suite à des coups
d’État. L’ex-président Alpha Condé doit répondre de ses actes d’après vous ?
Il ne faut pas faire subir à Alpha Condé ce qu’il a fait
subir à ses opposants et à ses détenus. Il faut respecter sa vie, il faut
respecter sa dignité et son honneur, mais il faut qu’il passe devant un
tribunal, un véritable tribunal. Il faut qu’il s’explique sur sa gestion, il
faut qu’il s’explique sur la répression sauvage qui a causé des centaines et
des centaines de morts depuis qu’il est au pouvoir.
Alpha Condé est resté
plus de dix ans à la tête de la Guinée. Vous avez dans le fond le sentiment
d’un immense gâchis ?
Oui, un immense gâchis, d’abord pour lui-même. Que cet homme
finisse là, vous avez vu ces images qui ont circulé sur la place, sur les
télévisions du monde entier. C’est une espèce de certificat de décès politique.
C’est quelque chose de terrible. Je ne souhaite cela à personne. Les militaires
ne sont pas les meilleures personnes en matière de défense des droits de
l’homme et de la démocratie
Les nouveaux
dirigeants de votre pays avec à leur tête, le lieutenant-colonel Mamady
Doumbouya sont donc des militaires. Vous avez confiance en eux ?
Malheureusement, depuis dimanche 5 septembre, la réalité en
Guinée est militaire. Il faut faire avec. On n’y peut rien. Les militaires ne
sont pas les meilleures personnes en matière de défense des droits de l’homme
et de la démocratie. Ce ne sont pas les mieux indiqués pour gérer les finances
publiques. On est obligé de prendre acte. Il ne faut pas se faire d’illusion.
Et quand j’entends sur les radios que la situation en Guinée est confuse, elle
n’a pas été confuse du tout. Il y a eu un coup d’État dimanche dernier et les
militaires sont bel et bien au pouvoir. Et le lieutenant-colonel Mamady
Doumbouya a le pouvoir en Guinée. L’armée lui a fait allégeance. Lui et tous
les militaires d’ailleurs aujourd’hui sont applaudis dans les rues de Conakry.
Que nous réserve l’avenir, pour l’instant, on ne sait pas. Mais, pour
l’instant, ces militaires sont là, ils sont populaires pour l’instant.
On entre dans une
phase de transition, quel regard vous avez dans cette phase de transition ?
Comment reconstruire ?
Je regarde tout cela avec beaucoup d’inquiétude. Bien
évidemment, les transitions en Afrique n’ont pas toujours été heureuses. Mais,
on est obligé d’espérer. Les Guinéens sont obligés d’espérer. Ce pays fait du
sur place depuis 1958. On espère que le lieutenant-colonel sera bien moins pire
qu’Alpha Condé. Nous espérons, nous souhaitons vivement une transition brève et
intelligente. Cette transition ne peut pas se faire sans la société civile,
sans les partis politiques. Il ne faut pas tout laisser aux militaires, parce
que ce pays est dans l’impasse la plus totale. Il faut sortir le pays de «
l’ornière ». Je reprends l’expression du lieutenant-colonel lui-même : « Il est
temps que tout le monde s’y mette pour sortir la voiture Guinée de l’ornière
». C’est le moment de le faire, parce
qu’après, ce sera trop tard. Le pays va disparaître définitivement.
Les militaires tout seuls ne pourront rien faire. Il faut
tout le monde.
Si vous étiez face au lieutenant-colonel
Mamady Doumbouya, que lui diriez-vous ?
Je lui dirais de négocier, de discuter avec toutes les
forces vives de la nation, avec les partis politiques, avec les syndicats, avec
la société civile, avec les forces religieuses et ne prendre aucune décision
déterminante avant d’avoir fait le tour du débat avec toutes les forces vives de
la nation. Moi, je souhaite un gouvernement où le président serait civil, le
Premier ministre aussi, le ministre de la Défense nationale serait militaire,
les gouverneurs des différentes régions seraient militaires, le préfet serait
civil, etc. Les militaires tout seuls ne pourront rien faire. Il faut tout le
monde. Si jamais, le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya arrive à réussir cela,
il sera une des grandes figures de notre histoire. Mais s’il veut imiter Sékou
Touré ou Lansana Conté ou Dadis Camara ou Sékouba Konaté ou Alpha Condé
[anciens présidents guinéens ndlr], il va finir comme eux, dans la boue.
Le lieutenant-colonel
Mamady Doumbouya s’est adressé directement aux industries minières. Il les a
appelées à poursuivre leurs activités, à investir de nouveau. C’est une posture
qui vous étonne ou qui va dans le bon sens, d’après vous ?
Je ne sais pas si elle va dans le bon sens. Il veut
rassurer. Ce sont ces compagnies minières-là finalement qui ont mis Alpha Condé
au pouvoir. Alpha Condé a cédé des parcelles entières de bauxite aux compagnies
chinoises. Donc, ce lieutenant-colonel est obligé de rassurer les compagnies
étrangères, notamment chinoises ou russes, américaines et autres pour se
protéger un peu.
Sous le régime
d’Alpha Condé, la liberté de parole, la liberté d’expression, la liberté de
manifester ont été durement mises à mal. Est-ce que c’est une des priorités,
rétablir ces libertés ?
Absolument, rétablir les libertés et surtout rétablir un
système. Heureusement que le lieutenant-colonel a parlé d’absence de système,
je comprends par-là d’absence d’État au sens véritable du terme, d’absence
d’institutions, d’absence d’une véritable armée, d’absence d’une police, d’une
véritable administration, d’un véritable corps diplomatique, etc. Tout cela
manque. On en est là. Il faut sortir de ça et créer un véritable État guinéen.
S’il réussit à le faire, alors là, je l’applaudis.
Source : RFI