Le Ministère de la Justice et des Droits de l’Homme a suivi avec
intérêt la déclaration N0 003/AMG/2022 en date du 13 août 2022, largement
diffusée sur les réseaux sociaux et autres médias, et signé de Monsieur Mohamed
DIAWARA, Magistrat, prétextant avoir agi au nom et pour le compte de l’ensemble
des Magistrats de la République de Guinée.
Cette déclaration, qui est la
deuxième du genre à l’égard d’un Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, au
contenu plein de contrariétés, de contrevérités doublées d’une insuffisance
professionnelle avérée et de propos vexatoires, met en évidence qu’elle
n’engage nullement le corps de Magistrats au regard des valeurs de compétence,
d’intégrité, de courtoisie et, surtout, de probité morale et intellectuelle que
ladite corporation incarne dans son fondement.
Il importe de rappeler que le
Ministère de la Justice et des Droits de l’Homme ne saurait être la cause
d’affaissement des institutions judicaires pour lesquelles il continue à se
battre en vue d’assurer une véritable indépendance, ce qui n’exclut pas toute
possibilité de prendre des mesures idoines dans le cadre de la mise en œuvre de
la politique pénale du gouvernement basée sur la moralisation de la vie
publique, la lutte contre la criminalité, la délinquance financière et
économique de quelque origine que ce soit, dans les règles de l’art.
A la lecture de la déclaration
sus citée, les questions qui se posent sont les suivantes :
-En prétendant défendre les
citoyens, le président signataire de ladite déclaration veut-il transformer
l’association des Magistrats en une sorte de société civile ?
Au demeurant, c’est non au regard
des statuts de l’Association des Magistrats de Guinée dont les dispositions de
l’article 4 indiquent clairement les objectifs que sont :
Contribuer au respect par les
Magistrats de la déontologie judiciaire ;
Contribuer à la promotion des
libertés publiques,
Susciter l’esprit de recherches
et d’initiative chez ses membres et le goût de la libre discussion sur des
problèmes qui se posent à leur profession ;
Défendre les intérêts matériels
et moraux de ses membres tout en renforçant entre eux, l’esprit de
collaboration, de solidarité et de concorde ,
Enfin, favoriser la vulgarisation
du droit en collaboration avec toute association poursuivant le développement
des sciences juridiques.
-Au nom d’une prétendue défense
des valeurs, est-il normal pour un Magistrat de qualifier instinctif » et pour
motif « inavoué et subjectif » l’acte par lequel le Garde des Sceaux, Ministre
de la Justice et des Droits de l’Homme fait injonction, sur le fondement de
l’article 37 du code de procédure pénale, d’engager des poursuites judiciaires
contre un Magistrat sur la base d’un rapport d’audit établi de manière
contradictoire par l’Inspection Générale d’Etat ?
-N’est-ce pas une insuffisance
professionnelle que de faire la confusion notoire entre une autorité de
poursuite et celle en charge d’injonction aux fins de poursuite judiciaire
incarnée par le Garde des Sceaux (en sa double qualité de directeur de la
politique pénale du gouvernement et d’autorité sous la responsabilité de
laquelle sont placés les Magistrats du ministère public) ?
-Pour enjoindre les autorités en
charge des poursuites, le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Droit
de l’Homme est-il astreint au respect, comme le prétexte tant le déclarant, des
dispositions de l’article 34 de la loi organique L/054/CNT/2013 portant statuts
des Magistrats ?
-A quelle étape de la procédure
le privilège de juridiction peut-il être soulevé et à l’égard de qui (du
Ministre de la Justice et des autorités en charge de la poursuite)
-L’injonction aux fins de
poursuites judiciaires contre un Magistrat est-elle soumise au sceau de la
confidentialité au point d’empêcher le département en charge de la justice de
la rendre publique, via son site web, en respectant la présomption d’innocence
?
-Est-ce le premier cas
d’injonction de poursuite judiciaire contre un Magistrat reproché des faits
présumés de corruption, de détournement de deniers publics depuis la prise de
fonction du nouveau Garde des Sceaux conformément à ses attributions légales ?
