Le gouvernement de transition vient de procéder à l’arrêt des activités du projet Simandou. Cette décision, perçue dans le monde minier comme un véritable coup de Trafalgar, serait motivée par le non-respect de la feuille de route élaborée par la junte, pour la mise en route de cette exploitation de cette mine de fer située en Guinée forestière. Pour justifier cette mesure qui pourrait être lourde de conséquence, la partie guinéenne fait dans la défausse, en accusant les sociétés Winning Consortium Simandou et Simfer/Rio Tinto de manquer de bonne foi dans le respect de leurs engagements relatifs au co-développement des infrastructures ferroviaires et portuaires du projet Simandou. Il faut toutefois mettre un bémol à cette décision crève-cœur, vu que l’Etat guinéen laisse la porte ouverte à d’éventuels conciliabules, en vue de relancer le projet. Nous avons tenté de comprendre les implications de cette décision courageuse de la junte, à travers notre desk enquête.
Akoumba rappelle ici ce qui a prévalu à cet arrêt du projet
Simandou et les conséquences de coup de Trafalgar sur l’avenir du secteur
minier guinéen.
Le Projet Simandou
est finalement arrêté. Akoumba Diallo a parcouru la correspondance adressée aux
sociétés Winning Consortium Simandou et Simfer/Rio Tinto pour justifier cette
décision. Que peut-on en dire ?
C’est à travers une correspondance signée le dimanche 3
juillet 2022 par le ministre des Mines et de la géologie, à l’endroit des
directions générales de Winning Consortium Simandou et Simfer/Rio Tinto, le
gouvernement a instruit l’arrêt des activités de développement du projet
Simandou. Parce que l’État guinéen dit avoir constaté avec regret, le manque de
volonté manifeste de la part des deux sociétés, chargées de valoriser ces blocs
de minerai de fer, de favoriser un partenariat gagnant-gagnant, indispensable
au co-développement, tel que consacré par l’Accord cadre du 25 mars 2022.
Le gouvernement
rejette-t-il l’entière responsabilité de cette suspension sur les deux
entreprises minières ?
Pour le gouvernement, l’inertie entretenue autour de la
formulation des modalités de la participation de l’État, dans le capital social
de la co-entreprise compromet dangereusement la mise en œuvre effective du
projet Simandou, dans l’intérêt de toutes les parties. Selon le ministre Moussa
Magassouba, malgré les larges concessions que l’État guinéen a bien voulu
concéder, force est de constater que le blocage continue d’être entretenu au
détriment du projet.
En conséquence et tenant compte du fait que le délai
supplémentaire de 14 jours d’ultimatum octroyé n’a pas été mis à profit, le
gouvernement ordonne « l’arrêt immédiat de toutes les activités relatives au
projet Simandou, sur toute l’étendue du territoire national à compter de ce
lundi 4 juillet 2022 à 8h00.
Pour autant, le
gouvernement guinéen ne ferme pas les portes à ses partenaires concernés par
cette mesure. N’est-ce pas le contenu de ce courrier ?
C’est ce que laisse transparaître la correspondance, qui
souligne que si les autorités administratives compétentes ont été instruites
d’appliquer strictement la présente décision, le comité stratégique du projet
Simandou, reste disposé à échanger en vue de la conclusion des statuts de la
co-entreprise. Il faut rappeler que c’est à travers le ministre directeur de
cabinet de la Présidence de la République que le gouvernement a décidé «
d’arrêter le projet de minerai de fer de Simandou » pour manque de « conformité
des propositions des partenaires internationaux concernant le co-développement
des infrastructures ferroviaires et portuaires du projet Simandou ».
C’est quoi ces
propositions qui ne seraient pas conformes aux règles fixées par les parties ?
Il s’agit de propositions de mise en œuvre adressées par
Madame Xiaobei (Winning Consortium Simandou) et Monsieur Moussarie (Rio Tinto)
et qui avaient été transmises à la présidence de la République par 3 courriers
conjointement au bénéfice de Rio Tinto et Winning Consortium Simandou, signés
successivement le 12 mai 2022, le 31 mai et le 4 juin.
Les documents consultés par l’enquête indiquent que la
correspondance du 12 mai était celle qui a transmis à la Guinée, et qui
contient « la proposition de structure de la co-entreprise pour les
infrastructures ferroviaires et portuaires du projet Simandou, ainsi que les
termes du partenariat proposé pour la mise en œuvre de l’accord cadre du 25
mars 2022 entre l’État et les partenaires internationaux ».
Qu’en est-il des
autres courriers ?
