L’Union Européenne vient de brandir des sanctions à l’encontre de cinq
membres de l’ancienne junte dont son chef le capitaine Moussa Dadis Camara, en
exil forcé au Burkina Faso. Ces putschistes sont frappés d’interdiction de
voyager dans l’espace Schengen et leurs avoirs confisqués pour leur inculpation
dans le dossier relatif au massacre du 28 septembre 2009. L’UE sous la pression
de députés européens acquis à la cause des victimes de tueries et autres
violations des droits humains n’entend pas s’arrêter en si bon chemin dans son
régime de sanctions. Une liste de 25 autres personnalités civilo-militaires
serait entre les mains de Bruxelles pour examen, en vue de sceller leur sort, si
jamais elles avaient joué un rôle quelconque dans la répression qui s’est
abattue sur les opposants, lors des joutes électorales de 2020.
Des sanctions ciblées
Ils sont 5 personnalités de la junte -qui s’est
emparée du pouvoir au lendemain de la disparition du général Lansana Conté- à être frappées d’interdiction d’entrée en
territoire de l’Union européenne et à voir leurs avoirs gelés. Mais il se peut
que l’UE ne s’arrête pas en si bon chemin, vu qu’une trentaine de députés du
parlement européen souhaitent depuis le 8 avril 2021 que des sanctions plus
exemplaires soient prises à l’encontre de 25 responsables de l’administration
guinéenne, pour motif de violations des droits de l’Homme.
Suite au massacre à Conakry
d’environ 156 civiles, le 28 septembre 2009, des manifestants politiques réunis
au stade éponyme par la junte au pouvoir, les membres de l’Union Européenne ont
adopté le 27 octobre 2009 une position commune concernant des mesures restrictives
à l’encontre de la République de Guinée, telle que modifiée par la décision
2009/1003/PESC du conseil du 22 décembre 2009.
Cette position commune prévoit
certaines mesures restrictives à l’encontre du Conseil National pour la
Démocratie et le Développement (CNDD) et des personnes qui leur sont associées,
responsables de la répression violente du 28 septembre 2009 ou de l’impasse
politique dans laquelle se trouve le pays.
Ces mesures prévoient le gel des
fonds des ressources économiques des personnes physiques ou morales, des
entités et des organismes énumérés ainsi que l’interdiction de fournir une
assistance technique et financière et d’autres services liés à des équipements
militaires, ou toute personne physique ou morale, entité ou organisme en
République de Guinée ou aux fins d’une utilisation dans ce pays. Les mesures
comprennent en outre une interdiction de la vente et de la fourniture à la
République Guinée, ainsi que du transfert et l’exportation à destination de ce
pays d’équipement d’équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de
répression interne.
Ce massacre avait tellement
choqué et ému le monde entier que c’est le Secrétaire général des Nations Unies
de l’époque, M. Ban Ki-moon qui avait demandé la mise en place d’une commission
d’enquête de son institution pour rétablir les faits ?
Dans une lettre du 28 octobre
2009, le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon a informé les
membres du conseil de sécurité de sa décision d’instituer une commission
d’enquête internationale chargée d’établir les faits et les déterminer la
nature des crimes commis, d’établir des responsabilités, d’identifier les
auteurs dans la mesure du possible et de faire des recommandations.
La commission d’enquête fut ainsi
en mesure de confirmer l’identité de 156 personnes tuées ou disparues, soit 67
personnes tuées et dont les corps ont été réémis aux familles, 40 autres qui
ont été vues mortes au stade ou dans des les morgues mais dont les corps ont
disparu, ainsi que 48 autres vues au stade dont le sort reste inconnu.
La commission d’enquête des
Nations Unies confirme qu’au moins 109 femmes ont été victimes de viols et
d’autres violences sexuelles, y compris de mutilations sexuelles et d’esclavage
sexuel. Plusieurs femmes ont succombé à leurs blessures suite à ces agressions
sexuelles particulièrement cruelles.
L’enquête confirme également des
centaines d’autres cas de torture ou de traitements cruels, inhumains ou
dégradants. Des dizaines de personnes ont été arrêtées et détenues
arbitrairement dans les camps militaires d’Alpha Yaya Diallo et de Koundara
ainsi qu’à la caserne de la police anti-émeute (CMIS) où elles ont été
torturées. Les forces de sécurité ont aussi systématiquement dépouillé les
manifestants de leurs biens et commis des actes de pillage.
Dissimulation de preuves
La commission d’enquête estime
que, lors des exactions du 28 septembre et des jours suivants, les autorités
guinéennes se sont engagées dans une logique de destruction des traces des
violations commises, qui vise à dissimuler les faits : nettoyage du stade,
enlèvement des corps des victimes d’exécution, enterrement dans des fosses
communes, privation de soins médicaux aux victimes, altération intentionnelle
des documents médicaux et prise de contrôle militaire sur les hôpitaux et
morgues. Cette opération a eu pour résultat d’instaurer un climat de peur et
d’insécurité au sein de la population. Par conséquent, la commission considère
que le nombre de victimes de toutes ces violations est très probablement plus
élevé.
Selon le rapport de la commission
d’enquête internationale sur la Guinée mise en place par les Nations Unies, les
manifestants qui étaient au stade le 28 septembre ont été frappés avec des
matraques en bois et des crosses de fusils, poignardés, tués par des balles
tirées à bout portant-souvent dans le dos- et à l’aide d’armes automatiques.
