« En Sierra Leone, je n’ai plus de famille, ici je n’ai nulle part où aller, s’il vous plaît aidez-nous », implore Natasha, les larmes aux yeux, devant les bureaux de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Tunis.
Elle est venue ces derniers jours grossir les rangs de
dizaines de migrants subsahariens en situation irrégulière qui errent depuis
des mois entre les bureaux du HCR (Haut-commissariat aux réfugiés) et ceux de
l’OIM, dans l’élégant quartier du Lac à Tunis.
Leur situation s’est davantage précarisée après un discours
le 21 février du président tunisien Kais Saied appelant à des « mesures
urgentes » contre les migrants clandestins d’Afrique subsaharienne qui sont
selon lui source de « violence et de crimes » et une menace pour l’identité
arabo-musulmane du pays, malgré leur faible nombre selon les chiffres
officiels.
« On m’a jeté hors de mon logement il y a deux semaines, on
a frappé mes amies. Ici nous souffrons beaucoup, on dort à même le sol, on ne
peut pas se laver », dit la jeune femme de 27 ans, en montrant un monticule de
couvertures et vêtements.
Beaucoup comme Natasha sont de Sierra Leone, d’autres de
Guinée Conakry, du Cameroun, du Tchad ou du Soudan. Arrivés illégalement,
souvent ces derniers mois, ils se sont retrouvés d’un jour à l’autre privés des
petits boulots avec lesquels ils survivaient, et à la rue.
« Sauver ma vie »
Moumin Sow, 29 ans, a fui Sfax (centre-est), où il
travaillait comme barman depuis deux ans : « des bandits tunisiens sont entrés
chez nous et nous ont tout pris. Regardez-moi je n’ai que les habits que je
porte. Je n’ai rien à part mon téléphone ». Ecœuré, il veut rentrer au Mali : «
je suis parti parce que je voulais sauver ma vie. Je ne peux pas rester avec
toutes les choses que je vois ici ».
Depuis le discours présidentiel, des centaines de
Subsahariens se sont inscrits dans leurs ambassades sur des listes de
rapatriement. Dernière en date, l’ambassade du Gabon a ouvert les recensements
face à la « crise identitaire » en Tunisie.
Un premier vol retour de 50 personnes a été organisé par la
Guinée mercredi, d’autres sont prévus par la Côte d’Ivoire qui compte plus de
800 inscrits, et un vol pour 150 personnes est programmé par Bamako pour
samedi, selon un diplomate malien.
Abris de fortune, brasero improvisé avec un tronc d’arbre et
linge qui sèche sur un fil entre deux maigres arbustes, l’impasse juste devant
la porte de l’OIM s’est transformée en campement.
Des employés sortent pour recenser les migrants qui affluent
et leur fixer des rendez-vous pour qu’ils exposent leur situation.
« On est débordés, on ne peut pas leur trouver un
hébergement à tous, certains veulent bénéficier de nos programmes de retour
volontaire (avec aide à la réinstallation) », glisse anonymement à l’AFP une
responsable par téléphone.
C’est le cas de Diallo Issiagha, un Guinéen de 24 ans : « je
suis arrivé il y a un mois et me suis retrouvé dans cette crise, c’est trop
dur, on te met dehors, tu ne peux pas travailler, mais je ne peux pas repartir
sans rien ».
Des aides en cachette
Natasha et ses amies excluent de retourner en Sierra Leone.
« J’ai emprunté l’argent pour venir, je veux aller ailleurs, en Europe ou
n’importe où, mais pas rester ici. Que le monde nous vienne en aide », lance la
jeune femme arrivée il y a deux mois.
A la nuit tombée, des bénévoles tunisiens et étrangers
apportent de la nourriture, de l’eau, des couvertures, quelques tentes,
collectés par des associations tandis que de jeunes médecins prodiguent des
soins.
« Nous préférons être discrets », confie à l’AFP Seif
Ghrairi, du Front anti-fasciste, un collectif qui s’est formé après le discours
du président Saied. Selon lui « des associations qui collectaient des dons ont
fait l’objet de menaces ».
Les bénévoles préfèrent « faire la distribution le soir, de
façon clandestine, pour ne pas nous exposer à des dangers ni les Subsahariens
», ajoute-t-il, déplorant « une campagne raciste contre la peau noire ».
Il demande aux autorités de garantir un minimum de droits aux
migrants subsahariens : « on exige le respect de la dignité humaine, le respect
du choix des personnes, il ne peut pas y avoir de rapatriements forcés ».
« Comme on exige le respect du droit des Tunisiens partis de
manière irrégulière en Europe, on exige le respect des droits des Subsahariens
en Tunisie », ajoute-t-il.
Agence France Presse
(AFP)