Dans un communiqué commun, quinze pays occidentaux dont le Canada, la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne, condamnent le déploiement de mercenaires de la société russe Wagner au Mali. Ce rapprochement avec les autorités de Bamako, confirmé par des sources à RFI, pourrait rebattre les cartes de l'engagement de nombreux pays. Il fait réagir à Bamako aussi.
Rumeurs, ou réalité ? Ce jeudi 23 décembre à Bamako,
l'affirmation de la présence de la société russe Wagner au Mali a surpris. Elle
pose même plus de questions qu'elle n'y répond, explique notre correspondant
dans la capitale, Kaourou Magasa.
Notamment aux yeux de Moussa Mara, ancien Premier ministre.
« Nous sommes dans le brouillard, explique-t-il. Aujourd'hui, les Maliens de
manière générale, et particulièrement je pense la classe politique, nous
apprenons ces informations par des communiqués de nos partenaires
traditionnels. Maintenant, il faut que nos autorités soient claires sur leurs
intentions et qu'elles interagissent avec le peuple au nom duquel elles sont en
train d'agir et de prendre des décisions. »
Des fonds publics
pour des mercenaires
Jeudi, quinze pays occidentaux ont donc dénoncé d'une même
voix, sans beaucoup plus de détails, le déploiement de mercenaires russes de
cette société paramilitaire au Mali : Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne,
Estonie, France, Italie, Lituanie, Norvège, Pays-Bas, Portugal, République
tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Suède, ainsi que le Canada, hors Europe.
Dans un communiqué commun, tous ces partenaires
internationaux de Bamako, impliqués directement ou indirectement dans la lutte
anti-jihadiste du pays, dénoncent l'implication du gouvernement russe dans la
fourniture d'un soutien matériel au déploiement du groupe Wagner. La France est
en cours de redéploiement de l'opération Barkhane ; d'autres pays participent à
la force Takouba, ou contribuent aux financements.
Pour le gouvernement malien, aucun contrat n'a cependant été
signé dans ce sens. Et pourtant, ces 14 États européens et le Canada regrettent
« la décision d'utiliser des fonds publics pour rétribuer des mercenaires
étrangers au lieu de soutenir les forces armées maliennes et les services
publics ».
Cette prise de position, Adama Diarra, membre du Conseil
national de transition et partisan de longue date d'un retrait français, la
fustige : « Nous pensons, dit-il, que la priorité des priorités, c'est d'abord
la sécurité, donc aucun montant, aucun milliard, ne saurait prévaloir l'âme des
Maliens. »
Présents depuis le 22
novembre dernier
Le gouvernement malien n'a donc pas encore reconnu
officiellement la présence des mercenaires du groupe militaire privé russe sur
son sol. Jusqu'à peu, la présence de la société Wagner se limitait à quelques
géologues russes venus estimer les gisements aurifères du pays.
La Wagner réclamerait à la junte malienne cent millions
d'euros par an pour intervenir. Elle a aussi pour habitude de se payer en
nature, avec l'or par exemple. La somme de 10 millions d'euros mensuels ainsi
que la gestion de certains sites miniers sont ainsi avancées par plusieurs
analystes pour la venue du groupe au Mali.
Selon nos informations, les premiers mercenaires de Wagner
sont arrivés le 22 novembre dernier. Alors que les quinze pays signataires du
communiqué commun dénoncent le choix des autorités maliennes d'utiliser les
maigres ressources du pays pour rémunérer ces mercenaires, la source
gouvernementale française assure que des géologues russes liés à Wagner sont
bien sur place, comme en Centrafrique. Mais depuis quelques jours, les choses
s'accélèrent.
« Le Mali est un pays
souverain »
Difficile pour le moment de dire combien sont déjà sur le
sol malien, explique Esdras Ndikumana, du service Afrique de RFI. Cependant,
les preuves sont nombreuses, selon une source gouvernementale française. Il est
question d'un camp, fait de tentes et d'Algeco et pouvant accueillir un chiffre
significatif de mercenaires. Il vient d'être installé en toute urgence à
l'aéroport de Bamako.
Pour l'heure, aucun chiffre précis n'est avancé, mais dans l'entourage
du gouvernement français, on estime que c'est le signe d'un déploiement
imminent de la Wagner. Des rotations d'avions de transport militaire russes,
volontairement discrètes, ont d'ailleurs été observées, rapporte Franck
Alexandre, spécialiste défense à RFI.
Une source proche du gouvernement malien confirmé à RFI « la
présence de hauts cadres de Wagner à Bamako depuis le 22 novembre dernier ». «
Ils ont déjà créé et enregistré une société minière avec l'aide de (ces)
géologues russes », précise-t-elle.
Du côté des officiels maliens, encore une fois, on n'a voulu
pour l'heure ni confirmer, ni infirmer ces informations. Une source rappelle
que « le Mali est un pays souverain », avant de reconnaître que « des
précurseurs de Wagner sont à Senou ».
La ligne rouge de la
France au Mali
Malgré toutes les mises en garde répétées, les menaces de
retrait de troupes étrangères ou d'aide financière n'y ont ainsi rien fait : la
junte militaire n'a pas reculé. Une situation hybride, un scénario identique à
celui qui s'est joué en République centrafricaine, semble se mettre en place à
Bamako. Cette partie de poker menteur pourrait se solder par l'officialisation
de la présence russe au Mali.
La ligne rouge fixée par la France et ses partenaires serait
par conséquent franchie. Ce serait alors un saut dans l'inconnu. Les
signataires ne menacent pas Bamako d'un départ des forces étrangères, mais
jusqu'ici, Paris, en première ligne dans la lutte anti-terroriste avec
l’opération Barkhane, prévenait que l'arrivée sur le sol malien des
paramilitaires serait incompatible avec le maintien des forces françaises
déployées au Mali pour lutter contre les groupes jihadistes.
La diplomatie russe
fait évoluer son discours sur le groupe Wagner
Longtemps la Russie n’a pas réagi aux mises en cause du
groupe Wagner ou alors avec cette seule réponse : « les sociétés paramilitaires
sont interdites par le code pénal russe », rapporte notre correspondante à
Moscou, Anissa El Jabri. Désormais, Moscou reconnait leur existence, mais les
désignent comme des acteurs indépendants. « Ces sociétés ne représentent pas
les intérêts de l’État russe », disait Vladimir Poutine en octobre dernier. Jamais
un mot à Moscou sur cette présence géographique qui coïncide avec les intérêts
stratégiques et économiques de la Russie.
Les entreprises militaires privées ne sont pas contrôlées
par les autorités. Cette ligne, la diplomatie russe l’a encore répété il y a
dix jours dans un communiqué. Le ministère des Affaires étrangères a critiqué «
l’hystérie occidentale », après l’annonce de sanctions européennes contre le
groupe paramilitaire et trois autres sociétés qui lui sont liées.
Ce courrier a aussi été rendu public après la conférence de
presse fleuve de Vladimir Poutine ce jeudi. Le président russe s’y est
concentré sur un seul dossier à l’international, la confrontation avec les
Occidentaux en Europe et le futur tête-à-tête Russie-États-Unis en janvier
prochain.
Avec RFI