La réconciliation nationale en Côte d’Ivoire va-t-elle prendre du plomb
dans l’aile? Probablement! Ce n’est pas la condamnation, ce jeudi, pour
«trouble à l’ordre public», à deux ans de prison ferme d’une trentaine de
militants du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire, le PPA-CI de l’ancien
président ivoirien, Laurent Gbagbo, qui arrangera les affaires de la réconciliation
nationale. «Red lex sed lex», mais la dureté de la loi doit pouvoir faire place
souvent à plus de souplesse, surtout que la même loi est loin d’être dure pour
tous!
Certes, les avocats de ces
nouveaux clients potentiels du pouvoir Ouattara qui ont manifesté le24 février
contre la convocation par le juge d’instruction secrétaire général de leur
parti, Damana Pickass, ont opté de faire appel de la décision. Mais c’est
certainement une nouvelle étincelle susceptible d’embraser la situation nationale
inflammable à souhait qui vient de naître. Même si 47 corps de victimes de la
crise post-électorale de 2010-2011 ont été restitués à leurs familles, ce 8
mars, date hautement symbolique de la Journée internationale des droits de la
Femme.
Ces cadavres avaient été exhumés,
pour certains en 2015, dans le cadre d’investigations sur ces violences
meurtrières sans précédent qui ont endeuillé une Côte d’Ivoire toujours
déchirée par les séquelles socio-politiques de cette guerre autour d’urnes
ensanglantées. Si bien des familles attendent encore des nouvelles de leurs
morts, afin de pouvoir en faire le deuil, d’autres ne semblent plus intéressées
par l’indemnisation d’1 500 000 francs CFA, et d’autres encore traînent
toujours des frustrations et des rancoeurs de ces années de braise et de sang.
Comme quoi, chaque camp continue d’en vouloir à ceux d’en face.
La preuve est ainsi faite, une
fois de plus, que la réconciliation voulue par les autorités ne sera pas un
long fleuve tranquille. Surtout que la justice a, en réalité, sévi contre les
vaincus, ménageant, comme à l’accoutumée, les vainqueurs. Et pour boucler la
boucle, la loi d’amnistie présidentielle d’août 2018 a plutôt profité aux
bourreaux des corps restitués ces derniers jours, aux familles et communautés
de Bloléquin, Guiglo, Toulepleu, et d’ailleurs. De plus un bon lot de corps
restent entassés dans des charniers dont les emplacements de certains demeurent
toujours inconnus.
Ces morts passeront-ils par
pertes et profits sur le long et douloureux chemin d’une réconciliation
nationale dont la machine a été très lente au démarrage? En fera-t-on une sorte
de «soldat inconnu» pour permettre à leurs parents et amis de se recueillir devant
un monument sans âme? Dans leur quête de la réconciliation nationale,
nécessaire mais difficile, les autorités ivoiriennes vont-elles, au risque de
réveiller encore les démons de la division, procéder au recensement de toutes
ces fosses communes, remplies de cadavres de l’un ou l’autre camps qui se sont
affrontés, à mort, rien que pour le fauteuil présidentiel? Autant de questions
qui méritent réflexion de la part de tous les acteurs impliqués dans le
processus.
En tout cas, s’il faut saluer la
sortie de gare du train de la réconciliation qui roule sur des rails, parfois
mal fixés, il urge, pour les populations de désarmer les cœurs! Ce qui est loin
d’être aussi facile que de déposer les kalachnikovs sur des bûchers embrasés
lors de cérémonies jadis médiatisées à outrance. Il est également
indispensable, pour les politiciens qui maîtrisent, plus que nul autre, l’art
de surfer sur les facteurs crisogènes, notamment les divisions ethniques et
religieuses, de donner de réelles chances à la réconciliation nationale
d’aboutir, en privilégiant l’intérêt national.
L’occasion est donc offerte sur
un plateau d’or, au pouvoir d’Alassane Ouattara, de mettre fin à
l’instrumentalisation de la justice pour se débarrasser d’adversaires
politiques, si tant est que la réconciliation nationale n’est pas qu’un moyen
de faire diversion, la pilule amère du troisième mandat après charcutage de la
constitution ne passant toujours pas. L’opportunité doit être également saisie
par l’opposition d’éviter de brandir à tout moment le harcèlement politique
pour empêcher le droit d’être dit, quand des crimes sont avérés. Plus qu’une
simple opération de charme, la réconciliation doit être vraie et sincère. Dans
cette logique, il faut donc plus d’actions que la restitution de corps, le
dédommagement de près de 4 500 personnes, le retour au bercail de leaders de
l’opposition dont l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et son «fils»
Charles Blé Goudé, l’amnistie de plus de 800 personnes au sein desquelles
l’ancienne première dame Simone Gbagbo, etc.
La Côte d’Ivoire et les Ivoiriens
sont, certainement, lassés de se regarder en ennemis, souvent dans la même
famille, alors que l’heure est, maintenant, aux défis de l’emploi pour les
jeunes, la lutte contre la vie chère et le combat sans merci contre
l’insécurité qui, après s’être enkystée dans le Sahel africain, menace toute la
sous-région dont les pays, sont de plus en plus, ciblés par des attaques
terroristes. Plus qu’un simple effet de mode, la réconciliation nationale est
une priorité pour la Côte d’Ivoire, qui, en la matière pourra même servir
d’étoile du berger au Burkina voisin où la cohésion sociale est fortement mise
à mal.
WS