Les correspondances du 31 mai et du 4 juin 2022 avaient été
celles par lesquelles Rio Tinto et Winning Consortium Simandou, ont transmis à
l’État, « les documents additionnels concernant les termes du partenariat (documents
contractuels du projet) sur la mise en œuvre de l’accord cadre ».
Quelle fut la
réaction de la partie guinéenne à ces propositions ?
Dans la lettre réponse du comité stratégique signé de Djiba
Diakité, le président du comité stratégique de Simandou, à l’endroit des
partenaires internationaux, on peut lire ceci : « …nous remercions vos conseils
juridiques internationaux respectifs pour leur disponibilité et les
explications claires données à notre conseil juridique international au cours
des réunions du 8 et 9 juin 2022 à Dubaï. Ces deux jours de réunion ont permis
à vos conseils juridiques internationaux d’apporter plus de lumières sur les
documents contractuels du projet et la structure proposée par les partenaires
internationaux pour mettre en œuvre le co-développement prévu aux termes de
l’accord cadre ».
Cette lettre informe en même temps que « le comité
stratégique du projet sous l’autorité directe du président Mamadi Doumbouya,
les équipes techniques dédiées au projet ainsi que le conseil juridique
international de la Guinée, ont procédé au cours des derniers jours à une revue
attentive des documents contractuels du projet. Hélas, force est de constater
pour l’État que la structure et les termes proposé par les partenaires
internationaux s’éloignent substantiellement des termes et de l’esprit portant
très clairs de l’Accord Cadre ».
Et que cette situation est, « non seulement regrettable mais
surtout inacceptable pour la partie guinéenne. L’État déplore profondément que
les partenaires internationaux aient construit une architecture complexe qui
induit la signature par l’État des accords contractuels contraires à l’esprit
et aux termes de l’Accord Cadre ».
Que peut-on déduire
de la teneur de cette réponse de M. Djiba Diakité ?
Cette lettre experte fait comprendre que cette démarche est
d’autant plus dommageable au vu des efforts déployés par l’État pour établir
avec les partenaires internationaux, une relation de confiance indispensable à
un co-développent harmonieux et de types « gagnant-gagnant » dans les
infrastructures.
Par conséquent, la correspondance de Djiba Diakité, consultée
par l’enquête décide que « l’État rejette en bloc les documents contractuels du
projet Simandou, lesquels ne peuvent constituer un point de départ acceptable
des négociations entre l’État et les partenaires internationaux pour la mise en
œuvre de l’Accord Cadre ».
La junte invoque le
respect des principes, si ses partenaires veulent une poursuite des
négociations. Quels sont ces principes ?
Les principes sur lesquels l’État est prêt à discuter et
négocier tout accord, contrat ou convention visant à mettre en œuvre l’Accord
Cadre sont les 9 indiqués dans l’Accord Cadre lui-même sont les suivants : il
s’agit (1) de l’existence d’une co-entreprise de substance qui devra porter le
projet en toute phase de son développement et y jouer un rôle central. Ici il
s’agit d’une co-entreprise qui doit être une société de capitaux
substantiellement capitalisée dès le départ du projet (c’est-à-dire dès la
phase de construction) et ayant à sa disposition les moyens financiers,
techniques, humains et autres nécessaires pour construire, exploiter et
réaliser le projet selon le chronogramme convenu dans l’Accord Cadre.
Pour la présidence de la République, la co-entreprise doit
être une société anonyme de droit guinéen avec conseil d’administration,
disposant d’un capital social pour un montant minimum de GNF équivalent à $100
millions. La co-entreprise doit jouer un rôle central dans l’ensemble du
processus de construction et d’exploitation des infrastructures. Tous les
contrats de construction, exploitation, fourniture de biens et de services,
obtention de crédit et autres, ainsi que le processus de sélection des
contractants ou sous-traitants doivent être menés sous le contrôlées par la
co-entreprise. Toute dérogation à cette règle doit être justifiée et convenue
entre l’État et les partenaires internationaux.
C’est quoi cette
histoire de co-développement ?
En ce qui concerne le principe de co-développement (2), les
principes du co-développement entre l’État et les partenaires internationaux,
notamment en ce qui concerne la construction, l’exploitation, l’entretien, le
développement et réalisation des infrastructures. A cet effet, la co-entreprise
(ou, à défaut, l’État) doit être actionnaire dans toute entité désignée par la
co-entreprise pour agir comme exploitant ou opérateur des infrastructures. Par
ailleurs, l’État doit être présent aux côtés des partenaires internationaux
dans tous comités stratégiques d’exécution, de suivi ou de résolution de tous
problèmes liés au projet ou en rapport avec le co-développement et
l’utilisation des infrastructures.