-Avant de faire de telle
déclaration, et si la volonté du déclarant était sincère, comme il l’affirme
tant, dans le cadre de l’accompagnement du Ministère de la Justice dans « toute
action visant à construire une justice forte, efficace, indépendante,
impartiale, dynamique et respectueuse des principes cardinaux qui gouvernent
les procédures judiciaires les réseaux sociaux et la voie de presse
devraient-ils être la voie royale, dès lors que les portes dudit département
ministériel n’ont jamais été fermées à tous les acteurs de la famille
judiciaire (les Avocats, Notaires, Greffiers et, surtout, les Magistrats),
comme en témoignent les différentes rencontres depuis la prise de fonction du
nouveau Garde des Sceaux ?
-Le Garde des Sceaux est-il tenu
d’avoir l’accord de ce déclarant et son prétendu organe d’origine pour exercer
ses attributions prévues par l’article 37 du code de procédure pénale ?
La réponse à ces questions est la
négative à tout du point de vue, d’où la nécessité de faire des mises au point
pour éclairer l’opinion publique nationale et internationale de cette sortie
inopportune qui expose l’ensemble des Magistrats aux yeux de toutes opinions,
comme étant ceux qui poursuivent et sanctionnent les délits économiques et
financiers, tout en refusant de subir les mêmes sanctions lorsqu’il existe des
éléments factuels laissant présumer leur responsabilité pénale dans des faits
de détournement, de corruption, de concussion et de complicité.
En peu de temps, le Ministère de
la Justice et des Droits de I ‘Homme, avec I ‘appui constant du président de la
transition, Chef de l’Etat ainsi que les autres membres du gouvernement, a pu
réaliser quelques actions dont les résultats restent visibles, tandis que
d’autres sont en cours de réalisation. C’est le cas, notamment, du règlement de
la situation des Magistrats à la retraite, de la dotation de la juridiction
pour mineurs d’un nouveau siège, de la budgétisation de crédit de
fonctionnement des juridictions d’instance et de second degré, de l’ adoption
de la politique pénale et pénitentiaire, de l’adoption du plan de formation des
Magistrats de la CRIEF, etc.
Ces actions dénotent qu’il n’y a
aucun problème entre les Magistrats et le département de la justice depuis la
prise de fonction du nouveau Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des
Droits de l’Homme, contrairement à ce que le déclarant a voulu faire croire par
voie de presse.
Au lieu de renforcer la cohésion
entre les Magistrats et l’administration centrale de la justice, ledit
déclarant s’est inscrit dans une logique de dénigrement pour vouloir s’attirer
I ‘estime publique au détriment de la volonté des autorités de cette transition
à accompagner l’institution judiciaire. Nul ne sait pour quel intérêt !
Aucun Magistrat n’a été inquiété
en raison des décisions qu’il rend conformément à la loi et nul ne peut prouver
qu’il subit, dans l’exercice de ses fonctions, une pression quelconque que le
déclarant tente vainement de faire croire à l’opinion publique nationale et
internationale en vue de jeter du discrédit sur les actes du nouveau Garde des
Sceaux. Or, celui qui prétend défendre des valeurs doit, en première ligne, se
battre pour le respect de I ‘éthique et de la déontologie judiciaire.
L’inspection des services
judiciaires et pénitentiaires est en train de jouer pleinement son rôle pour un
service public de la justice de qualité au service des justiciables.
Sur l’interprétation erronée des
dispositions de l’article 34 de la loi organique L/054/CNT/2013 portant statuts
des Magistrats par le déclarant et le bien-fondé des inionctions de poursuites
judiciaires sur la gestion financière du Tribunal de Commerce de Conakry par le
Garde des Sceaux
Il faut préciser deux éléments
importants :
-Le Ministre de la Justice, sur
le fondement de l’article 37 du code de procédure pénale, est chargé de
conduire la politique pénale déterminée par le gouvernement et de veiller à la
cohérence de son application sur le territoire de la république.