Les femmes ont été victimes de viols collectifs souvent perpétrés à l’aide
d’objets, dans des lieux publics, tous ces actes étant commis en moins de deux
heures, principalement en un seul endroit, au vu et au su de tous ceux qui
étaient présents.
En réponse à cette violente
répression des forces de sécurité contre les manifestants politiques, des
mesures restrictives ciblées ont été introduites pour la première fois le 27
octobre 2009 contre 71 guinéens parmi lesquels des membres du CNDD, des hommes
d’affaires, un ancien directeur général de la RTG et des soutiens au mouvement
« Dadis doit rester ».
Qu’en est-il des mesures prises à leur encontre ?
Ces mesures comprenaient un
embargo sur les armes, un gel des avoirs et une interdiction de voyager contre
les membres du gouvernement. Le 25 octobre 2010, le Conseil de l’UE a introduit
des mesures restrictives supplémentaires compte tenu de la gravité de la
situation en République de Guinée cette fois-ci contre 67 personnes (soit 4
retraits à savoir :), interdisant la fourniture d’équipements susceptibles
d’être utilisés à des fins de répression interne.
Et compte tenu de l’évolution
positive dans le pays, les restrictions ont été assouplies le 14 avril 2014 et
l’embargo sur les armes et sur le matériel pouvant être utilisé à des fins de
répression interne a été levé.
Force est de constater que depuis
2011, des centaines de guinéens ont continué à être fauchés par des balles que
seuls les agents de force de sécurité et de défense sont sensés en avoir
possession. Elles sont nombreuses les organisations non gouvernementales comme
Human Right Watch et Amnesty International à exercer une sévère surveillance
documentée sur les violations présumées des droits de l’homme en Guinée.
Sensibles à la situation des
nouvelles victimes guinéennes, une trentaine des députés de l’Union européenne
ont saisi, le 8 avril 2021, le haut représentant de l’Union européenne pour les
affaires et la politique de la sécurité. Se faisant écho des violations des
droits humains ayant conduit à la mort de 99 personnes en lien avec le
processus électoral du 22 mars 2020, ces élus européens auraient déposé une
liste comportant 25 personnalités de la République devraient prochainement
subir la rigueur des lois européennes.
Ces députés n’entendent pas baisser… les bras !
Dans un article signé par deux
universitaires dont Catherine Maia, professeure de droit à l’Université
Lusófona de Porto et Ghislain Poissonnier, magistrat, paru en 2020 et intitulé
« MASSACRE DU 28 SEPTEMBRE 2009 : LA GUINÉE À L’ÉPREUVE DU PRINCIPE DE
COMPLÉMENTARITÉ », les auteurs disent que « le massacre du 28 septembre 2009 à
Conakry a connu un fort retentissement médiatique tant en Afrique de l’Ouest
que dans le monde, justifiant un intérêt particulier de la communauté
internationale et imposant une réponse judiciaire. Et que plus de dix ans après
ce massacre, alors que l’information judiciaire sur les faits est close et que
l’ouverture d’un procès en Guinée se fait toujours attendre, les inconnues
autour d’un futur jugement des responsables du massacre demeurent nombreuses.
Pour eux, la situation en Guinée constitue ainsi un test quant à la possibilité
de mettre en œuvre le principe de complémentarité selon lequel la Cour pénale
internationale n’intervient qu’en cas de manque de volonté ou de capacité d’un
État à juger les responsables de crimes internationaux ».
Egalement, ils rappellent que « le rapport démontrait que
la junte au pouvoir avait prémédité et lancé, le 28 septembre et les jours
suivants, des attaques meurtrières contre des cibles civiles en raison de leur
appartenance ethnique et/ou de leur affiliation politique présumées. Aussi, le
rapport estimait-il « raisonnable de conclure que les crimes perpétrés le 28
septembre 2009 et les jours suivants peuvent être qualifiés de crimes contre
l’humanité. Ces crimes s’inscrivent dans le cadre d’une attaque généralisée et
systématique lancée par la garde présidentielle, des gendarmes chargés de la
lutte anti-drogue et du grand banditisme et des miliciens, entre autres, contre
la population civile. La Commission conclut aussi qu’il existe des raisons
suffisantes de présumer une responsabilité pénale de certaines personnes
nommées dans le rapport, soit directement soit en tant que chef militaire ou
supérieur hiérarchique ». C’est le cas,
en particulier, « du président et numéro 1 du CNDD, le capitaine Moussa Dadis
Camara, de son aide de camp et chef de la garde présidentielle, le lieutenant
Aboubacar Sidiki Diakité (dit Toumba) et du ministre chargé des services
spéciaux, de la lutte anti-drogue et du grand banditisme, le commandant Moussa
Tiégboro Camara ».
La Commission a identifié enfin,
ceux dont l’implication présumée les désigne comme devant faire l’objet d’une
enquête plus approfondie. Sont concernés l’aide de camp du lieutenant Toumba,
le sous-lieutenant Marcel Guilavogui, le chauffeur du président, le
sous-officier Sankara Kaba, le ministre de la Défense, le général Sékouba
Konaté, et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, le
général Mamadouba Toto Camara. Il s’agit également du ministre de la Jeunesse
et des Sports, Fodéba Isto Keira, du directeur du stade du 28 septembre,
Ibrahima Sory Keïta (dit Petit Sory), et de la directrice de l’hôpital Donka,
Fatou Sikhe Camara ».
Dossier d’enquête FIM FM