C’est comme si l’Etat
voulait être regardant sur l’exploitation de nos ressources ?
L’Etat voudrait de manière non limitative être pleinement
impliqué dans tout comité, organisation ou structure ad hoc en charge de la
définition, de la mise œuvre et du suivi de toutes les questions liées au
projet et notamment celles afférentes aux aspects ; (i) environnementaux,
sociaux, de santé, de sécurité, de droit de l’homme, et développement durable
(y compris la définition des standards applicables au projet, leur audit, revue
et modification) ; (ii) à la lutte contre la corruption, le blanchiment
d’argent, le terrorisme et la criminalité financière ; (iii) de suivi des
travaux et autres activités liées à la construction et à l’exploitation des
infrastructures ; (iv) relatifs à l’utilisation multi-usagers et multi-services
des infrastructures, la politique d’accès des passagers, du fret et des autres
miniers aux infrastructures ; (v) portant sur les conditions tarifaires ; (vi)
de contenu local ; (vii) de budgétisation des coûts de construction et
d’exploitation ainsi que le suivi des dépenses du projet.
Vous faites aussi mention que l’État doit être également
étroitement associé à toute décision de la gouvernance en lien avec la
co-entreprise, et notamment à travers la présidence du conseil
d’administration, la participation au conseil d’administration de la
co-entreprise et aux assemblées générales d’actionnaires ?
Le gouvernement est intransigeant sur la gratuité des 15% de
participation (3) de l’État au capital social de la co-entreprise, une
participation non-dilutive et non contributive à tout moment. Et quant au
respect du chronogramme convenu (4) dans l’Accord Cadre demeure un point non
négociable pour l’État. En ce qui est l’utilisation multi-usagers et
multi-services (5), le gouvernement exige à ce que « tous les verrous
juridiques, tarifaires, commerciaux et techniques (notamment, en ce qui
concerne les contraintes techniques, technologiques et de capacité au port et
sur les chemins de fer) doivent être levés pour permettre une utilisation
multi-usagers et multi-services effective des infrastructures conformément à
l’Accord Cadre, tout en s’assurant bien entendu de la viabilité économique du
projet. Le droit d’accès prioritaire aux infrastructures conféré aux
partenaires internationaux ne peut être transformé en une quasi-exclusivité aux
seuls bénéfices desdits partenaires ».
Et ça le gouvernement est catégorique
là-dessus, n’est-ce pas ?
Tout à fait le gouvernement insiste en ces termes : « nous
rappelons au demeurant, que l’économie significative des coûts de construction
pour les partenaires internationaux résultant du co-développement des
infrastructures doit s’accompagner de la construction d’infrastructures ayant
une capacité bien supérieure à la capacité cumulée des deux projets existant
pris séparément (c’est-à-dire une capacité bien supérieure à 160 millions de
tonnes par an, représentant la capacité maximale des blocs 1 à 4). C’est à
cette condition qu’un accès effectif des infrastructures pourra être envisagé
au profit d’autres usagers, et par conséquent qu’une utilisation multi-usagers
et multi-services pourra être effective ».
Aussi, peut-on comprendre, le gouvernement a écouté et
accepté la demande des opérateurs économiques guinéens qui dénonçaient
l’exportation du bénéfice du contenu local (6) en décidant que les partenaires
internationaux ne peuvent ignorer que le contenu local est une question de la
plus haute importance pour l’État.
Pour finir, que
faut-il pour une éventuelle relance du projet Simandou ?
Le gouvernement tient pour cela à ce que la définition de la
politique de contenu local, sa mise en œuvre, les objectifs à atteindre par le
projet (au cours des phases de construction et d’exploitation), et la
contribution globale à l’économie nationale soient des sujets qui devront être
définis étroitement entre l’État et les partenaires internationaux. Notamment
(et de manière non limitative), le plan de contenu local doit aborder pour les
phases de constructions et d’exploitation des questions liées à (i) l’emploi de
la population guinéenne ; (ii) la participation des entreprises guinéennes
(pour lesquelles des paramètres spécifiques seront déterminés dans la
documentation juridique) dans les contrats de construction de fourniture
d’équipements, de biens et services, et d’exploitation ; (iii) la formation des
employés guinéens ; (iv) le transfert de connaissances et de technologie et en
particulier le programme à mettre en place pour permettre à court et moyen
termes-une « guinéanisation » effective des postes clefs de direction contrôle
et opération du projet. En conclusion, « l’État a pour ambition de faire de ce
projet un exemple réussi au niveau mondial en concerne la mise en œuvre du plan
du contenu local ».
Une enquête réalisée
par Aboubacar Akoumba Diallo