Une double conséquence est
attachée à cette disposition légale, à savoir :
La possibilité d’adresser aux
Magistrats du ministère public, les instructions générales de politique pénale
La faculté de dénoncer au
procureur général, les infractions à la loi pénale dont il a connaissance en
lui enjoignant par instructions écrites et versées au dossier de la procédure
d’engager ou de faire engager les poursuites ou de saisir la juridiction
compétente de telles réquisitions qu’il juge opportunes.
Par principe, le ministère public
qui exerce l’action publique et qui requiert l’application de la loi, est tenu
conformément aux dispositions de l’article 39 du code de procédure pénale, de
prendre des réquisitions écrites qui lui sont données dans les conditions
prévues aux articles 37 et 42 dudit code.
C’est en application de cette
disposition que le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Droits de I
‘Homme à fait injonction au Parquet général près la Cour d’ Appel de Conakry,
aux fins de poursuites judiciaires pour des faits présumés de détournement,
corruption et complicité sur la gestion financière du Tribunal de Commerce de
Conakry contre Monsieur Pierre LAMAH, Magistrat de son état et autres, sur la
base du rapport d’audit de l’Inspection Générale d’Etat. Ce qui n’est pas
assimilable à des poursuites de nature instinctive et subjective contre un
collègue magistrat, comme prétend injurieusement le déclarant pour créer une
confusion de fait entre les magistrats et l’administration centrale de la
justice.
En quoi une telle démarche
viole-t-elle la loi ?
L’article 37 de ce code qui fonde
ces injonctions de poursuite ne prescrit nullement la saisine du Conseil
Supérieur de la Magistrature pour avis par le Garde des Sceaux, Ministre de la
Justice et des Droits de l’Homme.
L’article 34 invoqué par le
déclarant ne peut être opposable qu’aux autorités en charge des poursuites, qui
sont, en l’espèce, des Magistrats avertis, compétents et intègres.
En outre, il est utile de
rappeler au déclarant que l’article 751 du code de procédure pénale
n’intervient pas au niveau de la phase des injonctions de poursuite. En effet,
c’est plutôt à la phase de poursuites que la question de privilège de
juridiction se pose. Lorsqu’elle est ainsi posée, conformément à l’article 752
du code de procédure pénale, les autorités de poursuite (le ministère public,
notamment) doivent, pour le cas particulier du Magistrat bénéficiant du
privilège de juridiction, citer celui-ci devant la Cour d’Appel qui se
prononcera sans qu’il ne puisse exercer de recours sous réserve de l’article 34
de la loi organique 1]054/2013 du 07 mai 2013, et non à l’égard du Garde des
Sceaux, Ministre de la Justice et des Droits de l’Homme.
L’injonction qui est ainsi donnée
vise à saisir la juridiction compétente par le parquet général saisi des
instructions écrites versées au dossier de la procédure aux fins d’engager ou
de faire engager des poursuites.
Le Garde des Sceaux, Ministre de
la Justice et des Droits de l’Homme, ne pose aucun acte d’instruction ou de
poursuites, en donnant des injonctions fondées sur l’article 37 du Code de
procédure pénale. Ainsi, il ne viole nullement la loi en publiant sur son site
officiel des actes d’injonctions destinés au Parquet Général qui, en l’état, ne
constituent guère des pièces des dossiers d’une procédure couverte par le
secret d’enquête ou d’instruction.
En revanche, le Magistrat,
fût-il, Président d’une association, est soumis aux devoirs de réserve et de neutralité
et ne peut traiter dans les organes de presse (en ligne ou médias ordinaires)
sous réserve des exceptions prévues à l’article 25 de la loi organique portant
statut des magistrats des sujets qui relèvent du fonctionnement de
l’Administration centrale de la Justice qui ne sont pas ceux d’ ordre
professionnel.
Sur la responsabilité
professionnelle du déclarant nécessitant des sanctions disciplinaires devant le
Conseil Supérieur de la
Magistrature
En rappel, quelles que soient les
fonctions du Magistrat, il demeure astreint aux devoirs et à la discipline liée
à son statut en tous lieux et en toutes circonstances.
L’article 37 de la loi organique
L/054/CNT/2013 sus citée dispose : « Tout manquement par un Magistrat aux
devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité de sa
profession constitue une faute disciplinaire.
Constitue, notamment, une faute
disciplinaire imputable à un Magistrat .
-tout acte contraire au serment
de Magistrat ;
-tout manquement résultant de
l’insuffisance professionnelle
L’article 38 de la même loi
dispose : « Le Ministre de la Justice, Garde de Sceaux, saisi d’une plainte ou
informé d’un fait de nature à entraîner une sanction disciplinaire contre un
Magistrat, après vérification, met en mouvement l’action disciplinaire en
saisissant le Conseil Supérieur de la Magistrature.
Le Ministre de la Justice, Garde
des Sceaux peut suspendre par arrêté, le Magistrat mis en cause pour une durée
qui ne peut excéder 30 jours.
Toutefois, s’il s’agit d’un
Magistrat du siège, ce dernier est tenu de rédiger et de signer toutes les
décisions rendues par lui dans un délai qui sera imparti par son chef
hiérarchique.
La non-exécution des instructions
données, en application de l’alinéa 3 cidessus, constitue pour le Magistrat en
cause, une nouvelle faute disciplinaire
Dans le cas d’espèce, les propos
tenus par Monsieur Mohamed DIAWARA, Magistrat de son état, prétendument sous la
couverture de l’ensemble des Magistrats de Guinée, ne peuvent engager que sa
responsabilité disciplinaire au regard des dispositions précitées.
Le fait, par lui, d’ employer
l’expression « jeter instinctivement du discrédit sur un collègue pour des
raisons subjectives et inavouées », du reste injurieuse, vexatoire, contraire à
son serment de Magistrat et proférée ainsi à l’encontre du Garde des Sceaux,
autorité ayant donné des injonctions conformément aux prescriptions légales et
dans l’exercice de ses attributions est constitutif de faute disciplinaire à
lui imputable personnellement et mérite suspension ainsi que la saisine du
Conseil Supérieur de la Magistrature conformément aux articles précités.
En outre, Monsieur Mohamed
DIAWARA a manqué à son obligation de réserve qui n’est pas à confondre à la
liberté d’expression reconnue à tout Magistrat, laquelle ne signifie nullement
le droit de proférer des propos publics désobligeants tel que prévu par
l’article 13 de la loi organique 14/054/2013 portant statuts des Magistrats en
République de Guinée relatif au serment du Magistrat.
Sur le maintien des inionctions
de poursuites et l’application de l’article 39 de la loi organique L/054
portant statuts des
Magistrats à l’égard du Magistrat
mis en cause pénalement.
L’article 39 de cette loi
organique dispose, en son alinéa 1 er : « Tout Magistrat, objet de poursuites
pour une infraction passible d’une peine privative de liberté, doit également
faire l’objet de poursuites disciplinaires. Il lui est interdit de plein droit
d’exercer jusqu’à la fin de la poursuite ».
Dès que le ministère public
engagera des poursuites sous réserve de la présomption d’innocence, le Conseil
Supérieur de la Magistrature sera saisi suivant la procédure disciplinaire
contre Monsieur Pierre LAMAH et toutes autres personnes dont la responsabilité
pénale personnelle sera établie par les autorités en charge des poursuites et
de jugement.
En attendant, les injonctions de
poursuites judiciaires restent maintenues avec pour principe le respect de la
présomption d’innocence.
Le Garde des Sceaux, Ministre de
la Justice et des Droits de l’Homme, rassure les Magistrats, dont il est partie
intégrante qu’il ne détruira jamais sa maison. Cependant, il reste attaché au
respect des devoirs et à la stricte observance de la légalité.
Le Garde des Sceaux invite
l’ensemble des Magistrats aux devoirs d’exemplarité en luttant contre
l’impunité sous toutes ses formes et dans l’intérêt de la moralisation de la
vie publique.
Il rappelle, comme dans son
discours de prise de fonction, qu’il œuvrera au bienêtre de la famille
judiciaire et n’est, ni ne sera contre personne.
Il réaffirme que sa porte reste
grandement ouverte à toutes et à tous !
Alphonse Charles Wright